Rencontre avec Iliona, la chanteuse qui magnifie nos chagrins d’amour
Après deux EP très prometteurs, la chanteuse belge Iliona dévoile What If I Break Up With U?, un premier album intime et bouleversant, traversé par les mille nuances de la rupture amoureuse. Adoubée par une foule d’artistes à l’image d’Angèle et Blood Orange, elle s’impose comme l’une des voix francophones les plus attachantes de la scène actuelle. Rencontre
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Iliona, la chanteuse belge à suivre de près en 2025
Après deux années passées à composer dans l’intimité de son appartement bruxellois, la chanteuse belge Iliona met fin à une absence qui commençait à se faire sentir. À tout juste 24 ans, elle défend What If I Break Up With U?, un premier album où la mélancolie, les confessions très personnelles et la pop sophistiquée sont au rendez-vous.
Un rite de passage que l’auteure-compositrice-interprète et productrice réussit haut la main. Au gré d’un disque composé de 11 titres de bedroom pop, aussi bien influencés par l’héritage musical de Françoise Hardy que par le style unique de son compatriote belge Stromae.
Dans ses textes, l’artiste qui a parfois composé pour d’autres jeunes pousses de l’industrie (Zed Yun Pavarotti, Yoa) évoque les difficultés qui accompagnent le passage à l’âge adulte autant que ses amours déçues.
Un premier album qui dissèque la complexité du sentiment amoureux
Dans la lignée de ses deux précédents EP – Tristesse (2021) et Tête brulée (2022) – déjà empreints de spleen, Iliona cristallise toutes les fêlures et les peurs de la génération Z dans son premier disque. De la ballade inaugurale Welcome au titre 23 (en clôture de l’album), sur lequel elle évoque sur fond de drum n’ bass les désillusions accompagnant la signature de son premier contrat, l’artiste dissèque l’amour et ses décombres, entre nappes de piano et montées électroniques vertigineuses.
Un mélange d’intime et d’universel qui semble toucher une corde sensible chez beaucoup d’auditeurs, comme en témoignent les 630 000 auditeurs mensuels qu’elle réunis sur Spotify, ainsi que les deux concerts qu’elle donnera l’Olympia au mois de novembre 2025, dont le premier est d’ores et déja sold out.
Preuve ultime que sa musique – souvent comparée à celle d’Angèle – vise en plein cœur ? Une foule éclectique d’artistes, à l’image de l’actrice et chanteuse Leslie Medina mais aussi de Claude, Georgio ou encore du rappeur Bekar, se pressent à l’occasion sa release party organisée à Paris, quelques heures avant que son projet ne fasse officiellement son arrivée (attendue) sur les plateformes de streaming. Rencontre avec une jeune artiste qui ira loin.
L’interview de la chanteuse Iliona
Numéro : Quelques années après avoir dévoilé l’excellent EP Tristesse (2021), vous sortez votre premier album. Vous sentiez que c’était le bon moment…
Iliona : Le disque a entièrement été enregistré chez moi à Bruxelles et je suis très heureuse d’avoir pris du temps entre la sortie des deux EP, qui sont arrivés coup sur coup. Parfois, c’est agréable de faire un pas de côté afin d’avoir un peu de recul sur ce que l’on fait.
Le point de départ de votre musique restera-t-il éternellement dans votre chambre ?
Pour composer ce disque, je me suis enfermée à Bruxelles pendant deux ans. C’est là que j’ai enregistré les voix, que j’ai fais toutes les prods et que j’ai commencé à mixer l’album. En tout dernier lieu, je me suis rendue au studio Rue Boyer, à Paris, avec Maxime Le Guil (mon ingénieur du son) pour parfaire les derniers arrangements. À chaque fois, que j’entre dans un processus créatif, je me dis que pour le projet suivant, je ferai ça mieux, que j’achèterai un meilleur ordi ou de meilleurs instruments. Mais une fois que j’ai la tête dans mon projet, je n’ai plus envie de changer mes habitudes.
