5 oct 2022

Rencontre avec Bilal Hassani : « J’essaie de comprendre le mal-être de ma génération »

Cette rentrée, le chanteur français Bilal Hassani, 23 ans, est sur tous les fronts. Après un spectacle scintillant (tout en Valentino) dévoilé au Crazy Horse en septembre dernier, l’artiste est le juré flamboyant de la nouvelle saison de Danse avec les stars sur TF1 et s’apprête à sortir son troisième album, le très réussi Théorème, imaginé avec un membre du duo électro-pop Yelle, GrandMarnier. Le petit prince queer de la chanson hexagonale nous en dit plus sur ses influences (Pasolini, FKA twigs) et son statut de « role model » pour toute une génération qui envoie valser les normes et les étiquettes.

Numéro : Votre nouvel album s’appelle Théorème. Est-ce une référence au film de Pasolini sorti en 1968, qui critique avec virulence la bourgeoisie italienne ?

Bilal Hassani : C’est bien sûr une référence au livre et au film de Pasolini. Je me suis beaucoup intéressé à la manière dont il avait défendu sa liberté créative et queer à une époque où la censure était beaucoup plus violente qu’aujourd’hui. Je trouve son refus des compromis très inspirant et il a aidé à ouvrir beaucoup de portes en Europe. Il n’était pas dans « le choc pour le choc », mais dans une vraie recherche d’images à la fois belles et marquantes. Théorème, c’est en partie l’histoire de ce personnage qui arrive dans une famille rigide et qui provoque une libération chez chacun d’entre eux – je n’irais pas jusqu’à dire que je m’identifie à lui mais c’est le rôle que les médias ont souvent voulu me donner : provocateur, militant, défenseur d’un soit-disant « agenda gay ». Mais Théorème, c’est aussi l’idée d’une équation. Et cet album fait justement écho à une recherche d’équilibre émotionnel qui a marqué mes dernières années. Plutôt que de montrer un résultat, une synthèse, j’ai choisi d’assumer dans cet album des émotions crues. Il y a du chaud et du froid, des célébrations et des moments très sombres. Enfin Théorème signifie « spectacle, fête ou contemplation » en latin, trois notions importantes dans ma pratique de la chanson et de la scène.

 

Quels sont les thèmes principaux abordés sur Théorème ?

C’est un album de recherche dans lequel j’étudie encore mon identité et je réalise que je n’arriverais peut-être jamais à une version définitive de moi-même. J’y observe aussi plus les autres. J’essaie de comprendre le mal-être de ma génération, le cauchemar de vivre dans un monde à moitié éteint mais aussi trop éveillé. J’y parle également d’expériences traumatisantes que j’essayais de contourner dans de jolies métaphores. Le sixième morceau de l’album, Quelle heure est-il ?, parle d’un viol que j’ai vécu en 2019. En pleine lumière et en pleine exposition, cet événement tragique a comme court-circuité la trajectoire que je m’étais écrite. Il arrive en milieu d’album pour annoncer une tournure une plus sombre.

Musicalement, quelles sont les influences de ce disque ?

J’ai écouté beaucoup de musique électronique et d’artistes expérimentaux comme le groupe de shoegazing et de synthpop Planet 1999 et de l’artiste de Stockholm Cobrah. J’ai aussi adoré les derniers projets de Rosalía et FKA twigs. Et Yelle est toujours une grande inspiration pour moi donc bosser avec Jean-François Perrier (GrandMarnier) a facilité l’accès à certaines sonorités que je voulais explorer.

 

Comment vivez-vous le fait d’être un « role model » pour beaucoup de personnes, notamment des adolescents ?

C’est toujours difficile de comprendre et d’accepter ma responsabilité de « role model » parce que j’ai 23 ans et il m’est souvent arrivé de culpabiliser quand je faisais des erreurs. J’avais l’impression de ne pas avoir le droit. Mais comme je le dis dans l’une des chansons de l’album : « Tout est ok ». L’humain est imparfait et c’est ça qui le rend beau. Et je pense qu’il est important d’utiliser sa voix pour donner de l’amour et être un miroir pour une génération qui n’est pas assez représentée. Je ne suis en revanche ni professeur, ni homme politique.

Comment décririez-vous le public que vous rassemblez ?

Je pense rassembler les « misfits » (qui signifie en français « inadaptés », ndr), celles et ceux qui se sentent souvent très seuls mais qui ont une voix et crient fort à l’intérieur d’eux. Ils ont tous les âges et viennent de tous les milieux. Mais quand je les retrouve, ils deviennent une infinité d’étoiles filantes qui brillent très très fort.

 

Que rêvez-vous encore d’accomplir aujourd’hui ?

La scène est mon objectif principal. Je veux rencontrer un nouveau public de la manière la plus organique possible. Je sais qu’il suffit qu’on me donne un micro et une lumière pour m’aider à convaincre n’importe qui. Et je pense que mes cinq prochaines années vont ressembler à ça. J’ajouterai que je veux revenir à mon rêve d’enfant. Quand j’étais encore bébé et que je déclamais : « Je vais devenir la plus grande pop star de la planète. » J’y croyais et l’idée est d’y re-croire encore aujourd’hui. Et d’y arriver.

 

Théorème de Bilal Hassani (House of Hassani) disponible le 7 octobre. En concert à La Gaîté Lyrique (Paris) le 14 décembre 2022.

Bilal Hassani en Valentino au Crazy Horse (Paris) le 28 septembre 2022. Photo par Vanni Bassetti / Maison Valentino