Moonchild Sanelly, la chanteuse sud-africaine « ghetto-punk » adoubée par Beyoncé et Damon Albarn
Après un premier album remarqué en 2015, ainsi que des collaborations avec Damon Albarn et Beyoncé, la Sud-Africaine installée à Londres Moonchild Sanelly revient ce mois de juin avec un nouveau disque intitulé Phases. L’occasion de rencontrer cette artiste charismatique qui a invité un genre : le future-ghetto-punk.
Par Erwann Chevalier.
Ses cheveux bleus sont devenus une signature. Son rire communicatif et son aura solaire aussi. Avec une carrière déjà solide, qu’elle mène de front depuis 2006, l’espiègle chanteuse, créatrice de mode, poètesse, activisite body positive et danseuse sud-africaine Moonchild Sanelly (Sanelisiwe Twisha de son vrai nom), 34 ans, a façonné son propre univers. Celle qui s’est installée à Londres a même inventé un style musical : le future-ghetto-punk qui mixe électro, pop, hip-hop et afro-punk. Tout en mélangeant l’anglais au khosa — langue proche du zoulou parlée par presque six millions de Sud-Africains — Moonchild Sanelly a réussi à séduire une base de fans solide comptant parmi eux la superstar américaine Beyoncé, Die Antwoord, Major Lazer, Gorillaz et Damon Albarn avec qui elle a collaboré.
C’est dans un bar d’hôtel du 9e arrondissement parisien, que l’on rencontre l’artiste originaire de Port Elizabeth en Afrique du Sud qui a sorti le 10 juin dernier un deuxième album intitulé Phases. Un album dansant qui prône l’émancipation de la femme, ainsi que le désir et la fierté d’être qui l’on est. La redoutable chanteuse au caractère bien trempé documente les différents chapitres d’une relation toxique et le stade de la libération qui s’ensuit alliant mélodies douces à des rythmes plus agressifs. Sans détour, celle qui affirme “avoir définitivement changé l’industrie de la musique en Afrique du Sud,” aborde le monde en position de leader fondant sa communauté sur la fierté d’être une femme au XXIe siècle. Discussion sans fard avec une artiste à la vivacité et à la confiance en elle impressionnante.
Numéro : Comment est né ce nouvel album, Phases ?
Moonchild Sanelly : Je suis très reconnaissante envers le confinement car il m’a permis d’enfin exprimer ma vulnérabilité au lieu d’uniquement mettre la notion de pouvoir en avant. Même si j’ai compris qu’il y a du pouvoir dans la vulnérabilité. Dans cet opus, je défend les personnes fières, notamment les femmes. Maintenant, j’ai besoin que les gens l’écoutent.
Votre nouvel opus parle d’amour toxique. J’ai lu que vous étiez restée dans cette relation jusqu’à ce que l’album soit terminé…
J’ai l’impression que je restais dans cette relation malsaine parce que j’avais besoin d’écrire dessus. J’ai envoyé un message vocal à mon manager qui disait : « Je sais vraiment que je suis dans une relation toxique en ce moment mais, je ne veux pas passer par d’autres émotions sans finir mon album. Je sens que j’ai traversé tellement de choses dans cette histoire d’amour que je dois finir ce projet avant que ça ne se termine.” Je ne voulais pas en parler du point de vue d’un observateur extérieur. Je voulais vivre mes dures émotions jusqu’à la fin. Je suis partie le lendemain de mon anniversaire.
Cet album est une ode à l’émancipation des femmes. Vous sentez-vous l’âme d’une chef de file ?
Je suis définitivement une leadeuse. Parce que dans le secteur de la musique, d’où je viens, les femmes commencent seulement à s’approprier leur corps. Les femmes sont sexy, elles peuvent danser, bouger, aimer… J’ai définitivement changé mon industrie en Afrique du Sud. J’ai changé la façon dont les gens se regardent et la manière dont ils assument leur corps. Dans cet album, je célèbre toutes les femmes. L’une de mes chansons est destinée aux femmes puissantes face aux hommes. Une autre évoque les strip-teaseuses… Les femmes ne doivent plus être laissées à l’ombre, mais être célébrées ! Si vous savez qui vous êtes, alors assumez-le et mettez le reste de côté.
