28 juin 2021

Luv Resval, le rappeur qui se rêvait en Anakin Skywalker

Napoléon, Rousseau, Méphistophélès, Son Goku… les références abondent dans les textes du rappeur Luv Resval. Grimé en Anakin Skywalker sur la pochette de son nouvel album, Étoile noire, l’artiste de 23 ans croise les mythes pour mieux écrire sa propre histoire. Il raconte à Numéro ce que ces récits imbriqués représentent pour lui. 

C’est la tête bicolore (une teinte différente de chaque côté), une bouteille de sirop codéïné dans une main, un joint dans l’autre, que le jeune Luv Resval se présente en 2018 au grand public. Il est alors sous l’aile d’Alkpote, rappeur installé dans le paysage français depuis une vingtaine d’années. Ensemble, les deux artistes du label AWA livrent Mariah, un EP de cinq titres qui ravit les amateurs de multi-syllabiques, cette manière de jouer sur des mots aux syllabes homophones. Originaire de l’Essonne, le jeune homme n’a alors que 20 ans. Il étonne déjà par son débit rapide, ses rimes complexes. Tout semble si facile pour lui. Il continue ensuite à faire montre de sa virtuosité au cours d’une série de dix freestyles, nommés “¥” en référence à la monnaie chinoise. Son apparence, proche de celle d’un Lil Pump ou d’un Trippie Redd, trahit son attrait pour la musique produite outre-Atlantique. Mais l’habit ne fait pas le moine : sous ses grillz (bijoux dentaires souvent sertis de brillants) se cache un jeune homme appliqué et persévérant.

 

En s’affichant, l’année dernière, aux côtés de Freeze Corleone sur le morceau Crystal Lake, Luv Resval affirme sa volonté d’intégrer cette nouvelle génération de rappeurs dits « techniques ». Yeux tombants, nappes de fumée épaisse et litres de “lean” (ce mélange de sirop pour la toux et d’alcool aux effets délétères) font le pont entre les univers respectifs des deux artistes. Pour le plus grand bonheur des fans : leur clip  cumule plusieurs millions de vues sur la plateforme Youtube. Sur son premier album, Étoile Noire, le chanteur revient, cette fois, sous une forme plus sobre, comme débarrassé des fioritures américanisantes de ses débuts. Sur le titre pudiquement intitulé Cette Fille, il reprend, à sa manière, le thème de la rencontre amoureuse, se contentant d’un piano et d’une rythmique old school pour instrumentale. Vêtu d’un costume noir de haute couture, conçu par la maison Lanvin dont il était l’invité spécial lors des deux dernières Fashion Weeks, Luv Resval apparaît dans le clip du morceau sous un nouveau jour, plus mature, confiant et assuré que jamais.

Ce qui frappe, en écoutant les 19 titres de cet opus, c’est la profusion de références mythologiques. “Je suis assez nostalgique face aux vestiges du passé. J’ai une préférence pour le monde ancien. Les histoires des anciens rois, des anciens princes, des anciens tyrans me touchent particulièrement” confie Luv Resval. Tous les récits l’attirent, autant les mythes antiques que les sciences-fictions modernes, dont la principale, Star Wars, sert de fil conducteur à l’album. Le héros de la saga imaginée par George Lucas à la fin des années 70, Anakin Skywalker, lui sert d’alter ego : “il m’inspire beaucoup par sa haine, sa colère mais aussi par sa capacité à persévérer, même si, malheureusement, c’est une persévérance colérique.” Une manière de contourner la réalité “un peu ennuyeuse”, mais aussi de la questionner. Car en toile de fond de ces narrations immémoriales transparaît l’éternelle lutte du bien contre le mal. “Le mal et le bien cohabitent, l’un n’existe pas sans l’autre, c’est omniprésent. Comment faire pour s’y soustraire ? Impossible. Je suis obligé de parler des deux. Je préfère donc embrasser les deux.” Anakin Skywalker et son tiraillement entre le côté vertueux et obscur de la force en est l’incarnation : “il n’est pas fondamentalement mauvais, mais chez lui, la cohabitation des deux est inévitable.” Pour autant, d’écoute en écoute se profile un choix, celui de la lumière : “mieux vaut tendre vers le bien que vers le côté interdit de la bibliothèque” affirme avec un air malin voire narquois le jeune artiste.

 

Dans un monde post-Internet où l’abondance d’informations entraîne la confusion, tous les récits pouvant réinjecter du sens sont bons à prendre, y compris les plus subversifs. Il s’intéresse aussi aux contre-récits complotistes qui font leur miel de la fragilité des discours officiels : “Je me suis abondamment renseigné sur les thèses complotistes, j’en ai lu des tas : les platistes, les maçonniques, les universitaires de Yale, les Skull and Bones… elles me fascinent tant elles sont bien imaginées”. Irrationnelles, reposant sur de simples croyances, les religions, les rites et les paganismes lui servent de matière première pour nourrir son art. Il en admire l’étrange aura, encore à notre époque : “les religions font peur car elles parlent du pourquoi et du comment de la vie. Elles ont toutes une histoire à raconter qui, en certain sens, est véridique.” Mélangeant les références, piochant dans les folklores religieux comme dans les fictions populaires que sont les mangas, il est capable de croiser dans un même vers Méphistophélès et Son Goku, l’incarnation du Diable sur Terre et le protagoniste de Dragon Ball inventé par le mangaka Akira Toriyama.

 

La saturation de citations est un jeu fréquent dans le rap de ces dernières années. L’indice, selon Luv Resval, d’un rapprochement de ce genre musical avec le cinéma : “Le rap est de plus en plus imagé, on essaye de le ‘cinématographier’, de le rendre comme un film.” Écrivant sa propre histoire à travers une kyrielle de mythes, l’artiste livre un premier album de haut niveau auquel son public a été grandement réceptif : le rappeur a écoulé 7000 disques en physique dès la première semaine, un chiffre aujourd’hui rarement atteint compte-tenu de la prééminence du streaming. Grâce à ses rimes précises et à son imagination sans limites, celui qui se rêve en personnage de La Guerre des étoiles, entraîne ses auditeurs dans un univers à la profondeur galactique. 

 

Luv Resval, Étoile noire, disponible.