9 juin 2022

Qui est $afia Bahmed-Schwartz, la peintre érotique et rappeuse hyperpop ?

Lors du premier confinement, en 2020, Numéro s’était entretenu, en interview FaceTime, avec l’artiste pluridisciplinaire Safia Bahmed-Schwartz. Aussi à l’aise dans la composition picturale que musicale, elle revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec Emo Icon, son nouvel album, sorti le 10 juin.

Sourcils décolorés, ongles manucurés, Crocs militaires aux pieds, $afia Bahmed-Schwartz a le look d’une Shygirl à la française. Peinture, écriture, tatouage, musique… l’artiste multiplie les champs d’expression artistique. Ce vendredi 10 juin, c’est un nouvel album qu’elle vient de dévoiler, dans lequel elle combine rap, gabber, chanson et hyperpop. Dans chacun des huit titres d’Emo Icon, $afia Bahmed-Schwartz se propose d’évoquer une émotion forte, comme la colère, la tristesse, la joie, le dégoût ou encore la peur. Cet opus constitue une sorte d’aboutissement de la part de cette artiste de 36 ans iconoclaste qui oscille entre plusieurs univers, de la peinture intimiste et érotique à une musique violente et poignante. Elle avait notamment montré l’originalité de son approche musicale à travers quatre EP représentant les quatre saisons en 2018, ou encore son album Passé/Présent/Futur sorti en 2020. 

 

Sur son nouvel album, $afia Bahmed-Schwartz propose des textes forts et poétiques qui parlent de charge mentale, de résilience, de colonialisme et d’ADSL. Un talent de plume que l’artiste a développé alors qu’elle était encore étudiante aux beaux-arts de Montpellier. Elle s’est alors prise d’un amour inconditionnel pour l’écriture lors d’un cours qu’elle suivait. « À l’occasion d’un exercice, j’ai écrit des aphorismes et des petites nouvelles. J’ai récolté des citations au fil de mes lectures ou des choses que j’entendais. Au bout de deux mois, j’en ai fait un petit livret. Comme j’avais aimé faire ça, j’ai alors décidé de recommencer cela six fois sur un an. J’ai ainsi créé six livrets, que j’ai finalement édités sous le titre ‘Apprenons à lire’, en montant ma propre maison d’édition Bahmed et Schwartz », confie-t-elle.

 

Par la suite, en 2012, c’est à un tout autre sujet – Booba. L’encyclopédie du peraque $afia Bahmed-Schwartz qu’elle décide de consacrer un livre : un ouvrage collectif sur le fondateur du 92i. Un projet qui visait à rendre ses lettres de noblesse au rap. Après s’être prise de passion pour l’écriture, $afia Bahmed-Schwartz voulait s’essayer à la chanson. Autodidacte, elle payait ses séances en studio avec l’argent gagné dans son activité de tatoueuse. « J’avais mes petits textes sous le bras et des productions réalisées par l’un de mes potes. J’ai commencé à poser ma voix en chuchotant pour que cela soit plus intimiste tout en disant des choses un peu violentes. » 

© Léo Papin

Après cela, l’artiste a désiré se concentrer sur les émotions qu’elle traversait, mais aussi celles qu’elle percevait à travers la société anxiogène de ces dernières années. Entre l’ère post #MeToo, les violences policières ou encore la pandémie mondiale, $afia Bahmed-Schwartz a été inspirée. « Dans les moments difficiles, on se rend compte que la plupart des chansons que l’on entend vont te faire danser cinq minutes, mais ne vont jamais te prendre aux tripes. En faisant ce constat, j’avais envie de travailler plus avec les émotions, d’être plus honnête avec moi-même et avec les autres. » 

 

En parallèle, l’artiste s’est intéressée à diverses techniques psychologiques de gestion de ses émotions notamment, comme l’EMDR qui sert à soigner les traumatismes. « J’avais envie de mettre plus de sens dans mes chansons. J’avais envie de penser chaque titre comme des entités individuelles qui s’inscrivent dans la même continuité. J’avais déjà les thèmes de mes chansons, le climat était super lourd avec confinement et le post #MeToo. Il me semblait évident de parler des émotions en proposant des titres sur lesquels on pouvait les ressentir, comme par exemple en chialant un bon coup sur le morceau Tristesse. »

© Léo Papin

« Quand je suis vraiment en colère et que j’ai du mal à passer outre, j’écoute trois quatre fois le titre Atroce Colère et à la fin ça va mieux. » En plus de représenter les émotions à travers sa musique, $afia Bahmed Schwartz représente aussi à merveille les corps libres, dans ses dessins et ses peintures. Ces espaces de création, si importants pour elle, lui laissent la possibilité de s’exprimer comme bon lui semble. « Ce qui m’intéresse, à travers la musique comme à travers la peinture, c’est l’intime, il n’y a rien de plus politique que l’intime. » Celle qui dessine depuis toujours, et s’est mise à la peinture depuis 2018, s’est ainsi spécialisée dans l’érotisme. « Lorsque j’ai commencé à dessiner, j’avais un besoin avide de dire qui je suis, ce que je ressens et ce dont j’ai envie. J’étais un peu une tête brûlée, je ne me rendais pas compte de ce que ça représentait de donner à voir des choses qui sont souvent secrètes. »

 

De 2007 à 2018, $afia Bahmed-Schwartz a dessiné uniquement en noir et blanc. C’est seulement ensuite que le bleu est apparu dans sa palette de couleur très limitée. « Le bleu est devenu évident pour moi, ce fut une nouvelle source d’expérimentation. Ce bleu-là est formidable, il marche tout seul, et plus tu le superposes, plus il devient profond voire presque noir. Il permet plein de choses, surtout quand il s’agit de l’intime et de l’érotisme car tu peux faire du sombre obscur, etc. Puis le rouge est arrivé sans trop d’explication. Je suis clairement monomaniaque ! » Ses œuvres évoquent l’érotisme du corps humain. Tous les corps, les genres et les sexes sont représentés. $afia Bahmed-Schwartz, comme dans sa musique et son nouvel album Emo Icon n’oublie personne et insiste sur les sentiments et les émotions pouvant la traverser et la faire réagir. C’est pourquoi ses chansons et sa peinture se mêlent et s’entrechoquent à la perfection.

 

Emo Icon (2022) de $afia Bahmed-Schwartz, disponible sur toutes les plateformes. En concert à la Flèche d’or le 23 juin prochain.