Qui est Jacob Collier, l’artiste surdoué surnommé l’Einstein de la musique
Jacob Collier est un artiste multi-instrumentiste surdoué… Découvert à 20 ans sur Youtube après avoir fait le buzz en repensant les harmonies des standards de Stevie Wonder – son artiste favori – le chanteur britannique de 25 ans a été, cette année, récompensé aux Grammy Awards. Sa spécialité ? Réaliser des vidéos-mosaïques dans lesquelles il joue de plusieurs instruments et interprète, lui-même, toutes les voies de la partition.
Par Anatole Stos.
Nul besoin d’être musicien pour reconnaître qu’il est l’un des artistes les plus doués de sa génération. Est-ce un génie bluffant ? Un prophète virevoltant ? Comparé à Mozart et à Prince, adoubé par le jazzman Herbie Hancock, et même surnommé l’“Albert Einstein de la musique” par certains, les qualificatifs élogieux ne manquent pas pour décrire Jacob Collier, musicien et chanteur britannique de 25 ans. Jusqu’ici, un seul de ses détracteurs poursuit son acharnement : Guillaume Gendron, un journaliste de Libération qui, le 18 mars 2021, livrait un article à charge intitulé BlaBla land, Jacob Collier primé aux Grammy. Sa phrase d’accroche cinglante donnait le ton. “Lundi, Jacob Collier, 26 ans, faciès aristo et ravi de la crèche, vestiaire cauchemardesque de mannequin Desigual, a ramassé le cinquième Grammy Awards de sa jeune carrière, pour l’arrangement de He Won’t Hold You”. Mais cette critique n’a pas entaché la popularité du jeune homme qui cumule plus d’un million d’abonnés sur Instagram et 900 000 sur YouTube.
Sa recette ? La maîtrise d’une multitude d’instruments – piano, contrebasse, guitare, batterie, percussions – qui lui permet de réinterpréter quelques grands classiques de George Gershwin, des Beatles, et de Stevie Wonder, ou, mieux encore, de mettre en musique les phrases, bruitages et éclats de rire que certains fans, enthousiastes, lui envoient, pour qu’il puisse les utiliser dans ses albums. Jacob Collier aime tant l’harmonie et le partage de la musique qu’il diffuse même les partitions de ses arrangements sur YouTube ; bien loin des musiciens patentés du jazz, qui s’acharnent à conserver le monopole de leurs accords ou de leurs arpèges (l’exécution successive des notes d’un même accord). Et en termes d’influences, le Britannique a puisé dans différents genres musicaux – la musique classique, le funk, le soul, et le jazz – pour réaliser ses trois albums Djesse V. 1 (2018), 2 (2019) et 3 (2020).
“C’est comme si l’apprentissage de la parole et celui de la musique s’étaient faits simultanément. La musique était partout. Je ne pouvais pas y échapper, ce qui est merveilleux ! Quelque fût l’endroit où je posais le regard, il s’y trouvait quelque chose qui était lié à la musique ” explique Jacob Collier chez France Info en 2017. Né le 2 août 1994 au sein d’une famille de musiciens, il suit la voie tracée par ses parents, tous deux musiciens solistes au conservatoire. Dès l’âge de deux ans, il tapote sur le piano de ses géniteurs avant de se prendre de passion pour les percussions dans la foulée : “J’en faisais partout, sur la table, sur le sol… Puis j’ai enfin reçu un djembé pour mon 8e anniversaire”. Quelques années plus tard, il suit ses premiers cours de violon à l’Académie Royale de Musique, la prestigieuse école basée au nord de Londres et s’essaie à tous les instruments. Il chante aussi… Et c’est avec brio qu’il remporte un prix décerné par l’Association Royale des Écoles de Musique.
En 2014, à 20 ans, il fait le buzz pour la première fois en revisitant le titre de Stevie Wonder “Don’t You Worry ‘Bout a Thing”. En six minutes de vidéo, un mosaïque assemblée sur YouTube dans lequel on le voit jouer plusieurs instruments simultanément, il montre toute l’étendue de son talent : basse, guitare, percussion, batterie, tambour, chant, melodica, piano. Résultat : il tape dans l’œil de Quincy Jone, l’incontournable producteur du Thriller de Michael Jackson. Dès lors, il enchaîne les prestations entre le Ronnie Scott’s de Londres et le festival de Montreux, l’un des plus grands festivals de jazz du monde. Et, en 2016, il dévoile son premier album de compositions personnelles, In my room, enregistré directement depuis sa chambre. Puis, c’est la consécration : il remporte deux Grammy Awards, en 2017, pour deux arrangements a cappella du titre You and I et du thème musical de la série télévisée Les Pierrafeu. En 2020, il remporte deux Grammy Awards pour l’arrangement de Moon River, titre présent sur l’album Djesse, Vol. 2, et pour l’arrangement de All Night Long, reprise d’un morceau de Lionel Richie présente sur l’album Djesse, Vol. 1. Et voici qu’en 2021, une cinquième breloque vient compléter sa collection : il remporte le Grammy Award du meilleur arrangement et accompagnement pour He Won’t Hold You ft. Rapsody.
Si le jazz fait partie de son langage favori, il ne s’arrête pas à ses frontières ; à l’image du trompettiste Miles Davis (1926-1991) qui s’est inspiré de la musique rock, et du guitariste Jimi Hendrix pour créer sa propre musique. Dans celle de Jacob Collier, tous les styles se mélangent, se confondent et s’entrecroisent : la pop de Sting, la soul de Stevie Wonder, ou les compositions de Stravinsky dont les trois ballets, L’Oiseau de feu (1910) Petrouchka (1911) et Le Sacre du Printemps (1913) l’ont anobli comme l’un des compositeurs et chefs d’orchestre les plus célèbres. Un éclectisme musical magnifié dans la vidéo, son instrument de prédilection qui lui sert à diffuser son génie artistique. Malgré plusieurs instruments à gérer, le montage est d’une précision sans faille et ultra dynamique. “Mais d’une certaine façon, le premier instrument important pour moi a été un micro, avec un logiciel Logic [programme de musique assistée par ordinateur] qui m’a donné l’occasion de superposer des choses. […] J’ai commencé à en enregistrer à 6 ou 7 ans. Un jour, quelqu’un m’a suggéré d’essayer de faire une vidéo, soulignant que ça pourrait m’ouvrir des horizons. J’ai bien aimé cette idée, alors je m’y suis mis. On m’a alors suggéré de poster ce travail sur YouTube.” lance t-il encore à France Info. Sur chaque vidéo, on le voit en une dizaine d’exemplaires, cheveux ébouriffés, look déjanté, en pyjama, dans l’intimité de son ménage. Dans son jardin londonien, petite enclave à l’herbe bien verte et très bien fleurie, le Britannique se filme pour une reprise délicate et équilibrée des Beatles, Here Comes the Sun (2019), dans laquelle il joue de la contrebasse et de la guitare. On fait un tour dans sa salle de bain avec All I Need (2020) : il pose son clavier sur le rebord de l’évier, chante à côté des canards en plastique jaune, joue de la contrebasse en Crocs affreuses debout dans sa baignoire… et quand le micro manque à l’appel, le chanteur ne perd pas son sens de l’humour. Il se sert alors de la ventouse dégorgeoir. A ses côtés, on découvre des musiciens, chanteurs – probablement des amis – qui participent, sans vergogne, aux défis qu’il propose. Là est probablement le secret du génie : dévoiler sa musique à toutes et tous sans se prendre au sérieux.