Pourquoi le Black Metal fascine-t-il autant ? (épisode 2/3)
Genre radical classifié parmi les musiques extrêmes, le Black Metal voit aujourd’hui ses codes explorés et déclinés tant par l’art contemporain que par la mode. Sur la scène internationale, la France est l’un des viviers de talents les plus actifs de ce courant apparu à la conscience du monde dans les années 90. Numéro Homme a rencontré, et photographié, trois des groupes français les plus porteurs pour réfléchir avec leurs membres à ce que représente de nos jours ce style musical. Au programme de ce second volet, les confidences de Saint Vincent, chanteur et parolier du groupe Seth.
Par Delphine Roche.
Portraits par Pieter Hugo.
“Ma mère était voyante, elle avait une bibliothèque pleine de livres étranges de sorcellerie”.
Saint Vincent, chanteur et parolier du groupe Seth.
La généalogie que nous venons de tracer laisse imaginer la place que la France peut naturellement avoir trouvée sur la scène black metal, avec son héritage artistique et littéraire romantique et symboliste… Toujours très respectés aujourd’hui, des groupes hexagonaux comme Seth et Merrimack ont percé dès la fin des années 90 ou à l’orée des années 2000, dans le sillage des Norvégiens.
Ces musiciens qui approchent la cinquantaine sont à la fois des figures de proue du mouvement et des témoins des changements drastiques advenus depuis une trentaine d’années dans l’esthétique et la philosophie du genre.
Seth, fondé en 1995 notamment par Heimoth, déploie un black metal symphonique et épique devenu culte. “J’ai rejoint le groupe en 2014, en tant que chanteur et parolier, commente Saint Vincent. En 2018, nous allions fêter le vingtième anniversaire de notre opus Les Blessures de l’âme [album mythique du black metal français]. J’étais en charge de l’aspect visuel du concert et je me suis dit : ‘Il faut revenir aux années 90, à l’outrance, qui est certes galvaudée de nos jours, mais nous, nous sommes parfaitement légitimes pour adopter ce parti pris.’ Sur scène, je joue avec des couteaux, des têtes de mort, des bougies. Ce sont des codes typiques des années 90 que j’ai repris sans pudeur. Le reste relève de mon invention personnelle. Quant à l’antichristianisme, il imprégnait fortement la mentalité artistique des années 90, mais il n’a plus de sens aujourd’hui. Tout ce qui peut sembler antichrétien dans les paroles que j’écris ne l’est donc pas. Le christianisme a perdu de sa vigueur, je ne suis que l’écho de notre époque.”
De Baudelaire à la Révolution : les inspirations du groupe Seth
Dans les paroles au ton apocalyptique qu’il écrit pour Seth, Saint Vincent s’est notamment inspiré de Charles Baudelaire – on imagine bien que son recueil Les Fleurs du Mal puisse figurer parmi les livres de chevet de quelques “black metalleux” français. “Ma mère était voyante, elle avait une bibliothèque pleine de livres étranges de sorcellerie, et parmi eux figurait Les Fleurs du Mal. Je crois que c’est le premier livre que j’ai lu.” Lorsqu’il intègre Seth en 2014, Saint Vincent décide de revenir à des paroles écrites en français, qui avaient marqué les débuts du groupe avant un détour par l’anglais à partir de l’année 2000. Il cite explicitement Les Litanies de Satan de Baudelaire, sur le morceau Le Triomphe de Lucifer, figurant sur l’album La Morsure du Christ, paru en 2021.
La reprise de ce poème est presque un classique du black metal, le groupe norvégien Gorgoroth en ayant par exemple proposé sa version, traduite dans sa langue, en l’an 2000. “Ce poème de Baudelaire est une ode à tous les maudits, protégés par Satan, qui empêche notamment un ivrogne de tomber d’une falaise, poursuit Saint Vincent. J’ai un peu transformé cette idée dans mes paroles… Le vampire, une figure présente dès les débuts de Seth, est également une représentation baudelairienne. Enfin, sur notre dernier album, La France des maudits [2024], le premier morceau, Paris des maléfices, est encore un hommage au poète dont la capitale était la première source d’inspiration.”
Revisitant l’histoire de France, et notamment la Révolution, Seth célèbre sur son dernier opus les maudits “étiquetés comme des losers asociaux, mais qui sont en vérité des personnes mélancoliques, dotées d’une acuité artistique et qui ne se reconnaissent pas dans le monde tel qu’il va”.
Les subcultures et contre-culture à l’épreuve du mainstream
À l’heure d’Internet, tout est accessible d’un clic, et le culte du secret qui faisait le sel du black metal est, bien sûr, une chimère. Des quantités de violence réelle se déversent quotidiennement sur les réseaux sociaux, rendant effectivement ses provocations un rien surannées… Les subcultures ou les contre-cultures d’hier ont été quasi digérées par le mainstream, et leurs codes, largement vidés de leur charge originelle, circulent désormais au grand jour.
Depuis ces dix ou quinze dernières années, le black metal fait l’objet d’un grand nombre de séries mode en raison de son esthétisme maniaque et de son corpse paint – peinture faciale noir et blanc inspirée, d’après l’historien Nicolas Bénard, des chevaliers teutoniques.
En 2018, un film hollywoodien, Lords of Chaos, portait sur les grands écrans les débuts du black metal norvégien et sa querelle fondatrice entre Varg Vikernes et Øystein Aarseth. Le genre ne peut donc se perpétuer que dans une logique contemporaine, “métamoderne”, dans une oscillation entre sincérité et ironie. La conscience mélancolique que le genre n’est plus ce qu’il était le dispute à la capacité à investir ses formes de nouveaux sens, qui reflètent les préoccupations ou les engagements contemporains.
Épisode 2 sur 3 de notre enquête “Pourquoi le Black Metal fascine-t-il autant ?”