Yndi, de la fabuleuse musique de SF à la bossa nova
Yndi a abandonné son alter-ego Dream Koala et ses compositions expérimentales inspirées par les odyssées spatiales. Dans son nouvel EP acoustique, elle célèbre ses origines brésiliennes et se réapproprie la bossa nova en oscillant sans cesse entre le français et le portugais.
Par Alexis Thibault.
Du Brésil natal de ses parents, Yndi Da Silva ne retient que les histoires de famille, l’odeur des plats encore fumants et les matinées de la messe dominicale. Des fragments de souvenirs à des kilomètres des clichés de cartes postales, entre les plages bondées, le sable bouillant et les parties de football improvisées. Et la chanteuse de 27 ans a décidé de donner les plus belles sérénades à l’éternel pays d’avenir : dans Noir Brésil, album au titre à double-sens disponible au printemps, Yndi érige un pont entre tradition et modernité, culture afro-brésilienne et sonorités électroniques…
“Mon travail évoque l’esclavage, la perte de la foi et la fameuse saudade”
Au moment de répondre à nos questions, la compositrice apparaît radieuse. Son sourire tranche radicalement avec les chants accablés de ses morceaux soucieux et maquillés de saudade, un terme portugais qui illustre ce sentiment mélancolique mêlé de rêverie et d’un désir de bonheur imprécis. La jeune femme est consciente du paradoxe : “J’ai toujours imaginé des choses sombres et bizarres… Mon travail évoque l’esclavage, la perte de la foi et la fameuse saudade. Peut-être qu’inconsciemment, je glisse tout dans la musique pour enfin m’en débarrasser et redevenir une personne… normale. ”
Autrefois, Yndi officiait sous un autre alias, l’insaisissable Dream Koala. On doit trois EP à cet alter-ego fasciné par la science-fiction et les animés japonais : Odyssey (2013), Earth. Home. Destroyed (2014) et Exodus (2015). Ces opus aux titres explicites étaient accompagnés de clips en trois dimensions, propulsant le spectateur aux confins de l’espace. En grande fan du groupe de métal Deftones et du producteur Flying Lotus, l’artiste refusait alors de se limiter à un seul genre, traitant les sons comme de la matière, exploitant les textures dans une perspective expérimentale : “Flying Lotus me fascine car il me fait penser autant à John Coltrane qu’à Radiohead. À l’époque, ce qui comptait dans ma musique n’était pas tant la mélodie et les accords que la ‘matière sonore’.” Il y a quelques années, la jeune femme chantait encore en anglais. Dans les compositions atmosphériques de Dream Koala, on croisait alors l’esprit poétique de Hayao Miyazaki, l’œil rigoureux de Terrence Malick, l’ambiance futuriste de la série japonaise de science-fiction Kaiba et les décors démesurés du jeu vidéo Shadow of the Colossus…
“Comme de l’opium, la bossa nova anesthésie toutes les douleurs.”
Mais dans la parenthèse acoustique qu’elle s’est accordée, en guitare-voix, Yndi a abandonné la langue de Shakespeare. À la place, elle s’exprime dans sa langue maternelle, le français, puis bifurque vers le portugais de ses parents. “Écrire en français est assez difficile, confie-t-elle. Dans cette langue, les phrases parfois brisées par certaines lettres imposent leur propre rythme. Il faut donc être beaucoup plus rigoureux qu’en anglais, où il est bien plus simple de jouer avec la matière musicale. Les mots s’étirent et sont plus flexibles.” Sorti le 17 février, son nouveau titre Novo Mundo est une première pierre à l’édifice dont le clip laisse libre cours à Oshun, déesse de la beauté au Brésil, orisha des eaux des rivières.
Le 22 janvier, Yndi a présenté son EP à travers un live acoustique intitulé Introdução. Dans la pénombre, harnachée à sa guitare acoustique, elle enchaîne trois morceaux de bossa nova minimaliste et se réapproprie en même temps la musique brésilienne, ses harmonies et ses couleurs. “La bossa nova est liée à un imaginaire et une époque, les années 60 et 70. Sa force réside dans la dualité entre des mélodies joyeuses et envoutantes qui illustrent des textes profondément tristes. On y parle de cœurs brisés, de solitude et de condition des classes populaires. Mais comme de l’opium, la bossa nova anesthésie toutes les douleurs.” Encore une fois, le chagrin musical qu’elle évoque rompt avec le sourire qu’elle arbore.
Live Introducão et Novo Mundo, disponibles.
Le premier album d’Yndi, Noir Brésil, sortira au printemps 2021.