Techno, cocktails et canicule… on a survécu au Sónar festival
Invité au Sónar festival de Barcelone, Numéro s’est prêté au jeu des expériences insolites, a fait le tour d’une foire aux nouvelles technologies et a assisté à des DJ sets plus électriques que jamais…
Par Alexis Thibault.
et Anna Prudhomme.
Près de la plaça Espanya, centre névralgique de Barcelone, le Sónar festival pique la curiosité des passants, intrigués par les basses tonitruantes qui s’échappent de la Fira, l’équivalent du Palais des Congrès de Paris. Peu d’entre eux se laissent tenter, les places sont chères… Contrairement à ses homologues, le Sónar se déroule en plein centre-ville, de jour comme de nuit, pour satisfaire les noctambules. Créé en 1994, cette célébration des musiques électroniques prend ses quartiers dans le cœur de la capitale catalane, chaque mois de juin… elle a été exceptionnellement décalée cette année au profit d’une course de motoGP.
Mais ce festival urbain, comme les autres, n’est pas vraiment une réunion de mélomanes. On y retrouve des amateurs d’électro vociférante, la fine fleur des festivaliers européens – dont une majorité de Français ravis de le rappeler. Parmi la foule, on croise des influenceuses hautaines plus colorées que leurs smoothies à la myrtille, des Espagnols torse nu à crête démodée qui s’acharnent sur la blonde, trahis par les cocktails à dix euros coupés à l’eau, des pseudo stars au look streetwear qui transforment le coussin d’avion en accessoire de mode, ou un père de famille kamikaze, persuadé qu’un casque de chantier suffit à protéger les tympans de son enfant de deux ans, tétanisé dans sa poussette… Au cœur de cette faune surexcitée circulent des types aux allures de plongeurs, énorme fût de bière sur le dos, distribuant des pintes pour alléger leur fardeau. Malgré la canicule, tout le monde semble véritablement heureux.
Du côté de la programmation musicale, le Sónar reste fidèle à lui-même : un line up éclectique, où s’enchaînent live et DJ sets, sélection pointue d’artistes à découvrir et têtes d’affiche internationales. Le festival met en avant les jeunes artistes espagnoles Bad Gyal, étoile montante du reggaeton catalan, ou Aleesha jeune prodige R’n’B. Cependant, le festival demeure largement cosmopolite. Une bonne flopée d’artistes français étaient d’ailleurs au rendez-vous, du DJ multi-instrumentiste French Kiwi Juice (FKJ) au rappeur parisien Lomepal, en passant par la French Touch de Sebastian.
D’abord pensé comme un festival de musique électronique, le Sónar a depuis ces 5 dernières années enrichi son line up de nouveaux genres musicaux. Le rap en est le principal nouveau venu, la scène britannique était (sur)représentée par le génial Stormzy, connu pour son freestyle Shut Up, mais aussi le franco-londonien Octavian ou encore Skepta, pionnier du Grime (rap underground londonien des années 2000). Toutefois, l’électro y reste plus que diversifiée. On y retrouve bien évidement la grosse tête techno du Drumcode Records Amelie Lens, l’Australien Mall Grab, pilier de la house lo-fi, ou encore les Allemands Paul Kalkbrenner et Dixon.
Mais le Sónar est aussi l’occasion de back to back (b2b) d’exception, les DJ stars de la techno Blawan et Dax J enchaînaient chacun leur tour les transitions au cours d’un set sanglant de 2h. La singulière DJ coréenne Peggy Gou retrouvait Palms Trax, le Britannique connu pour ses sets aux accents disco, mais aussi Honey Dijon, la reine incontestée du Panorama Bar au Berghain rencontrait quant à elle Louie Vega, autre figure de la house garage new-yorkaise. À noter également la présence du trio Acid Arab dans un live envoûtant, Underworld le groupe à l’origine de la BO de Transpotting, et le fabuleux Théo Parrish de Detroit. La fausse note étant la présence de Disclosure, duo electro-pop oublié des années 2010 dont la simple écoute replonge dans la triste époque des playlists summer-cheesy de YouTube.
“Musique, créativité et technologie.” Tel est le credo du Sónar Festival qui a déjà accueilli des artistes tels que les Daft Punk, Jeff Mills, The Chemical Brothers ou Kraftwerk – dont il a repris le logo présent sur l’album mythique Autobahn (1974). Mais le festival défend aussi Sónar + D, un congrès international porté sur les innovations technologiques. Depuis 2013, il réunit des musiciens (autrefois Björk, Skrillex ou Jean-Michel Jarre), des réalisateurs, des designers, des scientifiques et des entrepreneurs cherchant à développer davantage leur réseau.