Alors que vous cumulez des millions d’écoutes sur les plateformes, vous avez été très discrète ces trois dernières années et vos concerts ont été très rares…
J’avais besoin d’espace car il fallait que je vive pleinement ma vie. Professionnellement, j’avais besoin d’un changement d’équipe et cela a pris du temps. Beaucoup de gens m’ont demandé si je n’avais pas peur que l’on m’oublie. Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais intimement convaincue que ce n’était pas un problème. Au contraire, j’ai pensé qu’il était préférable que l’on m’oublie si cela pouvait me permettre de revenir avec un projet intéressant plutôt que de me forcer à être là pour dire des choses qui ne l’étaient pas .
Pourquoi avoir baptisé ce disque What If I Break Up With U? ?
C’est un titre que j’avais donné à un simple fichier Word, une phrase que j’avais écrite pour une compo sans trop réfléchir. Les mois sont passés, j’ai accumulé des chansons et je continuais de penser à ce titre qui me hantait. À cette période, je vivais de nombreuses ruptures : amoureuse, familiale, professionnelle. Un jour, je me suis rendu compte que ce titre-là était vraiment le point de départ de tout ce que j’ai composé sur cet album.
Pourquoi avez-vous choisi de placer le passage à l’âge adulte au centre de ce disque ?
Je ne me suis pas du tout demandé de quoi allait parler l’album. C’est une fois que je l’ai terminé que j’ai pris conscience de ce qui en ressortait le plus. Finalement, je pense qu’il a été influencé par ce que j’étais en train de vivre car j’ai l’impression que l’album parle du passage d’une tranche d’âge à une autre, avec tout ce que cela comporte. Il évoque les moments où tu décides de la personne que tu veux devenir, de ce que tu gardes dans ta vie. Je ne conçois pas comment d’autres artistes peuvent composer autrement car pour moi c’est un processus très naturel.
“Quand Blood Orange m’a écrit, je n’en revenais pas.” Iliona
Si What If I Break Up With U? n’était par une œuvre musicale, comment auriez-vous illustré votre propos ?
Si ma musique devait être un film ou un livre, je dirais que ce serait une œuvre assez absurde. Ça ne serait pas quelque chose de chronologique et linéaire. Ce qui est génial dans la musique, c’est qu’il y a évidemment les textes, mais aussi beaucoup de sentiments. Les gens se l’approprient et vivent l’émotion qu’ils ont besoin de vivre avec, que ça leur plaise ou non d’ailleurs.
Sur votre nouvel album, vous chantez “J’ai pas envie d’être connue, je me fais pitié dans mes sons”. La célébrité vous effraie-t-elle ?
Oui, je trouve la célébrité terrifiante. Mais je n’ai pas l’impression que ça m’arrive ou que ça m’arrivera. Je pense que l’on a beaucoup trop d’exemples de gens pour qui le fait d’être connu a foutu le bordel dans leur tête ou dans leur vie. Je suis hyper anxieuse et tout ce que l’on peut avoir comme peurs, je les ai. Plus philosophiquement, je pense que ma plus grande peur serait de ne pas être fidèle à ce que je ressens au fond de moi ou dans ce que j’exprime artistiquement.
“Le retentissement du mouvement #MeToo ne sera jamais assez grand.” Iliona
Dans ses textes, l’artiste francophone Yoa, avec qui vous avez signé l’arrangement de quelques morceaux, lève un tabou sur la thématique des agressions sexuelles. Le mouvement #MeToo a-t-il selon-vous eu assez de retentissement au sein de l’industrie musicale ?
C’est difficile de dire que c’est suffisant, parce que le retentissement du mouvement #MeToo ne sera jamais assez grand. Il y a toujours des retours en arrière. Même si l’on a l’impression que les gens apprennent, d’autres peuvent oublier très vite. Il y a des petites victoires mais il ne faut pas s’en satisfaire, ce serait trop dangereux.
Vous évoquiez de votre côté cette thématique à votre manière dans le titre Garçon Manqué en 2022…
C’est une chanson sur l’adolescence au sens large et sur ce sentiment d’inconfort que l’on éprouve pour la première fois à cette période. À cet âge, tu te demandes : “Qu’est-ce que je suis par rapport aux autres ?”. Je trouve cela hyper intéressant, car c’est un sentiment qui reste très flou, même lorsque l’on devient adulte. Dès qu’un sujet est un peu paradoxal, je trouve que c’est toujours intéressant d’aller fouiller dans ce qu’il nous fait ressentir.
