19 mar 2020

L’interview FaceTime avec… Marie-Flore

En période de confinement, Numéro continue à s'intéresser aux musiciens qui accompagnent nos journées avec leurs morceaux. Aujourd’hui, la chanteuse Marie-Flore évoque son album “Braquage”, ses futurs amants, les pseudonymes de la pop française et les blagues qui font un flop en plein concert.

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Marie-Flore a immédiatement accepté l’interview. Une distraction comme une autre pour la chanteuse qui n’échappe pas au confinement. Pour elle comme pour les autres professionnels du monde du spectacle, c’est un coup dur. C’est le moment de se serrer les coudes mais elle insiste : “Je n’ai pas l’intention de penser à ma gueule.” En concert à la Cigale le 28 septembre, la trentenaire parle comme elle chante, avec une élégance badass. Un phrasé enivrant et sensuel que l’on retrouve dans son premier album, Braquage, sorti en octobre 2019. Elle y parle d’amour… Entre quelques pauses lecture, elle se remet à composer chez elle pour tuer le temps mais surtout parce c’est son boulot. Rencontre en Facetime avec une musicienne en télétravail.

 

Numéro: Ne craignez-vous pas que vos futurs amants soit terrorisés à l’idée de finir dans les refrains de votre prochain album ?

Marie-Flore: [Rires] Je ne sors pas avec grand monde. Et l’album Braquage ne parle que d’une seule personne. Au contraire, ils devraient se sentir flattés de finir dans une de mes chansons.

 

Parlez-vous d’amour aussi crûment parce que les métaphores autour de la pluie et du soleil sont éculées ?

Cela m’amuse de travailler une certaine éloquence. Je parle dans la vie comme je parle dans mon disque : de manière très cash, sans prendre de pincettes. Cela se ressent donc dans mes morceaux mais sachez que rien de tout cela n’était calculé, c’était totalement naturel.

 

Dans le milieu si concurrentiel de l’industrie musicale, vous arrive-t-il de faire de grands sourires à vos rivales pendant les cocktails alors qu’en réalité vous n’attendez que la fin de leur carrière ?

Oui, tout le temps ! [Rires] Pour être honnête, je n’ai pas beaucoup d’amis artistes, donc je fréquente relativement peu ce milieu. Et puis, nous ne faisons pas toutes la même chose sur le plan musical. Reposez-moi la question dans quelques années lorsque une nouvelle Marie-Flo débarquera. Là je serai véritablement énervée.

 

Angèle, Hervé, Michel, Pomme, Josiane… Plus aucun artiste ne prend donc la peine de chercher un pseudonyme original en 2020 ?

Je pense qu’ils ont raison ! Les prénoms ont longtemps été catalogués “vieille musique française”. Seuls les très grands artistes utilisaient leur prénom et leur nom de famille. Puis dans les années 2000, les gens ont commencé à se cacher derrière des pseudonymes et, très vite, tous les groupes s’appelaient “The” quelque chose. The Libertines, The Strokes, The “Mon cul sur la commode”… Maintenant on veut du vrai, on vend du vrai. Moi je n’avais pas envie de me cacher derrière un nom de groupe, je trouvais cela particulièrement impersonnel.

 

Les types du label ont-ils jamais tenté d’opposer leur veto ?

J’ai mis dix ans à signer donc ils ne risquaient pas de me faire changer mon propre prénom. Mais dans certains projets extrêmement marketing on peut vous dire : “Bon, toi, on va t’appeler comme ça, te coiffer et t’habiller comme ça.” Si vous débarquez avec une proposition pertinente et authentique, ils n’ont aucun interêt à vous faire changer quoi que ce soit.

 

Ne pensez-vous pas que vous dissimuler derrière un alter ego aurait pu être une forme de protection ?

Cela peut aussi être un moyen de… séparer l’œuvre de l’artiste. Cette blague est de très mauvais goût je le confesse, mais j’aime le mauvais goût ! Plus sérieusement, je pense que tous les artistes développent une sorte de carapace. Que cela passe par le costume, le pseudonyme ou le personnage. Mon album est autobiographique. Lorsque j’arrive sur scène je suis… moi. Mais pour ne rien vous cacher, avant chaque concert, je me lance dans une sorte d’exercice de dissociation en me disant : “Tout cela n’est qu’un jeu. Ton image et ta personne ne t’appartiennent plus.” Monter sur scène peut parfois s’avérer très violent.

 

Pouvons-nous parler des Victoires de la musique ou est-ce un sujet tabou ?

Nous pouvons en parler sans aucun problème.

 

La cérémonie s’est déroulée en février, et je n’ai pas lu votre nom dans la liste des nommés…

C’est tout à fait normal mon cher. J’ai failli être nommée dans la catégorie Révélation. Mais je n’ai pas passé le second tour de sélection. Ce n’est pas grave, l’album Braquage n’a que quatre mois. C’était déjà incroyable d’être présélectionnée. Je n’ai pas vraiment d’avis sur ça, j’avoue que je m’en fous un peu.

 

Une Victoire de la Musique vaudra-t-elle un jour autant qu’un Grammy Award, ce trophée si cher à nos compatriotes américains ?

