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Rencontre avec Rina Sawayama, la pop star qui a conquis Elton John et Keanu Reeves
L’auteure-compositrice-interprète, mannequin et actrice nippo-britannique Rina Sawayama est encore peu connue chez nous, mais elle a déjà tout d’une star. Rencontre avec une artiste visionnaire qui a collaboré avec Elton John, Lady Gaga et Charli XCX et joué dans le blockbuster John Wick : Chapitre 4 aux côtés de Keanu Reeves.
propos recueillis par Violaine Schütz.
L’auteure-compositrice-interprète et actrice nippo-britannique Rina Sawayama est la nouvelle prêtresse de la pop qui ose toutes les audaces et fascine. Diplômée en sciences politiques, elle affiche ouvertement sa bisexualité et sa pansexualité et crée une musique vivifiante qui télescope tous les genres : nu metal, country ou encore R’n’B. Engagée, celle qui a collaboré avec Elton John, Lady Gaga et Charli XCX, utilise sa musique pour faire passer des messages sur la possibilité d’aimer qui l’on veut ou contre les préjugés racistes. Après avoir sorti deux albums aventureux, elle partageait l’affiche du film d’action John Wick : Chapitre 4 avec Keanu Reeves, en mars dernier. Elle y jouait la magnétique Akira, une concierge d’hôtel éprise de vengeance, qui enchaînait les cascades avec la même grâce qu’elle arbore en traversant tous les arts qu’elle affectionne.
Rina Sawayama, une pop star visionnaire dans les pas de Lady Gaga
On se souvient avec émotion de la première fois qu’on a vu le visage magnétique de Rina Sawayama. C’était en 2016, dans un projet photographique de l’artiste visuelle taïwanaise John Yuyi qui questionnait les canons de beauté asiatiques. Des chiffres, des mots et des symboles marquaient le visage de la jeune femme aux cheveux oranges au sein de clichés aussi séduisants qu’inquiétants. Cette esthétique cyborg s’évertuait à déjouer les idéaux de la culture anime et kawaii objectifiant les femmes et évoquant la pression des réseaux sociaux. Et tout le charisme de Rina Sawayama était déjà là : l’engagement, l’anticonformisme et une beauté aussi étrange que pénétrante…
Depuis, l’artiste nippo-britannique de 32 ans est devenue une sensation pop complexe, ultra moderne et fascinante. Elle a étudié la politique, la psychologie et la sociologie à l’Université de Cambridge (dont elle est sortie diplômée en sciences politiques) tout en multipliant les contrats de mannequinat prestigieux. La jeune femme née à Niigata au Japon a ainsi posé pour Versus vs Versace, défilé pour Balmain et fréquente aujourd’hui les premiers rangs des Fashion Weeks (Chanel, Schiaparelli, Versace et Balenciaga) en arborant des tenues extravagantes et pointues.
Celle qui a commencé la musique en 2013 et a chanté dans un groupe de hip-hop (Lazy Lion), s’est fait remarquer en 2020 avec un premier album très réussi et aventureux, Sawayama, en 2020, qui mélangeait les genres (pop, nu metal, R’n’B, dance) et abordait des sujets importants. Sur l’un de ses singles, STFU!, l’artiste dénonçait notamment les agressions subies en raison de ses origines. Celle qui a collaboré avec Elton John, Charli XCX et Lady Gaga n’a de cesse de faire bouger les lignes.
Il y a trois ans, Rina Sawayama expliquait sur Twitter de pas être éligible pour figurer sur les listes de remises de prix du Mercury Prize et des Brit Awards, car elle ne possède pas la nationalité britannique. Suite à son post, le hashtag #SawayamaIsBritish fait son apparition sur le réseau social et l’association British Phonographic Industry (BPI) décide de modifier les règles pour que tous les artistes vivant au Royaume-Uni depuis cinq ans puissent gagner ces prestigieuses récompenses.
Avec son nouvel album, Hold the Girl, sorti en septembre 2022, Rina Sawayama a continué à inspirer et à changer le monde. Dans le premier single qui en est extrait, This Hell, on voit l’artiste qui se définit comme pansexuelle et bisexuelle, épouser à la fois un homme et une femme. Libre et fière, la Nippo-Britannique qui était à l’affiche de John Wick 4, au côté de Keanu Reeves, en mars 2023, et se produisait il y a quelques jours au festival de Glastonbury, devrait bientôt avoir le monde à ses pieds. Mais en attendant, lorsqu’on la rencontre dans sa chambre jonchée de vêtements de créateur du luxueux hôtel Bristol, à Paris, elle reste une jeune femme accessible, sensible et d’une grande intelligence émotionnelle.
« C’est un album qui parle de se défaire de ses traumas. » Rina Sawayama
Numéro : Vous êtes souvent à Paris pour assister notamment à la semaine de la couture…
Rina Sawayama : J’étais récemment aux défilés Chanel, Schiaparelli et Balenciaga. C’étaient mes premiers shows haute couture et j’ai trouvé ça incroyable. La mode est une industrie très créative. Tout bouge très vite et j’aime voir les nouvelles idées et directions prises par les designers pour chaque saison, surtout pour la couture.