Au sein de cette foire on trouve différents prototypes destinés à améliorer les prestations live des DJ, mais aussi une intelligence artificielle capable d’attribuer une mélodie spécifique à chacune de nos expressions faciales, ou encore un logiciel qui transforme les esquisses en notes de musique permettant de composer à partir de ses tatouages. Quant à la fameuse œuvre de Memo Akten, Deep Meditations, on la trouvait présentée au stand ME by Melia. L’artiste a récupéré des milliers de fichiers sur Internet et, par le biais d’un algorithme, les a soumis à un morphing. Progressivement, elles se métamorphosent. Akten a également glané des enregistrements de prières et de chants spirituels sur YouTube, les mêlant les uns avec les autres pour composer une bande originale caverneuse et hypnotique. Ces images incertaines se transforment lentement. Tel le die and retry, mécanisme de jeu vidéo empirique qui invite à perdre puis à recommencer, elles s’éveillent pour mieux mourir.
En débarquant au SónarVillage, la plus grande scène du Sónar by Day habillée par une pelouse synthétique, chacun se sent observé. Et pour cause un A$AP Rocky en carton de trois mètres de hauteur surplombe la foule, attirant inexorablement les festivaliers vers un stand Calvin Klein embrasé. Quel dommage que la tête d’affiche du festival soit absente, trop occupée à chouiner dans sa cellule de Stockolm après voir tabassé un homme qui le suivait lors de sa tournée suédoise…
Côté déception, on retient également la performance du rappeur irlandais Rejjie Snow, qui se traîne sur scène avec l’énergie d’un vieux spectre. En jogging et marcel blanc, bob léopard vissé sur le crâne, il harangue la foule : “Hey le Sónar ! Est-ce que vous êtes aussi high que moi ?” À 18h00, en plein cagnard face à la scène du SónarVillage, la fosse est fière d’admettre qu’elle est aussi défoncée que lui. Ce n’est pas pour autant qu’elle se satisfait de sa prestation mollassonne, d’autant qu’il y a tromperie sur la marchandise : en live, le rappeur irlandais abandonne sa voix basse pour un tessiture de baryton.
Toujours au SónarVillage, après avoir esquivé un set de drum and bass migraineux, Artwork reprend le contrôle des platines, réinjectant joie et gaité au moment. DJ anglais excentrique, Artwork clôture le festival de journée avec un set groovy plus qu’entraînant. Faisant alors l’unanimité, Artwork mixe musique latina, jazz énergique et disco appuyant le tout d’une rythmique house saccadée. 2 heures de set estival redonnant immédiatement le sourire : Artwork aka Arthur Smith est l’artiste révélation de cette édition du festival barcelonais. Véritable sage de la musique électronique, dans les années 90 il domine déjà la scène garage britannique et s’installe ensuite dans un disquaire du sud de Londres pour créer le label Big Apple Records, dédié au genre de la Dubstep, dont il est le pionnier. Depuis des années, Artwork organise des soirées itinérantes, les Art's House, prenant la forme aujourd’hui d’un microfestival résolument singulier : s’installant à chaque fois dans des petits pavillons, on savoure la musique dans un espace surdécoré pour l’occasion.
Vers 23h, la Fira se vide de ses festivaliers déjà légèrement amochés, et la foule se dirige tant bien que mal vers les navettes ou le métro afin de rejoindre la deuxième moitié (nocturne) du festival. Le Sónar by Night est démesurée. Les organisateurs ont même mis en place un tapis roulant pour traverser ce site qui ne semble jamais en finir. Quatre scènes colossales toutes équipées d’écrans géants se juxtaposent. Pas de distinction, au Sónar, finalement, tout est gigantesque. La foule joyeuse traverse les différents hangars, passant d’une scène à l’autre en sautillant, scandant le nom de l’artiste qu’ils sont sur le point de voir en live. L’épicentre du festival, réuni sous une halle, des auto-tamponneuses, de nombreux bars à cocktails, des food trucks et un panneau publicitaire Absolut taille titan, où deux visages aux yeux de lumière servent de point de rencontre à qui s’égareraient dans ce Rungis de la techno.
Deep Meditations de Memo Akten a été exposée à Hôtel ME London. L’œuvre a également été présentée à Barcelone lors du festival Sónar au stand Meliá.