11 juin 2021

Mereba, la chanteuse de R’n’B qui utilise des mots cinglants pour chanter la liberté

La chanteuse Mereba vient de livrer son premier EP, Azeb. Native de Mongomery, État d’Alabama historiquement marqué par l’esclavage, l’artiste américaine signe un EP lyrique largement imprégné de ses racines personnelles. Dans ses textes puissants, elle entremêle les thèmes qui l’ont façonnée : son identité noire, l’histoire et ses conflits incessants, mais aussi l’amour. L’occasion pour Numéro de dresser le portrait d’une artiste qui ne mâche pas ses mots pour rappeler l’urgence de la liberté.

La liberté pour mon peuple est urgente! Et tu sais que nous la méritons.” Sur le titre New Come de son nouvel album “AZEB”, Mereba donne le ton de son nouvel opus. Si la voix cristalline et chaude de la chanteuse américaine de 30 ans s’accompagne de doux accords, les propos, eux, sont forts et cinglants. Résolument politisés, et nécessaires pour se libérer d’un fardeau : la violence raciale systémique, jamais éradiquée, et toujours en vigueur dans certains États américains, comme dans bien d’autres pays. AZEB, le titre de l’EP, est en fait le deuxième prénom de Mereba. Un prénom d’origine éthiopienne  que l’on peut traduire par “là où le soleil se lève”. Une référence à la lumière dans le sillage de la période très sombre des 14 derniers mois, marquée par le décès de George Floyd. Au détour de cet EP, composé de 7 titres au total, Mereba nous plonge en effet dans les tréfonds d’un monde en guerre, où l’amour devra triompher face aux querelles mortelles du quotidien. La brune aux cheveux tressés, au regard incandescent, met en chanson son besoin de justice sociale, et s’accroche à l’amour pour se protéger du monde violent et perturbé dont les médias se font l’écho. Sa musique est minimaliste, dépouillée. Seuls des basses, des guitares, un piano et quelques pointes d’électro l’accompagnent. Car c’est souvent dans la quiétude que les mots prennent vie et heurtent les esprits.

 

 

Mereba réussit à raconter son histoire d’une manière vulnérable et poétique, grâce à des morceaux simples, accompagnés de guitare acoustique, qui mettent en valeur sa voix angélique et ses paroles réfléchies. Le titre New Come est un hymne plein d’espoir, comme une tape dans le dos et un encouragement au peuple noir à aller de l’avant. Elle évoque le traitement des BIPOC (Black, Indigenous, and people of color) au son des guitares emplies de sérénité de la chanteuse et de Sam Hoffman – guitariste connu lui aussi pour ses morceaux engagés, qui a collaboré à AZEB –, rendu encore plus brillant par le violoncelle électrique. Ses paroles, sombres et impitoyables, portent un regard froid sur la société américaine de son temps : sous le rythme soul de ses vers, elle espère “la libération” de la population noire, qu’elle considère encore opprimée et sujette à des violences systématisées dans une société raciste : “La liberté pour mon peuple est urgente / Et tu sais que nous la méritons / Dis-moi, qui es-tu en train de servir ?

 

Mereba va droit au but pour évoquer les conflits que subit le peuple noir. Dès le morceau d’ouverture “Aye”, elle entre dans le vif du sujet : “Aye, aye, il y a la guerre tous les jours”. La rappeuse à la langue acérée s’insurge contre la guerre qu’est la vie quotidienne. Mereba tire sa force de sa résilience plutôt que de sa combativité percutante.“J’essaie de maîtriser la paix”, dit-elle en rythme, “il y a des bourgeons au bout de mes doigts qui font pousser de belles choses / Il y a des voleurs sur mon oreiller qui arrachent ma paix pendant que je dors”. À cheval entre la douleur et la colère, elle rappelle aux autres qu’une guerre quotidienne est menée contre eux simplement à cause de la couleur de leur peau. “Nous sommes des diamants sous la saleté ici / Le système ne nous mérite pas”, mord Mereba. C’est d’ailleurs ce système que le mouvement des droits civiques a tenté de renverser, pendant près de cent ans,  entre 1865 et 1968, pour atteindre, cette même année, la prohibition de toutes les lois et réglementations ségrégatives à l’échelle du pays. Mais ces victoires historiques sonnent creux pour la chanteuse de rap et de R’n’B. Dans “Rider”, la seconde chanson de l’album, elle chante : “Le monde ressemble à une guerre / Dis-moi à quoi sert la vie”. Elle pose sa voix toujours aussi douce sur une instrumentation saccadée pour que les mots frappent et résonnent, pour que “la musique reflète son époque” comme disait Nina Simone. Mais son texte est loin d’être un appel à la violence. Bien au contraire, ses paroles, lénifiantes, puisant dans les tréfonds de l’histoire noire américaine, sont emplies d’amour. Le meilleur remède pour l’âme à ses yeux. Dans le clip qui l’accompagne, on voit Mereba et un amant au volant d’une Ford Mustang, roulant à vive allure. Ils s’arrêtent, enclenchent le frein à main et dansent librement dans le désert.

 

 

Mereba voit dans l’écriture “un moyen de traduire ce sentiment d’être étranger dans son propre environnement”. Dès son plus jeune âge, à l’école primaire, dans son Alabama natale, elle imaginait déjà le pouvoir et la puissance libératrice que les mots pouvaient conférer. C’est aussi à ce moment-là qu’elle se met à chanter, à faire du piano. Durant son enfance, Mereba a souvent déménagé (au gré des postes occupés par ses parents enseignants). Née en Alabama, elle a grandi à Pittsburgh avant d’aller faire ses études secondaires à Greensboro en Caroline du Nord. Et a également passé une année en Éthiopie, le pays d’origine de son père. Mais son écriture incisive artistique libératrice est sans doute véritablement née au Spelman College. C’est là en effet que Mereba décide d’achever sa scolarité, revenant à ses racines, à l’alma mater, la mère nourricière. Car, en y prenant des cours, on s’immerge dans un héritage historique fort. L’origine de cette université – toujours exclusivement réservée aux femmes aujourd’hui – remonte au 11 avril 1881, dans le sous-sol de l’église baptiste Friendship à Atlanta, en Géorgie. Deux enseignantes, Harriet E. Giles et Sophia B. Packard, décident de fonder une école pour les femmes noires affranchies et illettrées. Dès la première séance, 11 femmes étaient présentes, tentant de surmonter les plaies de leur passé en apprenant l’algèbre, le latin, la rhétorique, l’économie politique, et la Constitution des États-Unis. Dans ce lieu si symbolique, où les femmes noires pouvaient enfin être libres, Mereba a pleinement trouvé sa voie. Sa musique et ses paroles se sont donc nourries des conversations entre amies sur les bancs de la fac, des subtils dires des professeurs, des premiers livres donnés à lire. En somme, de ces voix qui comptent et qui restent dans nos oreilles, sans jamais y sortir pour souffler aux mélomanes, en retour, un vent d’amour et de liberté.

 

 

AZEB de Mereba, disponible depuis le 26 mai.