Vous avez été mannequin, signée notamment chez Elite, avant de percer dans la musique. Quel souvenir en gardez-vous ?
J’ai commencé à être mannequin pour me faire un peu d’argent que j’économisais pour financer ma musique. En fait, tout l’argent de mes jobs allait dans la musique. Ça m’a donné l’occasion de voir le véritable « ventre » de la mode. Car les shootings sont, pour moi, le cœur de la mode. J’ai appris la dynamique des éditos, compris ce que chaque personne faisait sur une séance photo et cela m’a rendu très patiente car il faut attendre des heures entre les prises. Et la patience est quelque chose qui m’a beaucoup servi dans ma carrière artistique. Tout ne s’est pas fait en un jour, ça a été un long processus avant de sortir mon premier album.
Vous avez sorti en septembre dernier votre deuxième album, Hold the Girl. Sur la pochette, vous portez une tenue délirante qui évoque les looks de David Bowie par Kansai Yamamoto…
Merci, je le prends comme un compliment. C’est une image prise par Thurstan Redding, un photographe français que j’adore et avec qui je suis allée à l’université en Angleterre. Cette pochette représente une forme d’isolement et de gestation. On dirait que je vais accoucher de quelque chose, avec cette forme ronde en bas de mon corps. C’est comme si quelque chose vivait à l’intérieur de moi et que ça devait sortir. Ce n’est pas une métaphore du fait d’être enceinte mais cette image renvoie plutôt au concept d’accoucher beaucoup de choses personnelles avec cet album. Le titre Hold the Girl (dont j’ai eu l’idée lors d’une séance de thérapie) fait référence à mes tentatives pour comprendre la personne que j’ai été plus jeune, notamment enfant. C’est un album qui parle de se défaire de ses traumas (Rina Sawayama y évoque le fait d’avoir été manipulée, adolescente, par un homme plus âgé, ndlr).
« J’ai pensé à mes amis queer qui viennent d’un background chrétien et à qui on disait qu’ils iraient en enfer. » Rina Sawayama
Votre single intitulé Catch Me In The Air est dédié à votre mère, qui rend hommage à son courage… Comment est né ce morceau ?
Je lis beaucoup et mes idées partent souvent de livres. Catch Me In The Air est une une phrase que j’ai lue dans un ouvrage et dont j’ai changé un mot pour rendre l’expression plus intéressante. Quand je lis ou que j’observe quelque chose (un film par exemple), et qu’une sentence résonne en moi, je vais la noter sur mon téléphone. Et souvent, mes morceaux démarrent ainsi. J’essaie de raconter des histoires qui n’ont pas été racontées avant. On parle souvent des histoires d’amour romantiques, mais moins des histoires d’amour avec sa famille et ses amis. Ce sont des choses sur lesquelles j’ai envie d’écrire. Sur ce morceau, j’ai écrit de la perspective de ma mère. J’ai grandi avec une mère célibataire. Mes parents ont divorcé quand j’étais adolescente et c’est elle qui m’a élevée. Être élevée par une mère célibataire et être enfant unique peut s’avérer très intense. On voit souvent nos parents comme s’ils étaient avant tout nos géniteurs, sans réaliser que des personnes se cachent derrière. On les perçoit comme une entité : les parents et non comme des êtres humains avec leurs doutes et leurs faiblesses. Alors que je grandissais, ma mère grandissait aussi en tant qu’adulte en s’occupant de moi. Ce que je ne réalisais alors pas. Les parents aussi grandissent, s’élèvent, face aux problématiques qui se posent à eux quand ils élèvent un enfant. Ce titre parle aussi du fait de devenir son propre parent, d’être bienveillant envers soi-même.
Vous avez aussi sorti un tube intitulé This Hell. Dans le clip, vous épousez à la fois un homme et une femme. Et le titre fait référence aux propos de certains conservateurs qui voudraient que les personnes queer, dont vous faites partie, aillent brûler en enfer…
En fait, au départ, ce morceau disait : « Happiness is better with you » mais je n’arrivais pas à me connecter vraiment à cette phrase. Puis j’ai pensé à mes amis queer qui viennent d’un background chrétien et à qui on disait qu’ils iraient en enfer, qui ont été virés de leurs maisons, de leurs communautés. Ça arrive notamment beaucoup aux États-Unis où le milieu conservateur et religieux est très présent et agressif. Je voulais écrire sur ça, du coup le refrain est devenu : « This hell is better with you« . Ensuite, j’ai lu dans les commentaire du clip quelqu’un qui me disait : This Hell me fait danser et pleurer en même temps. Ça m’a touché car c’est exactement l’idée que j’avais en tête.
« C’est assez toxique de dépendre de quelqu’un pour se sentir bien. » Rina Sawayama
Sur l’un de vos morceaux intitulé Frankenstein, vous chantez : « I don’t wanna be a monster anymore. » Est-ce une manière de dire que tous les artistes sont des freaks ?
