8 juin 2017

Rencontre avec le chanteur folk Ásgeir et sa pop solaire

Après le succès international de son premier album, l’Islandais Ásgeir revient avec un nouvel opus délicat et solaire. “Afterglow” consacre la mue du chanteur folk en auteur pop de haute volée, nourri par le R’n’B de Beyoncé et James Blake.

Il y a un peu plus de quatre ans, l’Islandais Ásgeir sortait un premier album aux ballades folks et electronica sensibles et au succès retentissant. Dýrð í dauðaþögn supplantait Björk et Sigur Rós dans le panthéon des meilleurs ventes d’artistes locaux en Islande. Argument marketing massif : 10 % de la population avait acheté ce premier opus. Évidemment, en chiffres bruts, cela ne représentait pas plus de 30 000 personnes, mais l’idée d’une nouvelle vague islandaise s’était imposée. En 2013, les paroles étaient traduites en anglais pour le marché international par l’excellent songwriter américain John Grant. La France réservait alors à Ásgeir un accueil cinq étoiles. Mais, comme le notait le Guardian en 2014, peut-on vraiment faire confiance à un pays où “Demis Roussos a vendu plus de singles que les Beatles” ? Apparemment, oui.

 

Si le premier album proposait de très efficaces (et peut-être trop polies) épopées folks façon Elliott Smith ou Jeff Buckley, on y distinguait déjà un tropisme pour la musique électronique planante d’un James Blake et les expérimentations à la machine d’un Bon Iver. “Je suis un grand fan du songwriting de Chairlift, d’Alt-J, avec qui j’ai tourné, et de Tame Impala”, expliquait le musicien lorsqu’on le rencontrait à Paris. Et c’est bien ce versant indie qui faisait augurer du meilleur pour l’avenir. Entre-temps, et c’est l’artiste lui-même qui l’avoue, il s’est plongé avec passion dans le récent Lemonade de Beyoncé, variation ingénieuse autour de la ballade R’n’B. Quel effet peut provoquer Beyoncé chez un Viking islandais ? Une certaine illumination. Afterglow, c’est le nom de son deuxième album, se traduit aussi bien par “dernières lueurs du jour” que par “sentiment de bien-être”. “La lumière et le soleil sont au centre de l’album, commente Ásgeir, et plus particulièrement ce moment singulier du coucher de soleil. Là où la communion avec la nature s’impose comme une évidence.” Ce second opus marque en effet un éveil au monde, aux sentiments et aux sensations. Et la mue d’un auteur folk islandais en artisan d’une pop de haute volée, une musique hybride entre R’n’B saturnien et électronique déréglée, ballades éthérées d’un classicisme revendiqué et inventivité plastique malmenant la matière sonore.

Sur Afterglow, ces puissances musicales très contemporaines rencontrent les forces telluriques et gazeuses de l’Islande. Enfant sauvage devenu maître des grands espaces, Ásgeir convie la nature et invoque les éléments à coups de nappes de synthé aériennes ou aquatiques. Les jaillissements des geysers, les effusions volcaniques et les tempêtes hivernales trouvent naturellement leur traduction musicale. Ses mélodies toujours aussi lumineuses semblent même emprisonner des chants d’animaux marins. “Je n’ai jamais trouvé mon bonheur en ville, confie-t-il. Je n’aime pas sortir de ma zone de confort, quitter ma communauté et la nature.” L’ancien champion de javelot est plus sensible et timide que ne le laissent penser son physique massif et sa musique épique. Si l’ambition pop assumée peut parfois faire louvoyer l’ensemble vers l’effusion sentimentale (Coldplay), Ásgeir connaît ses limites (et celles du bon goût). Sa voix demeure pure, plus maîtrisée qu’auparavant, après une longue tournée internationale. Son répertoire vocal est élargi. La magnifique bizarrerie de ses beats déconstruits et de ses nouveaux jeux de voix apporte à son lyrisme naturel ce qu’il faut d’inventivité. Et si l’Islandais reconnaît un accouchement difficile pour ce second opus – “je me suis beaucoup perdu dans les détails et les questionnements”, admet-il –, ç’aura été pour la bonne cause.