Rencontre avec Vladimir Cauchemar : “J’adorerais pouvoir chanter mais j’ai une voix de merde”
Sous les traits saillants du squelette se cache un musicien, à l’aise dans tous les registres, du rap, à l’électro en passant par la musique classique. C’est pourtant une dizaine de rappeurs – Vald, Lala &ce ou Freeze Corleone – que Vladimir Cauchemar a réuni sur Brrr Ep, son nouvel opus d’ores et déjà disponible. Il a accepté de livrer à Numéro les secrets de fabrication de ses morceaux…
Par Alexandre Parodi.
Son identité reste un mystère. Son visage est dissimulé sous un masque en forme de crâne humain et il ne communique que par un langage crypté aux sonorités slaves. Même le label sur lequel il est signé, le prestigieux Ed Banger Record qui a lancé Daft Punk ou Justice, se contente d’indiquer, en guise de biographie : “Vladimir Cauchemar est une énigme pour nous tous.” Mais alors d’où vient-il ? Quand on lui demande, il invente une histoire de mythologie grecque dans laquelle il aurait perdu un défi contre le dieu de la musique Apollon, le condamnant à errer éternellement aux Enfers jusqu’à ce qu’il revienne armé… d’une flûte. Un instrument que l’on retrouve justement sur son titre Aulos qui cumule plus de 16 millions de vues sur YouTube et n’est pourtant qu’une simple ritournelle sur un rythme house.
Pourtant, derrière ces morceaux aux allures de parodies se cache un instrumentiste minutieux qui orchestre tout au détail près. De Lomepal à Orelsan, Vladimir Cauchemar compose pour les rappeurs les plus en vue. D’ailleurs, son premier disque, Brrr Ep, est constitué de dix titres, dont quatre inédits, tous en collaboration avec un rappeur. Lala &ce, Freeze Corleone, Rim’k, Vald ou Laylow posent tour à tour sur des tubes de festival et des morceaux plus éthérés et introspectifs. Rencontre.
Numéro : Vous n’apparaissez jamais sans votre masque et transformez toujours votre voix. Les rappeurs avec lesquels vous collaborez ont-ils vocation à s’exprimer à votre place ?
Vladimir Cauchemar : Produire un morceau de A à Z, poser au micro, m’enregistrer, composer la musique, faire tout, tout seul, j’en ai toujours rêvé. Si j’avais la chance d’avoir une belle voix, j’aurais adoré pouvoir chanter. Malheureusement, j’ai une voix de merde.Et puis, je n’ai jamais travaillé mon écriture. Donc je contacte des rappeurs que j’aime et tente de les convaincre d’entrer dans mon délire.
Comment avez-vous sélectionné les artistes qui participent à ce projet ?
Instagram devrait clairement sponsoriser ce disque car c’est sur ce réseau que j’ai contacté la plupart des invités pendant le deuxième confinement. Lala &ce propose quelque chose de tellement original que j’ai immédiatement pensé à elle pour ce projet. J’ai aussi choisi Vald parce qu’il me ressemble dans sa dimension absurde. Il est capable de composer une musique très sombre puis, le lendemain, le titre Footballeur avec des paroles insensées sur une instru reggae…
Vous avez déjà exploité de nombreux registres différents. Comment passe-t-on d’un son très mélancolique pour Clara Luciani à une musique de club pour Vald ?
Je travaille toujours de la même manière. Je me lève quand tout le monde dort encore, vers 5h du matin. Je travaille seul, dans le silence, quand il n’y a personne. Je ne suis pas un grand fanatique des studios. Je m’y rend surtout pour rencontrer les artistes et enregistrer leurs voix. Ensuite, je récupère tout, et je fais ma cuisine dans mon coin. C’est ce que j’ai fait pour le morceau Blizzard, avec le rappeur Benjamin Epps. Entre l’instru sur laquelle il a posé et celle qu’on écoute aujourd’hui, ce n’est plus du tout le même morceau. J’incite toujours l’invité à s’enregistrer sur un son assez dépouillé, pour ensuite retravailler la production chez moi, au calme. C’est une manière de laisser plus de place à l’artiste. Si je lui présente quelque chose de trop complexe dès le départ, il n’as pas assez de marge pour exprimer son propre univers.
