2 oct 2023

Reportage au concert d’Aespa, les reines de la K-pop digitale

Ningning, Winter, Giselle et Karina, les quatre membres du groupe de K-pop Aespa, dévoilent Drama, leur nouvel EP de sept titres disponible depuis le 10 novembre. Le 30 septembre, Numéro s’était infiltré au Dôme de Paris pour assister au concert du quatuor lancé en octobre 2020 par la société SM Entertainment.

1. Aespa : le quatuor féminin de la K-pop au concept novateur

 

Les lumières viennent tout juste de s’éteindre. Ce ne sont plus des cris de joie mais des hurlements stridents qui retentissent dans la salle plongée dans le noir. Comme si certains ni croyaient pas encore… Ici, l’éclectisme de la foule est pour le moins inattendu : des adolescents, des adultes, des hipsters, des joggings Adidas, des couettes roses, des barbes hirsutes, des paillettes, des fausses casquettes Louis Vuitton, des lunettes de soleil un peu fashion, d’autres pas du tout, des chemises blanches, des bandes, des couples et des gens seuls. Une foule multicolore et multi culturelle. Ce samedi 30 septembre 2023, plus de 5 000 spectateurs attendent le début du Synk : Hyper Line, dernière représentation du quatuor de K-pop Aespa après une série de 31 concerts internationaux et la sortie en mai de My World, leur troisième EP produit par Warner Records. La longue tournée débutée à Séoul au mois de février, s’achève ici, au Dôme de Paris, dans le 15e arrondissement.

 

Ce vendredi 10 novembre, Aespa a dévoilé Drama, son quatrième EP de sept titres sur lequel figurent le morceau éponyme Drama ainsi que le tube Better Thing. Ces chansons, le quatuor les défend justement sur scène dans le cadre de sa tournée. Mais il est intéréssant de rappeler que ce disque s’inscrit dans un contexte d’évolution perpetuelle. Selon SM Entertainment, ce nouvel opus “met en valeur les personnalités en transformation d’Aespa avec une ‘musique fraîche’ tout en renforçant un fil narratif. Le groupe se libère désormais du traumatisme causé par une série d’événements, notamment avec la websérie Synk Out dans laquelle chacune des membres du groupe avait son propre épisode.

 

 

 

Les membres d’Aespa sont aussi des produits industriels : du playback, des chorégraphies que l’on pourrait aisément reproduire chez soi et une attitude de girl next door calculée qui font d’elles des stars que l’on adule… sans pour autant les envier. 

 

 

 

Le billet “orchestre, catégorie 1” rappelle le tarif – 84,00 euros – et promet une ouverture des portes à 19h00. Mais ceux qui ont opté pour une place en fosse étaient évidemment en avance… Dans l’univers aussi excentrique qu’impitoyable de la Korean pop, une vidéo tournée en HD depuis le premier rang, l’abdomen enfoncé dans une crash barrière, assure le million de vues sur YouTube et les réseaux sociaux… Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Aespa plaît. Lancé en octobre 2020 par l’agence sud-coréenne SM Entertainment, ce girls band mise sur son concept novateur : concevoir des avatars numériques directement inspirés des silhouettes des membres du groupe. Une équipe du métaverse dont on retrouve les doublures digitales dans bon nombre des clips dont Black Mamba, leur tout premier morceau sorti il y a deux ans : il avoisine aujourd’hui les 260 millions de vues… Aespa a trouvé l’équilibre parfait entre un univers digital ultra moderne et des performances un peu kitsch, en témoigne cette scène du Dôme de Paris composée de trois écrans géants qui diffuseront des écosystèmes de science-fiction pendant des prestations beaucoup trop exposées à la lumière, comme s’il ne fallait pas trop abuser des effets stroboscopiques. L’occasion de faire connaissance avec Karina, la leadeuse sud-coréenne de 23 ans. Elle est l’unnie, c’est à dire la plus âgée, l’équivalent d’une grande sœur. Ningning, 20 ans, est quant à elle la benjamine du groupe, la maknæ. Ce soir, la plupart des acclamations lui seront d’ailleurs adressées. Giselle (japano-coréenne) et Winter (Corée du Sud) complètent le quatuor.

 

Le concert a commencé et, à l’extérieur du Dôme de Paris, les équipes de sécurité peuvent enfin souffler: “J’étais là à 10h00 ce matin pour les balances et tout était calme… raconte un agent exténué. Lorsque je suis revenu en fin d’après-midi, c’était un bordel sans nom. En plus, beaucoup de spectateurs se sont fait arnaquer en achetant de faux billets sur Internet. On leur refuse l’accès et ils fondent en larmes. Vous aimez la K-pop tant que ça vous ?” De retour dans la salle, on aperçoit une myriade de lightsticks LED, des bâtons lumineux à l’effigie du groupe, accessoire indispensable à la panoplie du fan vendu entre 60 et 150 euros pour les plus sophistiqués. Certains lightsticks peuvent être contrôlés à distance via bluetooth par les groupes, en plein concert, pour en faire varier les couleurs. Dans la K-pop, le merchandising est très cher… parce que le marché est toujours aussi florissant.

