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Rencontre avec Rejjie Snow, le rappeur discret qui brise les codes du hip-hop
Rejjie Snow occupe une place à part dans la scène rap internationale. Contrairement à ses homologues londoniens et américains omiprésents dans les charts, sur les réseaux sociaux et en front row des défilés de mode, l’Irlandais a construit sa carrière aux antipodes des codes du hip-hop, sortant son deuxième album Baw Baw Black Sheep trois longues années après le premier et préférant se concentrer sur sa famille, ses amis et sa musique. Rencontre.
Propos recueillis par Chloé Sarraméa.
Rejjie Snow occupe une place à part dans la scène rap internationale. Contrairement à ses homologues londoniens et américains omiprésents dans les charts, sur les réseaux sociaux et en front row des défilés de mode, l’Irlandais a construit sa carrière aux antipodes des codes du hip-hop, sortant son deuxième album Baw Baw Black Sheep trois longues années après le premier, dévoilant des clips où il ne se met presque jamais en scène et préférant, suite au succès rencontré par Dear Annie (2018), se concentrer sur sa famille, ses amis et (lorsqu’il trouve le temps) sa musique. Il l’avoue lui-même : à 27 ans, la timidité qu’il traîne depuis l’enfance lui colle encore à la peau. Il ne comprend pas (et ne comprendra sans doute jamais) le branle-bas médiatique autour des rappeurs. Une sensibilité et une discrétion qui se ressentent dans sa musique, qu’il envisage la plupart du temps comme un grand projet collaboratif. Pour son dernier opus, sorti le 9 juillet, il s’est entouré du talentueux producteur Cam O’Bi et a produit un son aux frontières du hip-hop, de la pop et de la disco, où se côtoient des idoles de la génération Z, dont Snoh Aalegra, Tinashe et… le regretté MF Doom. L’occasion de s’entretenir avec un artiste accompli, un ex-éruptif qui a trouvé la quiétude, surtout depuis qu’il est devenu père d’une petite fille. Il jongle désormais entre les couches et les sessions en studio.
Numéro : Votre dernier album est très lumineux mais empreint de quelque chose de funeste… Vous avez enregistré un titre avec MF DOOM, légende très discrète du hip-hop britannique, juste avant qu’il meure. Comment l’avez-vous rencontré ?
Rejjie Snow : Nous avons été présentés par un ami commun il y a quelques années. C’était quelqu’un de très secret, qui s’est construit un personnage. Je sais donc peu de choses sur lui, j’ignore où il vivait… La collaboration s’est faite très simplement : je lui ai envoyé la chanson et il m’a renvoyé le couplet.
Au lendemain de l’annonce de sa mort, Q-Tip d’A Tribe Called Quest résumait ce qu’MF Doom représentait pour tous les rappeurs internationaux : “Le MC [maître de cérémonie] préféré de ton MC préféré.” Était-ce votre cas ?
C’est quelqu’un que j’écoute vraiment tous les jours. Sa musique a changé ma vie, elle m’a incité à être créatif, à vraiment me lancer… Avoir l’opportunité d’exister dans son monde, c’était… il n’y a pas de mots pour décrire cela. Chaque fois que j’écoute la chanson qu’on a faite, ça me rend tellement heureux. Finalement, c’est peut-être la seule chose que je voulais réaliser dans la musique.
MF Doom n’est pas le seul invité sur votre album : on peut notamment citer les chanteuses américaines Snoh Aalegra et Tinashe. Souhaitiez-vous particulièrement mettre d’autres artistes en avant ?
Pour moi, les collaborations sont l’occasion de faire découvrir quelqu’un de nouveau. Je n’essaie pas de faire comme les autres… En fait, travailler avec des gens que je choisis, c’est aussi faire attention à la façon dont je veux présenter ma musique. Une musique qui, entre autres, est très influencée par ma passion pour les films de la blaxploitation ou les années 70.
Dans quelle mesure votre enfance en Irlande, un pays très catholique, a-t-elle influencé votre musique ?
Je ne crois pas que la religion catholique ait influencé ma musique. Finalement, en Irlande, la religion n’est pas si présente – en tout cas à Dublin. Il y a un déclin du pouvoir de l’Eglise, peut-être parce que les célébrités sont devenues des dieux. Aujourd’hui, les gens se fient plus aux stars qu’aux prêtres !
Il y a vingt ans, on n’aurait sans doute jamais vu un rappeur comme Kid Cudi porter une robe lors d’un concert. Auriez-vous envie de faire de même ?
Bien sûr ! Quand je suis avec ma copine, j’adore porter des robes ! Ce qu’à fait Kid Cudi, c’est vraiment l’incarnation du cool pour moi. Un monde dans lequel les gens peuvent s’habiller comme ils veulent. J’espère que les rappeurs porteront des robes dans les années à venir… C’est juste un morceau de tissu, ça ne veut rien dire.
À la sortie de Dear Annie en 2018, vous disiez être préoccupé par la question d’évoluer en tant qu’homme noir dans une société d’hommes blancs. Est-ce toujours le cas ?
Plus maintenant. Quand j’étais plus jeune, j’étais effectivement très confus quant à ma place dans le monde, mais plus dernièrement. J’essaie de me concentrer sur des choses plus positives. Je veux juste être une bonne personne, traiter tout le monde de la même façon. Il y a tellement de problèmes dans le monde qui me préoccupent profondément, mais quand je fais de la musique, j’essaie de me séparer des idéologies ou des préoccupations liées à la société. Je fais juste du son, quelque chose qui génère des émotions simplement.
Dans vos chansons, vous parlez parfois de drogue. Est-ce un passage obligé quand on fait du rap ?
Oui, ça doit être propre au rap ! [Rires.] On se met la pression pour parler de ces choses-là : les drogues, les femmes…
La drogue aide-t-elle vraiment à créer ?
Disons que les gens commencent à fumer de la majijuana par insécurité, parce ce qu’ils ne se connaissent pas vraiment et se contentent de suivre ce que font les autres. En vieillissant, on réalise que fumer n’est pas la solution.
Baw Baw Black Sheep (2021) de Rejjie Snow, disponible.