“Je trouve la célébrité terrifiante. Mais je n’ai pas l’impression que ça m’arrive ou que ça m’arrivera.” Iliona
Vous est-il arrivé de vous voir dicter votre chemin par un label ?
Cela rejoint l’idée de devenir adulte car j’ai vécu des désillusions professionnelles lors de mes premiers pas dans la musique : une période que j’ai trouvée assez violente mais qui reste incontournable. Heureusement, j’ai toujours gardé la main sur l’artistique. Plus j’avance et plus je m’en rends compte parce que c’est l’endroit où tu peux le plus te faire abîmer.
Une partie de la musique actuelle semble influencée par TikTok. Quel est votre avis sur la question ?
Je n’ai pas du tout essayé de me calquer sur un modèle particulier. Je trouve d’ailleurs que beaucoup de chansons qui figurent sur l’album sont assez longues, en comparaison avec ce qui marche actuellement. Durant toute la composition de ce disque, je me suis dit qu’il fallait que j’aille au bout de ce que j’avais envie de dire. Je me suis alors sentie beaucoup plus libre dans la création sans avoir une idée de format prédéfini en tête. Je me suis même amusée à jouer avec cela en créant des ruptures sur certains titres.
“France Gall et Françoise Hardy sont les premières idoles musicales que j’ai eues.” Iliona
Les médias vous ont parfois comparée à des artistes comme France Gall et Françoise Hardy. Comment avez-vous perçu ces comparaisons ?
Ce sont les premières idoles que j’ai eues donc lorsqu’on me dit ça, je trouve ça fou. C’est un héritage incroyable que l’on a en francophonie. Elles ont créé plein de bébés musicaux et on peut toujours trouver un lien avec elles dans ce que l’on entend aujourd’hui. Mes autres inspirations ? Quand j’étais petite, j’écoutais beaucoup d’artistes comme Amy Winehouse, mais aussi de la pop américaine comme celle Lady Gaga. Même si ce sont des icônes hyper différentes, elles restent exceptionnelles, avec des identités visuelles, musicales et vocales très marquées.
Vous faites partie des rares représentantes de la scène musical belge, au-delà des frontières de Bruxelles. Comment ressentez-vous l’influence de cette scène musicale ?
Je suis très fière que l’on m’associe à ça, parce qu’il y a quelques années, ce n’était pas stylé d’être belge. Quand j’étais petite, je regardais en boucle les tutos que Stromae faisait. C’est ça qui m’a donné envie de faire de la production sur le logiciel Ableton. Puis il y a eu Angèle et tout le rap belge. À chaque projet, je trouve qu’entre Belges, on est hyper similaires. On a la chance de ne pas être dans une mentalité de compétition. J’ai longtemps eu l’impression qu’en tant que Belge, tout était déjà perdu d’avance. Quand tu n’as rien à perdre, tu vas encore plus loin dans la création et elle devient plus libre.
De nombreuses figures du monde de la musique semblent vous adorer à l’image d’Angèle. Quelle a été votre réaction lorsque Blood Orange a confié qu’il vous écoutait en boucle ?
Quand Blood Orange m’a écrit, je n’en revenais pas. C’est un compositeur que j’adore et qui a fait toute la bande-originale de Palo Alto (2013), l’un de mes films préférés. Je pense d’ailleurs que c’est l’une des BO qui m’a donné envie de faire de la musique.
Au sein de votre identité visuelle léchée, vous semblez accorder une place importante aux vêtements. Comment est-ce que vous évoqueriez votre rapport à la mode ?
J’ai toujours adoré la mode sans pour autant m’intéresser aux personnes qui dirigeaient les maisons. Mais j’ai l’impression que les vêtements, c’est comme des déguisements. Quand je discute avec des marques afin d’emprunter des vêtements pour des clips ou pour des performances, je n’ai pas du tout envie de prendre des looks entiers. Je préfère avoir quelques pièces très audacieuses et pouvoir les mixer.
What If I Break Up With U?, de Iliona, disponible.