2. La pop coréenne : un marché toujours aussi florissant

 

Aespa profite encore de l’explosion de la K-pop, un genre qui condense tous les éléments de l’industrie culturelle mainstream et a inondé les marchés musicaux européens et américains. En octobre 2018, le boys band BTS remplit par exemple l’AccorHotel Arena de Bercy, deux soirs de suite, puis s’offre le Stade de France un an plus tard… Le phénomène est planétaire et affole les compteurs. Les chanteurs de ce groupe fondé en 2013 coécrivent des titres et produisent même certains de leurs disques au style hip-hop, rap et pop. Depuis cette date, RM, Jin, Suga, J-Hope, Jimin, V et Jungkook offrent leurs minois parfaitement lisses et juvéniles à leurs fans, sans laisser prise à ce qui pèse habituellement sur les simples mortels : le temps et la fatigue. Une performance qui s’ajoute à leurs chorégraphies millimétrées et à leur rythme de travail effréné. Fer de lance de la K-pop, BTS a réussi à se hisser plusieurs fois à la première place des charts américains. Le groupe compte également à son actif plusieurs nominations aux prestigieux Grammy Awards, la cérémonie de prix musicaux la plus prisée au monde. Sans compter ses collaborations avec le chanteur Ed Sheeranla rappeuse Nicki Minaj ou le groupe Coldplay. Plus récemment, ils ont performé au Qatar lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football 2022, une décision stratégique qui n’a évidemment pas fait l’unanimité auprès de ses fans pour des raisons écologiques et socio-politiques.
 

Tout comme leurs homologues masculins, les membres d’Aespa n’échappent pas à la règle : elles sont aussi des produits industriels. Une définition qui ne plaira clairement pas à leurs fans, pourtant, leur concert au Dôme de Paris en est une preuve : du playback, des chorégraphies que l’on pourrait aisément reproduire chez soi et une attitude de girl next door calculée qui font d’elles des stars que l’on adule… sans pour autant les envier. Avec le temps, les fans se sont attachés à ces artistes qui s’illustrent dans des clips directement inspirés des combats de jeux vidéo : Karina, Ningning, Giselle et Winter évoluent littéralement après avoir terrassé un boss. Paul, qui suit le groupe depuis ses débuts, nous explique en quoi Aespa mérite amplement son succès : “L’exploration du multivers, l’imagerie proche de celle de Grimes, les références aux jeux vidéo… je trouve leur identité visuelle très forte ! La SM Entertainment est assez réputée pour défendre des artistes techniquement talentueux et, d’ailleurs, il faut aussi souligner les compétences vocales des chanteuses principales [Ningning et Winter]. Je ne veux pas les comparer aux autres groupes mais, pour le coup, la construction de leus morceaux est très intéressante. Il y a souvent trois titres en un, comme une suite de séquences.

 

 

3. Un concert millimétré inspiré fortement inspiré des tubes américains

 

Le spectacle a été construit selon différentes “sections”. Des sortes de chapitres qui présentent leurs morceaux fortement inspirés des tubes actuels de la trap et du R’n’B. On y reconnait l’influence d’Ariana Grande, des ballades pop façon Ed Sheeran et des hits EDM tonitruants d’Ibiza. Lorsqu’elles quittent la scène pour changer de tenue, le public endure alors d’interminables vidéos édulcorées les montrant, au ralenti, jeter des regards doucereux à la caméra. Même les fans inconditionnels restent interdits. Encore plus étonnant, les filles se présenteront à quatre reprises en rang, face au public, pour s’adresser à lui entonnant différents discours aseptisés et traduits en direct par une interprète : “Nous sommes vraiment très heureuses d’achever notre tournée ici. C’était vraiment incroyable. En plus, Paris est notre ville préférée, c’est vraiment fou d’être ici. Pour le prochain morceau, il va falloir que vous vous amusiez encore plus. Vous êtes prêts ?

 

Ce concert d’Aespa permet aussi de mesurer l’envergure du groupe féminin qui défend sa musique comme on vendrait un produit Apple. Si les productions digitales de la K-pop servent des shows explosifs, elles fonctionnent aussi comme des gadgets technologiques assemblés par des experts, dispersés à travers le monde. Par exemple, bon nombre des compositeurs viennent des États-Unis ou, plus amusant… de Stockholm, en Suède. Quant aux influences musicales, il s’agit de reprendre la recette du hip-hop américain sans en conserver l’obscénité. Un vestige de la dictature des années 70 et 80 où toute production musicale qualifiée de “subversive” était alors déprogrammée, un terme susceptible de recouvrir les atteintes à l’autorité – des paroles antigouvernementales par exemple – mais aussi les références sexuelles. Et la censure frappe logiquement le K-pop – contexte culturelle oblige – malgré le statut mondial du mouvement musical. Aucun artiste n’est épargné par ces interdictions. En 2013, le clip Gentleman de Psy – interprète du tube Gangnam Style – avait été interdit par un chaîne de télévision sans autre raison qu’un “potentiel trouble à l’ordre public”. Le concert s’achève. Karina, Giselle, Winter et Ningning se font assaillir, sourire aux lèvres, par des dizaines de peluches Pokemon, de serre-têtes lapin et… de maillots du Paris Saint-Germain.