J’ai lu que vous souhaitiez que les gens s’identifient à votre musique…
Quand je fais de la musique, que je suis en studio, je sais que lorsqu’il s’agit de chanter en khosa, j’imagine toujours que j’interprète ce titre sur scène devant un public énorme. Vous ne voulez pas qu’ils se sentent exclus, surtout quand c’est une nouvelle chanson. Je veux que mes textes soient compris de tous et que tout le monde soit impliqué dans le même combat que moi. Avant de faire de la musique commerciale, j’étais l’une des meilleures artistes de la scène alternative, mais pas la mieux payée… Donc je me suis dis, dès le début, qu’un jour, je serai la seule fille noire sur la scène principale avec tous les fans de mon pays derrière moi qui partagent les même idéaux.
Pourquoi avoir créé votre propre style de musique, le future-ghetto-funk ?
Je m’ennuyais. Tout a été essayé, testé, travaillé… Je voulais m’amuser. Je voulais trouver quelque chose venant de la poésie, du hip-hop, du jazz. Je souhaitais créer mon propre univers. Donc, en 2007, j’ai développé le future-ghetto-punk. La première chanson dans ce style est seulement sortie en 2015 dans mon premier album intitulé Rabulalpha!. Les gens m’ont dit « c’est quoi ce bordel » parce qu’ils n’avaient jamais entendu ça. Personne ne l’avait fait avant. Je suis ma propre référence.
Comment a débuté votre collaboration avec Damon Albarn et avec Gorillaz ?
Nous nous sommes rencontrés en Afrique du Sud avec le collectif Africa Express, le projet cosmopolite de Damon Albarn. Le but de ce projet consiste à faire émerger des artistes africains avec des featurings prometteurs. Quand j’ai su que j’allais en faire partie, je me suis dit qu’il fallait que je réussisse. Par la suite, j’ai fait dix chansons en trois jours pour montrer mon univers. J’ai travaillé très dur, et Damon a adoré. On a notamment collaboré sur le morceau Sizi Freaks. C’était génial de bosser avec lui. Il m’aime, je l’aime et je pense que c’est une mission accomplie (rires).
Vous avez aussi travaillé avec Beyoncé. Comment la collaboration est-elle née ?
La collaboration s’est très bien passée. C’était mon rêve de musique ultime. J’ai vu ça comme le début de ma domination mondiale. Donc tout est possible. C’était en 2019, à Coachella. Les équipes de Beyoncé sont venues me voir et m’ont parlé d’un projet avec elle. Je n’avais même pas le droit de le dire à mes amis. J’étais tellement excitée à l’idée de participer au projet, The Lion King : The Gift, avec elle. Après ça, je suis revenue à Londres (où je vis en partie). Ils enregistraient au même moment la dernière chanson de l’album intitulée Power, et m’ont appelée pour la terminer. Alors je suis allée directement au studio parce que c’était pour Beyoncé (rires).
Où trouvez-vous l’inspiration ?
Je suis inspirée par différents artistes chez qui la notion de pouvoir est importante. Par exemple, j’adore Tina Turner et sa manière de contrôle la foule. J’ai grandi avec elle, et je me souviens que je voulais avoir ce contrôle. Maintenant que je suis une artiste, je la vois comme LA définition du pouvoir. Lorsque vous êtes fier de vous, beaucoup de choses sont éliminées. Quand je monte sur scène, je me dit que je suis ici pour changer les choses et aider les gens à être fiers d’eux.
Comment vous sentez-vous en temps que femme dans cette industrie musicale souvent dominée par des hommes ?
Cela dépend si vous êtes dure ou pas ! Il est très rare de ne pas avoir connu de situation difficile dans le milieu de la musique. On apprend à dire “merde” aux gens qui veulent profiter de la situation. Avec le temps, j’ai appris à le faire, même si au début ce n’était pas simple. J’ai aussi appris les astuces pour obtenir tous les droits de mes productions, de mes chansons et me protéger. Je suis la voix principale dorénavant, mais il peut y avoir des conflits lorsque l’argent entre en jeu et que l’on se demande qui a fait quoi sur un projet. En tant que femme dans l’industrie musicale, vous devez connaître votre métier par cœur. Vous ne pouvez pas vous permettre de vous détendre car sinon les gens vous mangeront.
Phases (2022) de Moonchild Sanelly, disponible sur toutes les plateformes.