1 juil 2025

Les confessions de Wet Leg, le groupe de rock queer et insolent à suivre absolument

Wet Leg revient avec un nouvel album, Moisturizer, le 11 juillet 2025. Formé par Rhian Teasdale et Hester Chambers, le groupe britannique propose un rock queer et jubilatoire. Numéro a rencontré la musicienne Rhian Teasdale qui évoque tour à tour Maurizio Cattelan, Pokémon, Megan Fox et l’angoisse du male gaze…

  • propos recueillis par Alexis Thibault.

  • Wet Leg, le groupe de rock explosif échappé de l’île de Wight

    La musicienne anglaise Rhian Teasdale n’est pas retournée à Sandown depuis très longtemps. Une ville balnéaire de l’île de Wight, au sud du Royaume-Uni. Mais elle se souvient parfaitement de Culver Cliff, la falaise de craie qui domine les toits en tuile des maisons de la banlieue, ou de ce bout de mer étriqué qui semblait forcer pour se frayer une place dans le paysage. Une carte postale un peu délavée dont elle glisse aujourd’hui des éléments dans sa musique, sourire aux lèvres. Car c’est avec une nonchalance fascinante que Rhian Teasdale, 31 ans, électrise désormais la scène musicale indie britannique. Son groupe s’appelle Wet Leg.

    C’est puissant et bruyant. De l’indie rock teinté de post-punk joyeusement irrévérencieux aux paroles acérées qui fait sauter la foule dans tous les sens. Rhian Teasdale et sa comparse Hester Chambers dégainent des hymnes parfaitement calibrés pour l’ère TikTok sans jamais sacrifier la substance à la posture.

    Leur premier album, sobrement intitulé Wet Leg (2022) – et porté par le succès viral du titre Chaise Longue –, reste un ovni pop encensé par la critique. L’insolence en robe d’été ou la revanche assumée d’un coin oublié du Royaume. Bilan des courses : deux Brit Awards (du meilleur nouveau groupe et du meilleur groupe britannique) et deux Grammy Awards (du meilleur album de musique alternative et de la meilleure performance indépendante).

    Wet Leg – Ur Mum (Glastonbury, 2025).

    Moisturizer, le nouvel album vivifiant de Wet Leg

    Le groupe revient le 11 juillet 2025 avec Moisturizer, un nouvel opus de douze titres qui explore aussi bien les chagrins d’amour que les passions intenses à coups de cascades d’accords magnifiques. Un deuxième album féroce et maîtrisé qui confirme que Wet Leg dépasse largement son statut de simple phénomène indie. Car la formation queer oscille entre sensualité grotesque et vulnérabilité assumée. Oui, Wet Leg trace une fresque musicale déjantée, où les hymnes dance-punk succèdent aux ballades tordues dans une liberté jubilatoire.

    Et Moisturizer n’adoucit rien : l’album gratte, dérange, et célèbre le bizarre comme un véritable acte de résistance.
    Numéro a rencontré Rhian Teasdale, qui admet trouver assez inconfortable de parler de sa propre musique — comme beaucoup d’artistes. Il a donc fallu discuter de tout le reste…

    Davina McCall (2025) de Wet Leg.

    L’interview de Rhian Teasdale du groupe Wet Leg

    Numéro: Quel type d’élève étiez-vous à l’école ?
    Rhian Teasdale:
    Paresseuse. Mais genre vraiment très paresseuse. Je passais mon temps à faire semblant d’être malade… À tenter de convaincre ma mère que je devais rester à la maison par tous les moyens possibles. Je ne vous cache pas que je m’en sortais pas mal.

    Rêviez-vous déjà de devenir une star de la musique à l’époque ?
    Vers l’âge de 12 ans, je m’imaginais plutôt en vedette de comédie musicale. Mais j’ai finalement atterri dans la restauration avant de décrocher un poste d’assistante styliste. Tout ça c’était bien avant Wet Leg. Figurez-vous que j’aimais bien le stylisme. C’était mieux que la restauration en tout cas. On commençait à me confier pas mal de missions, je pensais vraiment avoir découvert ma voie. S’il n’y avait pas eu la musique, j’aurais peut-être continué. Mais pas pour des projets glamours hein ! Plutôt pour des publicités ou des trucs comme ça.

    Vers l’âge de 12 ans, je m’imaginais en vedette de comédie musicale.” Rhian Teasdale du groupe Wet Leg

    Si votre musique était une œuvre d’art contemporain exposée dans un prestigieux musée, à quoi ressemblerait-elle ?
    Certainement à cette blague que j’avais vue sur Instagram : un type avait scotché une banane sur un mur…

    Comedian ? La banane de Maurizio Cattelan ? [Une œuvre présentée à Art Basel Miami par la galerie Perrotin en 2018.]
    Oui, voilà. Je trouve ça marrant. Je ne dirais pas que je l’aime au point de vouloir l’avoir chez moi. Mais je suppose que ça dit quelque chose sur l’art, non ? Et sur sa valeur, dans ce grand cirque. Je ne sais pas pourquoi c’est la première chose qui m’est venue en tête. Enfin si, je sais. C’est une œuvre qui paraît complètement improvisée, sans grande compétence technique.

    Catch These Fists (2025) de Wet Leg.

