Only Fire, le musicien qui utilise la voix de Siri pour dire de grosses cochonneries
Les titres de ses morceaux pourraient être des catégories YouPorn… Only Fire, jeune musicien croate de 22 ans, émoustille depuis trois ans les amateurs d’électro-pop en produisant des morceaux aux paroles très explicites, chantées par une synthèse vocale.
Par Alix Leridon.
En 2018, un jeune musicien des Balkans sortait de l’anonymat sous le pseudonyme d’Only Fire, avec un premier album sobrement intitulé Cumshots Fired [un jeu de mot entre l’éjaculation et les coups de feu]. Derrière ce charmant titre programmatique, 14 morceaux de musique électronique entre pop et trip-hop, sur lesquels des voix robotiques récitent en anglais des petites comptines à caractère pornographique. Très vite, le projet sulfureux du jeune producteur se met à tourner sur les réseaux sociaux, et la twittosphère commence à se demander qui est le musicien qui fait dire à Siri d’aussi grosses cochonneries. Depuis, Only Fire a continué son voyage musical à l’école du libertinage à travers un second album sorti en 2020, Double Penetration, et s’apprête à en dévoiler un troisième, intitulé Hoe Language [Langue de pute].
Derrière Only Fire se cache un jeune homme d’origine croate au visage poupon, étonnamment pudique et courtois. À 22 ans, le producteur basé à Zagreb, capitale festive d’une Croatie encore très conservatrice, dit avoir commencé à composer son album par amour de la provocation. Vers 13 ans, il commence à s’amuser avec des logiciels de production musicale (VirtualDJ, FL Studio) en utilisant des instrus et vocaux piochés sur YouTube, puis en composant ses propres sons. En bon représentant de la génération Z, il s’inspire de la culture mème (images déclinées massivement sur Internet) pour réaliser des remix musicaux à partir de scènes improbables de programmes télévisuels croates. En 2019, une de ses vidéos connaît une exposition fulgurante et croissante, sans que le jeune homme ne puisse se l’expliquer ; il s’agit du remix d’une scène de la version serbe de l’émission de télé-réalité Mariés au premier regard, dans laquelle une mère de six enfants répète inlassablement avoir besoin d’un homme fort. Aujourd’hui, la vidéo a fait le tour des Balkans et cumule plus de 6 millions de vues. Si sa chaîne YouTube de meme lord (créateur star de mèmes) des Balkans, sur laquelle il se fait également appeler Only Fire, recense aujourd’hui une trentaine de remix de ce genre, le jeune homme souhaite désormais se consacrer à son projet musical érotico-digital : “Avoir le même nom d’artiste sur deux projets c’est compliqué, mais je crois que j’en ai fini avec YouTube. Il me reste beaucoup plus à expérimenter avec la musique anglophone, et j’ai envie de me concentrer là dessus.”
Au départ, c’est aussi pour leur potentiel viral qu’Only Fire commence à écrire des chansons explicites performées par des synthèses vocales. Si la voix féminine utilisée n’est pas à proprement parler celle de Siri (assistant intelligent d’Apple), le musicien aime s’y référer en l’appelant ainsi. Sur le premier album, certains morceaux sont en partie “chantés” par un robot masculin, mais la grande majorité de ses productions emploie une voix de femme : “J’ai le sentiment que les voix féminines sont plus musicales, plus chantantes, et qu’elles ouvrent à bien plus de possibilités que les voix masculines. Quand je travaille avec la synthèse vocale pour la caler sur le rythme d’un morceau, c’est presque tout de suite comme si elle chantait vraiment ; alors que les voix masculines ont juste l’air de parler. Et puis c’est très drôle d’écrire depuis une perspective féminine.” Travailler avec une synthèse vocale représente un travail considérable puisque le producteur doit mixer toutes les paroles générées syllabe par syllabe afin de les faire coller au rythme de ses morceaux ; mais Only Fire a le goût du challenge. D’autant plus qu’en employant une voix de robot, le jeune homme s’octroie une très grande liberté : “Je peux en faire ce que je veux, et je peux lui faire dire tout ce que j’ai envie qu’elle dise.” S’il compte donc continuer à utiliser des synthèses vocales dans ses morceaux, Only Fire confie s’être entouré de plusieurs artistes et vocalistes – bien réels – pour son prochain album.
Réservé, le jeune homme ne tient pas à s’épancher sur son rapport à la sexualité, bien que chacun de ses titres y renvoie directement, abordant la question de la masturbation dans Cameltoe Shop ou décrivant un rapport sexuel en voiture dans ASMR. Si l’engouement autour d’Only Fire vient essentiellement du caractère explicite de ses paroles, leur nature constitue également un potentiel frein au développement du projet. Parce qu’un mot sur deux devrait être censuré pour qu’un de ses morceaux puisse passer à la radio, la diffusion de ses titres en dehors du net est compromise. Peu importe, le producteur n’a pas l’ambition de devenir mainstream : “Je suis incapable d’écrire une chanson normale, donc je ne pense pas que j’écrirai un jour des morceaux aseptisés pour toucher une plus large audience.” L’idée derrière cet usage alternatif du langage, c’est de prendre le public par les tripes : “Je veux que les gens qui écoutent soient choqués, peut-être dégoutés parfois, mais surtout qu’ils en sortent quelque chose de positif : une forme de plaisir décomplexé, qui les fasse se sentir fier et plein d’énergie. Je veux les faire bouger.”
Si les titres de son premier album n’avaient pas un grand intérêt musical et n’auraient probablement pas autant décollé sans leurs paroles, Only Fire franchit un cap avec Double Penetration, son second album sorti en 2020. À travers ses dix titres catchy et dansants, il parvient à sublimer la blague et à offrir une vraie prétention artistique à ce qui aurait pu rester un simple troll (attitude polémique d’internautes n’ayant d’autre but que la provocation). Aussi bien inspiré par l’électro-pop de Flume que par la néo-pop expérimentale et avant-gardiste d’Arca, Only Fire produit des morceaux au carrefour de l’EDM et de la musique alternative, dans un mouvement semblable à celui initié par feu l’artiste SOPHIE, qu’il admire particulièrement. L’un des morceaux les plus réussis, Cruel Summer, sorte de ballade digitale dans laquelle Siri déplore une récente rupture amoureuse, est à la fois sombre et entraînant, oscillant entre latin-music et envolées digitales. Il tranche définitivement avec le reste de l’album. Notre coup de cœur, ASMR, a tout pour devenir un hit de festival, avec son rythme effréné et ses kicks éhontés, ponctués de petits gémissements suggestifs. Pour l’instant, Only Fire n’a pas encore eu l’occasion de porter ses morceaux sur scène, mais ça devrait arriver très vite… si le jeune homme parvient à vaincre le trac atroce dont il dit souffrir.
Hoe Language, d’Only Fire, sortie prévue courant 2021.