J’ai enlevé le côté horrifique de l’histoire de Frankenstein. Très prosaïquement, ce morceau tourne autour de l’idée de quelqu’un qui me remet d’aplomb et me répare alors que je suis brisée. Je suis en morceaux, avant d’être recomposée par une personne qui ré-assemble les parties. C’est une expérience très humaine et réaliste, de reconstruction, de création d’un nouveau moi. C’est pour ça que je chante : « Je ne veux plus être un monstre. » En même temps, c’est assez toxique de dépendre de quelqu’un pour se sentir bien, donc ce texte est un peu triste dans le fond…
Vous puisez vos influences dans de nombreux genres comme la pop, le punk, l’électro, la country, le metal ou le grunge. Comment définissez-vous votre musique ?
Je dirai que ça reste de la pop. J’avais deux buts sur cet album : écrire des morceaux représentant ce que je ressens et expérimenter avec les genres musicaux tout en restant dans un cadre pop. En tant que songwriteuse, je veux écrire des chansons toujours plus accrocheuses qui pourraient se connecter avec un grand nombre de personnes qui les chanteraient en chœur. Mais j’ai évolué en termes d’écriture sur ce disque par rapport à mon premier album. Je prends les histoires à raconter et les mélodies très au sérieux, par contre, je m’amuse avec les concepts de genres musicaux. Je passe beaucoup de temps à produire et à combiner des sons de manière la plus fun possible tout en essayant de créer des sonorités nouvelles.
« Keanu Reeves est un amour. » Rina Sawayama
Sur votre dernier album, il y a beaucoup d’influences country évoquant Shania Twain et Dolly Parton. Comment une artiste née au Japon et vivant en Angleterre se met-elle à rêver de Nashville et de santiags ?
Je me suis mise à me passionner pour la country pendant les confinements, en 2020, période pendant laquelle j’ai ressenti beaucoup d’anxiété. Comme j’étais bloquée à la maison, en Angleterre, je ne pouvais pas voyager et écouter de la country me permettait de m’évader. J’écoutais les chansons à guitares et je pouvais voir défiler des paysages. Je suis quelqu’un de très visuel. Pour la musique de Catch Me In The Air, inspirée par le groupe irlandais, The Corrs, j’avais envoyé une photo du littoral irlandais au producteur Stuart Price pour lui signaler ce que j’avais en tête. Pour la country américaine, tout est parti de la découverte de la chanteuse et guitariste Kacey Musgraves, quand elle a remporté plusieurs Grammy Awards. Je la trouve géniale, tout comme Dolly Parton, dont j’ai adoré la BO pour le film Dumplin‘ (2017) sur Netflix. La country est un style musical qui paraît simple, mais ce n’est pas si facile à faire, c’est très raffiné. Ce n’est pas qu’un son. Le songwriting, le storytelling et l’imaginaire attaché à cette musique sont très puissants. J’aime le fait que la country soit aussi honnête, authentique et reliée à l’idée de confort d’une maison autant qu’au sentiment d’évasion.
Vous avez travaillé avec Elton John, Lady Gaga, Shamir, Charli XCX ou encore la chanteuse et drag queen brésilienne Pabllo Vittar. Comment choisissez-vous vos collaborations ?
Ce sont des artistes que j’admire mais aussi de bonnes personnes. Je ne sépare pas le pro du personnel. Charli est quelqu’un de super. Elle est très généreuse. Elle m’a laissé beaucoup de place sur son morceau, Beg For You. On se texte beaucoup mais on n’a pas encore le temps de dîner et de faire la fête. Il faut qu’on remédie à ça. Je n’ai entendu que de bonnes choses sur Gaga et Elton, et Pabllo est un ange. Pour le futur, j’adorerai travailler avec Dolly Parton, Kacey Musgraves et Metallica, que j’ai eu la chance de reprendre pour leur projet The Metallica Blacklist. sorti l’an dernier.
Vous étiez à l’affiche de John Wick 4 en mars 2023, aux côtés de Keanu Reeves. Comment s’est passé le tournage ? Keanu Reeves est-il aussi gentil qu’on le dit ?
C’était incroyable, je me bats dans le film et je me suis entraînée à faire des cascades. C’était une expérience folle. En fait, j’avais déjà auditionné pour des films avant et j’ai un agent de cinéma. Mais ça n’avait rien donné. Là, c’est carrément l’équipe du film qui a vu mes vidéos (notamment l’une d’elles où je me bats, Bad Friend) et qui a adoré. Ils m’ont appelé et m’ont proposé de venir à Berlin pour tourner des scènes. Quant à Keanu Reeves, c’est un amour. Il est très doux, « chill » et a les pieds sur terre, et il est très cool. Il n’a pas d’ego. C’est quelqu’un de vrai et d’humain. C’est quelqu’un de très vrai. Les rumeurs positives à son sujet sont donc tout sauf mensongères.
Hold the Girl (2022) de Rina Sawayama, disponible.