De nombreux rappeurs ne se contentent plus de poser leur voix sur les morceaux mais composent eux-même leurs instru. Est-ce que certains vous ont agacé à vouloir tout contrôler ?
Ouais, mais ça ne me dérange pas. Par exemple, Laylow a été très pointilleux avec ses enregistrement de voix, ses effets, le mixage avec l’instru. Rim’k aussi d’ailleurs. Celui qui m’as le plus impressionné sur l’album, c’est Lefa. On ne s’est pas vu en studio a cause du confinement, il a tout enregistré de son côté. On ne m’a jamais livré un enregistrement de cette qualité. Le mec sait bien rapper, sait bien éditer, les effets sont impeccables, c’est très technique.
En 2019 vous annonciez qu’après “Flute trilogy”, une série de trois morceaux mêlant de la flûte à des ambiances électro et hip-hop, vous mettriez un terme à l’usage de cet instrument. Finalement, vous en jouez encore dans cet album… Vous n’arrivez pas à vous en débarrasser ?
Non, non alors ça, j’aurais mieux fais de me casser une jambe plutôt que de dire ça [rires]. Depuis, j’en ai fait plein des morceaux. C’est une marque de fabrique qui me fait bien rire aussi.
Au-delà de la blague, êtes-vous vraiment influencé par la musique classique ?
J’ai une formation classique de pianiste. C’est quelque chose que je connais, que j’ai pratiqué, ça reste une grande source d’inspiration. Je joue aussi de la guitare, de la batterie et de la basse. D’ailleurs j’ai bien envie que Vladimir Cauchemar joue de la guitare dans un groupe qui fait beaucoup de bruit, très noise. Et je penses que je vais bientôt le faire.
Ne craignez-vous pas de vous égarer parmi toutes ces expérimentations musicales ?
C’est à la fois ma qualité et mon défaut. Je ne veux jamais m’ennuyer alors je fais toujours pleins de choses, parce que je sais faire plein de choses. Mais parfois, je perds un peu les gens en route. Moi j’y vois une grande cohérence, pourtant, entre le dernier clip que j’ai sorti, Blizzard, et le morceau d’avant avec Rim’k et Laylow, il y a de grande différences. Le premier est très éthéré, il n’y a même pas de partie rythmique alors que le deuxième c’est de la basse qui tabasse.
Préférez-vous votre métier de producteur ou de DJ, en live derrière les platines ?
J’adore faire le DJ, c’est un jeu pour moi. J’improvise beaucoup sur scène, chaque soir est différent. vous partez dans un délire, vous vous rendez compte que ça ne prend pas, vous changez de cap pour un autre délire. Je trouve ça très ludique, beaucoup plus que lorsque je faisais des concerts en tant que pianiste. La part d’imprévu était bien moins grande. Je jouais mon répertoire, et puis ça s’arrêtait là. Je suis très malheureux de ne plus jouer en ce moment. Mon quotidien c’était de prendre des avions, de découvrir de nouveaux endroits, de voir les gens s’amuser.
Et d’offrir de nouvelles tenues à votre personnage… Vous portez même un chèche Dior sur la couverture de l’album, c’est important la mode quand on est un squelette ?
Je suis comme les rappeurs, on ne va pas se mentir, j’aime le bling. Récemment j’ai vu Asap Rocky en kilt… ça commence à me causer cette histoire. Mon personnage est un terrain de jeu énorme pour ça (oui, je parle de lui à la troisième personne). Tout lui va. J’aime surtout lui mettre un petit bandana sur le devant, à la Tupac.
Brrr EP de Vladimir Cauchemar est disponible en boutique et sur toutes les plateformes.