    Depuis que j’ai découvert ma queerness, ma sexualité est forcément plus présente… Rhian Teasdale de Wet Leg

    Vous définissez cet album comme “plus étrange et plus pervers que le précédent.” Était-ce l’objectif initial ?
    Non, ce n’était pas un objectif conscient, en tout cas. D’ailleurs, je n’ai jamais vraiment d’objectif quand je commence à écrire. Je crois que nous cherchions surtout à créer un truc fun à jouer en live. Et puis, depuis que j’ai découvert ma queerness, ma sexualité est forcément plus présente. C’est donc ce qui ressort.

    Ce disque explore de nombreux thèmes : l’amour queer, la sexualité, la liberté, mais aussi le malaise et la vulnérabilité. Avez-vous l’impression de vous être livrée comme après une session chez le psy ?
    Je crois que quand on était dans cette sorte d’incubateur d’écriture et d’enregistrement, il y avait l’angoisse habituelle : “Est-ce que le reste du groupe va aimer ce que j’apporte ou pas ?” Mais je ne pensais pas du tout à la promotion que nous aurions à faire ensuite. Je ne pensais pas à ce que l’album voulait dire. On essayait juste d’écrire des chansons. Et c’est seulement après coup que j’ai réalisé : “Oh, tous ces morceaux sont très personnels, très inspirés de mes propres expériences… et maintenant je vais devoir en parler en promo.” Voilà où j’en suis.

    Est-ce vraiment un problème ?
    Non, je me retrouve simplement à en dire trop. Comme d’habitude.

    Chaise Longue (2022) de Wet Leg.

    Je glisse des références à mon enfance un peu partout dans mes chansons.” Rhian Teasdale

    Dans ce disque, vous citez également Pokémon, Megan Fox et l’animatrice de télévision anglaise Davina McCall…
    Davina McCall est un trésor national ! Elle est vraiment cool. C’était la présentatrice de l’émission Big Brother. Le morceau Davina commence par la phrase : « I’ll be your Davina, I’m coming to get you. » C’était l’une de ses phrases emblématiques, qu’elle prononçait chaque semaine lorsqu’un participant était éliminé. Avec un peu de recul, je me rends compte que je glisse des références à mon enfance un peu partout dans mes chansons.

    Pourquoi donc ?
    Parce que le mal du pays me ronge, et c’est assez réconfortant d’intégrer ces petites choses familières dans ma musique. C’est une manière de se sentir chez soi… même quand on ne l’est pas vraiment. Pokémon, par exemple, représente une sorte de fantasme partagé avec la personne qui m’accompagne dans la vie. On voulait tout faire et aller partout ensemble, comme Sacha et Pikachu. Quant à Jennifer’s Body, c’est un film dont j’avais complètement zappé la dimension érotique la première fois que je l’ai vu, adolescente. Et c’est justement ce qui en fait un super film. Il est très sapphique, très lesbien, sans que ce soit pour autant le sujet principal. En le revoyant il y a environ un an, je l’ai perçu avec un regard totalement différent.

    CPR (2025) de Wet Leg.

    C’est drôle de voir à quel point il en faut peu pour choquer les gens.” Rhian Teasdale

    La pochette de votre disque rappelle un peu celle du Richard D. James Album d’Aphex Twin sorti en 1996…
    Je suis vraiment contente du résultat. Je voulais jouer sur la juxtaposition du sexy et du dégoûtant, du bizarre et du mignon. Comme dans le clip de Catch These Fists. Je voulais une ambiance étrange, un peu sectaire, mais dans un décor de campagne très beau. Cette pochette est d’abord quelque chose de féminin. En la regardant de plus près, on remarque les ongles longs, le sourire étrange façon IA. La posture aussi est importante : on a l’air de démons. Ça va vous semble bizarre mais, pour moi, c’est ce que ça fait d’être amoureux.

    Faut-il forcément être bizarre pour percer dans la musique aujourd’hui ?
    Oui, je pense. C’est drôle de voir à quel point il en faut peu pour choquer les gens. Par exemple, une femme avec des poils… ça choque encore des gens en 2025.

    Wet Dream (2022) de Wet Leg.

    Je trouve que c’est un bon moment pour la pop.” Rhian Teasdale

    Les stars de la pop sont-elles bizarres elles aussi ?
    Je trouve que c’est un bon moment pour la pop. Regardez Sabrina Carpenter, Lola Young, Chappell Roan… elles sont toutes un peu étranges. Avant, c’était Taylor Swift — elle, elle n’est pas du tout étrange. Katy Perry était le summum de l’étrange à l’époque. Maintenant, nous sommes allés beaucoup plus loin. Elle est devenue bizarre, parfois même un peu gênante.

    Se tenir loin du male gaze est-il devenu un véritable moteur créatif ?
    Il est impossible à éviter. Il y aura toujours des hommes qui penseront que vous faites les choses pour eux. C’est tellement ancré dans la société… Le changement le plus visible pour les gens, c’est mon style. Je suis plus à l’aise et plus confiante pour montrer un peu plus de peau. Avant, l’idée qu’un homme pense que je m’habille pour lui me dégoûtait à un point tel que je préférais me couvrir entièrement. Il y a aussi une question de sécurité : quand vous marchez seule et que vous êtes un peu plus dénudée… les hommes réagissent.

    Moisturizer de Wet Leg, disponible le 11 juillet 2025.