Rencontre avec Yanis, la pop star française adoubée par Britney Spears et Katy Perry
On a d’abord connu Yanis Sahraoui, sous le nom de Sliimy, pop star française flamboyante adoubée par Britney Spears et Katy Perry. Iel revient en empruntant son simple prénom, Yanis, pour défendre un émouvant EP de pop à la croisée de l’introspection et de la danse intitulé Solo. Rencontre avec une artiste trans et non-binaire qui brise les codes et bouscule les préjugés avec autant de douceur que de force.
Par Violaine Schütz.
Avant TikTok, Snapchat, Instagram et Facebook, il y avait MySpace. A l’époque où la chanteuse Yelle, le label électro Ed Banger, les it girls et les blogs dominaient la pop culture, on pouvait déjà devenir une star du jour au lendemain, comme par magie. Et ce, rien qu’en postant une chanson sur le web ou en affichant un look scintillant en soirée. C’est ce qui est arrivé en 2008 à Sliimy, qui est alors une jeune inconnue à la voix d’or originaire de Saint-Etienne âgée de 18 ans aux épaisses mèches bouclées et aux vêtements en technicolor. Suite au succès d’une reprise très personnelle de Britney Spears repérée par le blogueur Perez Hilton, iel se retrouve alors propulsé sur scène pour assurer les premières parties de l’interprète de Baby One More Time, qui a un véritable coup de cœur pour lui, ainsi de Katy Perry.
Une mise en lumière un peu trop rapide pour les frêles épaules de l’artiste queer ? Sliimy, signée par le label Warner pour un premier album de pop efficace intitulé Paint Your Face, souffre des formatages que l’industrie de la musique veut lui imposer. Face à la pression (on voit en lui un nouveau Mika) et à l’homophobie latente, iel va faire une longue pause, jusqu’à la réinvention. En 2022, Sliimy, qui vient de dévoiler un nouvel EP, Solo, est simplement Yanis. Mais c’est déjà beaucoup.
L’usage de ce prénom symbolise une transition majeure. Yanis vient de faire son coming out trans et non-binaire. Iel s’est réappropriée son corps, son image et sa voix. À travers une pop sublime à mi-chemin entre le club moite et l’introspection mélancolique, Yanis, 33 ans, soit l’âge du Christ, est pleinement elle-même, loin des diktats du marketing musical et de la société. Incarnant les combats et les engagements de sa génération, la star nous explique comment iel a transformé ses maux et traumas en force et repeint le monde de couleurs pop à travers une allure et une musique flamboyantes.
Numéro : Pourquoi ce nouvel EP s’appelle-t-il Solo ?
Yanis : Ça parle de ce qui nous arrive quand on fait partie de la communauté LGBTQ+ ou qu’on se sent différent. On se retrouve souvent dans des situations solitaires malgré nous. Ce titre évoque la solitude que mon père a choisi en s’enfermant récemment dans sa propre haine lorsqu’il m’a rejetée dans une réaction homophobe. Cela m’a aussi mis dans une situation de solitude : je perdais un père. Je suis « solo » parce que je n’ai plus deux figures importantes de ma vie à mes côtés. L’une a disparu (j’ai perdu ma maman lorsque j’étais jeune) et je suis fâchée avec l’autre. Même si j’avais déjà vécu du rejet, cette récente coupure paternelle a réanimé beaucoup de traumas comme un volcan qui se réveille ou un tremblement de terre. Des peurs d’enfant sont remontées à la surface qui ont inspiré cet EP.
Vous avez récemment fait son coming out trans et non binaire lors d’une interview filmée accordée à Mediapart. Depuis vos débuts dans la musique, trouvez-vous que le regard que l’on porte sur les questions de genre a changé ?
Il y a eu des réactions négatives suite à cette interview, de la même manière qu’il y a toujours du racisme, et c’est pour ça qu’il ne faut pas baisser la garde et rester engagé. Mais il y a eu aussi beaucoup de retours positifs. Je trouve qu’on ne parle pas assez de transidentité en France. Déconstruire les normes de la masculinité avec le vêtement et dire qu’on est est trans, ce sont deux choses très différentes. Malgré la visibilité grandissante, cela ne veut pas dire qu’on soit en sécurité. La transidentité reste un sujet qui dérange et remet tout en question, notamment la binarité. Mais la situation a tout de même évolué depuis les années 2000. Quand j’ai fait mon coming out en 2009, je me sentais vraiment seule. Mika n’avait pas encore évoqué sa sexualité. En tant que jeune artiste, je ne pouvais pas me raccrocher à des modèles déjà installés dans l’espace public. Aujourd’hui, il y a Eddy De Pretto, Bilal ou encore Chris, soit une vraie famille qui fait bouger les choses.
Au moment où vous étiez Sliimy et que vous étiez signée chez une major, avez-vous souffert des diktats de l’industrie musicale ?
Oui, on m’a souvent reproché d’être moi-même à mes débuts, mon label me disant que j’étais trop efféminée. C’était perturbant car tu ne peux pas changer ces choses-là. Quand j’étais Sliimy, je ne cachais pas mon homosexualité. J’avais fait mon coming out et c’était violent car le milieu de la musique parisien était moins ouvert que je ne l’imaginais. Et puis, quand je sortais de promo, mon père me gueulait dessus car je lui faisais honte. C’était la double peine. Je n’ai jamais eu envie de mettre un voile sur mon identité, de m’invisibiliser pour plaire et cela a toujours crée des vagues. J’ai toujours tenu tête à mon père, comme à l’industrie de la musique. Aujourd’hui, j’ose dire : personne ne changera qui je suis, qui j’aimerais. Je ne veux pas être dans un mensonge à propos de qui je suis.