Ce serait mentir que de dire que les Victoires ne comptent pas. C’est une forme de reconnaissance, même si je reste persuadée que l’on peut survivre sans. Cette année, les plus gros artistes étaient représentés. Ma grande déception reste la réduction du nombre de catégories qui, maintenant, ne représentent plus vraiment la diversité de la musique française et de sa scène. C’était vraiment une mauvaise idée. Quoi qu’il en soit, le débat autour des Victoires ne prendra jamais fin : tout le monde dit qu’elles ne servent à rien, mais tout le monde regarde la cérémonie. Tout le monde s’en fout, mais tout le monde en parle…

 

Pour élire le “Meilleur artiste masculin de l’année”, nous avions le choix entre Lomepal, Alain Souchon et Philippe Katerine…

C’est le grand écart, je le reconnais, mais c’est le jeu après tout.

 

Êtes-vous de celles qui considèrent encore Lomepal comme un rappeur ?

La frontière entre musique et chanson française est de plus en plus difficile à distinguer. Et cela ne s’applique pas qu’à lui. La musique “urbaine” est la nouvelle chanson populaire française cela se ressent en terme de ventes, de streaming ou de concerts. Je pense que cela reste une vague. J’ai récemment découvert le rappeur Kemmler que je trouve très bon. J’écoute ses titres Moi aussi et Ça me gène jusqu’à 200 fois par jours. J’ai toujours été attirée par le rap “doux”, même si je ne pense pas que ce soit le terme approprié car j’apprécie Damso, PNL, NTM, IAM, Mc Solaar ou Lomepal justement.

 

Quel type de rap ne trouve donc pas grâce à vos yeux ?

Le “cloud rap”, ce truc aérien où l’harmonie est un peu étrange. En règle générale, ce qui m’agace, c’est la posture de certains rappeurs qui n’ont pas compris que nous n’étions plus en 1992. Je ne pense pas que tous les matins aux alentours de 10 heures, une quinzaine de meufs en bikini débarquent chez Snoop Dog pour nettoyer sa voiture… C’est le mâle qui essaie bêtement de se rassurer sur sa virilité. Comme ces types qui viennent de Versailles et font comme si ils sortaient tout juste de Fleury-Mérogis. Malgré tout, je pense que les rappeurs sont les derniers poètes. En terme d’imagination, il n’y a pas plus créatifs qu’eux. Bien évidemment, l’appel à la violence ou la misogynie nous forcent à nous interroger sur la portée de certains textes mais, après tout, ce que tu écoutes ne définit en rien ce que tu es. Je comprends que cela puisse choquer. Mais si on est certaine de sa puissance en tant que femme, cela doit davantage nous faire rire qu’autre chose.

 

Si vous êtes nommée aux NRJ Music Awards assisterez-vous à la cérémonie sans réfléchir ou suivrez-vous les traces du rappeur Roméo Elvis, à savoir  dénigrer l’événement sur les réseaux sociaux pour finalement récupérer sa statuette sur scène la queue entre les jambes.

Pour être nommée, il faudrait déjà que je passe sur NRJ… Mais j’honore toutes les invitations.

 

Étiez-vous terrorisée lorsque vous avez décidé de consacrer votre vie à la musique ?

Oui. Un véritable choc. Dans les jours qui ont suivi cette décision, j’ai fait ce que l’on appelle une crise d’angoisse… ma première. Cette voie est complètement folle et on ne se sent jamais en sécurité malgré les encouragements de nos proches. On sait que rien ne sera jamais calé dans notre vie, que tout sera toujours instable, qu’on ne pourra compter que sur soi-même.

 

Les crises d’angoisses sont donc récurrentes.

Une fois que ça commence, ça vous poursuit toute votre vie. Il faut faire avec. Mais je n’écris pas sur ça par contre [Rires] Quoique j’aie essayé de m’attaquer à ce sujet il y a un mois, en musique, histoire de livrer autre chose que le sentiment amoureux. Mais ça m’a fait bizarre d’écrire sur ça. Mais vous savez, tous les artistes sont sujets à ce genre de troubles. [Elle tousse.]

 

Vous toussez !

Ne vous inquiétez pas, c’est à cause de la cigarette ! J’ai acheté douze cartouches pour me préparer à la quarantaine.

 

Selon des bruits de couloir, certaines chanteuses répètent les discours bienveillants qu’elles adressent à leur public entre chaque chanson. Est-ce également votre cas ?

Non je ne les travaille pas. [Rires] Il y a toujours un soir génial où je vais vraiment me marrer avec le public. Mais le lendemain, si je tente de reprendre une blague qui a bien fonctionné la veille, vous pouvez être sur que ça foire ! Donc j’improvise selon l’humeur.

 

Bon, entre nous, lorsque vous affirmez à votre public qu’il était le meilleur de la tournée, ne serait-ce pas ce que l’on appelle “du bullshit” ?

Of course ! [Rires] C’est comme un connard qui te dit : “C’était génial avec toi, on a trop bien fait l’amour !” Il le pense sans doute vraiment sur le moment.

 

Braquage de Marie-Flore, disponible. Elle sera en concert à la Cigale le 28 septembre 2020.