Quand vous écrivez un morceau, pensez-vous à ceux que vous pourrez aider ou d’abord à ce que cela soit cathartique ?
Les deux. Écrire me fait du bien et je cherche de l’amour d’une certaine façon. La musique est pour moi quelque chose thérapeutique, qu’elle soit joyeuse ou plus mélancolique. Elle permet de reconstruire et de repeindre le monde qui nous entoure. Et de célébrer ces personnes féroces que l’on est malgré les traumas et ce qu’on se prend dans la figure quand on s’habille ou se comporte d’une certaine façon. Mais je sais aussi que ça peut aider d’autres personnes, en véhiculant des messages. J’ai reçu beaucoup de messages sur Instagram de personnes me parlant de l’impact de Sliimy sur leur vie à la fin des années 2000. Quelqu’un de queer apparaissait à la télé et « s’immisçait » chez eux, dans leur foyer. Ils voyaient alors si leurs parents étaient agressifs ou si, au contraire, ils m’appréciaient. Ça a permis d’ouvrir le dialogue concernant leur identité.
On trouve sur ce nouvel EP des morceaux tristes mais aussi d’autres plus dansants, destinés aux clubs. La nuit vous a-t-elle beaucoup influencée ?
Oui car elle m’a permis de libérer beaucoup de choses. C’est un espace de vie important car on y retrouve des gens qui n’ont pas forcément de place dans la journée. Des lieux comme les clubs permettent de se sentir safe, en communion avec d’autres personnes et d’expérimenter la mode d’une autre manière, sans le poids des regards. Je parle dans mes chansons de comment on se reconnecte au présent et on puise de la force que ce soit grâce à l’immersion dans la fête, une communauté, une ville (comme Paris où je me suis installée, New York où j’ai beaucoup voyagé ou encore Berlin où j’ai vécu un an) ou le vêtement. On a tous le droit de vouloir se sentir fort et en sécurité.
En 2009, vous avez tourné avec Britney Spears, qui a récemment fait l’objet de deux documentaires édifiants centrés sur la tutelle abusive de son père. Quel souvenir gardez-vous de la star ?
C’était fou car je possédais des posters de Britney dans ma chambre quand j’avais 9 ans ainsi qu’un classeur avec des images de magazines et ses paroles. Mon père se moquait tout le temps de moi d’ailleurs. Quand on m’a appelée pour faire sa première partie, j’ai cru que j’allais faire un malaise. Je n’y croyais pas. Il n’y avait aucune chance, à part un alignement des astres, pour qu’ils prennent un petit artiste venant de Saint-Etienne. Elle était vraiment adorable. Elle m’a même remerciée en personne d’avoir accepter sa première partie, alors que c’est moi qui lui était reconnaissante. Après, ce qui était triste, c’était qu’il s’agissait d’une de ses tournées sous tutelle. J’ai du faire tout ce dont ils parlent dans le documentaire produit par le New York Times qui lui a été consacré comme les tests de drogues. Des médecins l’entouraient constamment.
Vous avez été découverte sur Myspace. Aujourd’hui, c’est TikTok qui joue ce rôle de mise en lumière des artistes. Comment résumeriez-vous l’importance des réseaux sociaux par rapport au succès ?
Internet m’a permis de percer alors que je ne venais pas d’un milieu favorisant une carrière d’artiste. Mon père bosse dans la réinsertion des jeunes qui sortent de prison, dans le social. Ma mère avait fait les Beaux-arts et possédait une sensibilité très artistique. Tout en travaillant comme standardiste dans une assurance, elle dessinait beaucoup et créait des bijoux berbères inspirés par ses origines marocaines. Mais elle n’a pas eu l’opportunité de développer cet aspect de sa personnalité. Grâce à Internet, on peut construire des choses folles en partant de rien. Cela ouvre des portes difficiles à déverrouiller quand on ne vient pas de ce milieu et qu’on n’a pas les clés. Les réseaux sociaux fonctionnent comme des fenêtres ouvertes sur un grand nombre de personnes et de communautés. Des artistes peuvent prendre une place qu’ils n’auraient pas eue autrement, trouver un public, une famille, à l’autre bout du monde. On peut faire peur à des personnes proches mais en séduire des millions d’autres plus ouvertes d’esprit.
Sur vos nouvelles photos, vous êtes habillée en Mugler. Quel rôle joue la mode dans votre univers ?
Ce que j’adore dans la mode, c’est qu’elle peut être une extension de ce qu’on raconte, de la musique, de soi. C’est une première lecture de qui l’on est, qui envoie un message mais qui permet aussi de repeindre les choses autour de soi. Quand je repense à certains moments de ma vie, les looks fous que je portais m’ont vraiment aidés. Le vêtement donne de la force et du courage. Pendant ma transition, j’ai porté une robe qui m’a donnée une confiance que je n’en avais au début. Et le fait de m’habiller avec du Mugler m’a apporté énormément de puissance. Cette veste avec de grandes épaules m’a faite avancer. La transition est un changement très personnel et intense et la mode me permet d’expérimenter des choses. Parce que je me trouve belle dans une tenue, ça va m’amener à dépasser des choses dont j’aurais pu avoir peur.
Solo (2022) de Yanis, disponible sur toutes les plateformes.