13 fév 2024

Les confessions de Maureen, la sulfureuse ambassadrice du shatta

La jeune artiste martiniquaise Maureen poursuit son ascension, catapultée par le succès de son incontournable morceau Tic, sorti en 2020. Collaboratrice de Lala &ce et protégée de la star antillaise Kalash, elle est l’une des cheffes de file du shatta, une revisite irrésistible du dancehall jamaïcain, et défend cette année son premier EP au titre évocateur: Bad Queen.

Le shatta, un genre musical explosif venu tout droit des Antilles


 

Quatre ou cinq minutes suffiraient amplement à la jeune Maureen pour illustrer son incontournable morceau Tic (2020) à coups de pinceau sur une toile blanche. On découvrirait alors une œuvre abstraite en vert, en orange et en rouge. Des couleurs qui, selon elle, semblent convenir au shatta, cette revisite underground sulfureuse du dancehall jamaïcain qui, depuis quelques années, inonde les soirées branchées de la métropole. Impossible pour les noctambules de résister au rythme entêtant de ce genre musical électronique, un peu plus lent que le dancehall, dont les paroles assez élémentaires sont chantées… en créole. Car le shatta provient bel et bien de Martinique, île splendide des Caraïbes et région d’outre-mer française.

 

Ici la mélodie a laissé place à un leitmotiv de basses rondes et grésillantes. Quant aux percussions, elles demeurent assez minimalistes. Bref, peu importe la couleur du tableau de Maureen, le shatta combine parfaitement les deux termes que les linguistes lui accolent : “gangsta” en argot jamaïcain et “pur moment de plaisir” dans le jargon martiniquais. Et il n’a pas fallu longtemps aux artistes antillais pour enrichir cette musique volcanique. Car c’est avec un plaisir non dissimulé qu’ils blasphèment à grand renfort de textes crus voire franchement grossiers. Ils évoquent à leur façon les stigmates de la colonisation, mentionnent la violence qui dévore leur quotidien ou fanfaronnent en énumérant leurs coïts les plus ardents.

 

Le titre Tic choisi par Mugler pour son défilé printemps-été 2021 avec Bella Hadid

 

Certifié disque d’or, c’est bel et bien le single Tic qui a braqué les projecteurs sur Maureen, 24 ans aujourd’hui. Le morceau de la chanteuse s’est retrouvé sans que l’on sache vraiment comment chez Mugler, illustrant les improbables acrobaties de la mannequin star Bella Hadid à l’occasion du défilé printemps-été 2021. Ainsi les néophytes découvrirent le shatta.

 

– Il paraît que votre musique rassemble les gens ?

 

– Je n’avais absolument pas conscience de cela. Puis j’ai vu des spectateurs pleurer dans la fosse de mes concerts… en France. D’ordinaire, je suis plutôt du genre à camoufler mes émotions. Mais là, j’ai vraiment été très émue à mon tour. Qui aurait pu croire que le shatta aurait cet effet ? Un soir, une fille m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : “Ta musique m’a sauvée, grâce à toi je me sens bien plus femme.

 

– Que voulait-elle dire par là ?

 

– Parfois, mes chansons laissent sous-entendre que j’ai un réel problème avec les hommes…

 

– Avez-vous un réel problème avec les hommes ?

 

– Peut-être… Les femmes doivent toujours en faire davantage pour défendre leur indépendance. La plupart sont épuisées par cette injustice. Moi, je n’ai pas besoin d’un homme pour subvenir à mes besoins.

La folle ascension de Maureen, la protégée de la star Kalash

 

Ce vendredi 16 février, Maureen défend Bad Queen, son premier EP de quatre titres aussi caniculaires que son genre de prédilection. Porté par le morceau Pum Fat, déjà disponible, Il survient quelques années après les succès de Flex (2019), Joke (2020) et même une collaboration avec le quinquagénaire Mr. Vegas, véritable star de Kingston. Maureen a donc rejoint la communauté du shatta par la grande porte et concurrence son homologue Shannon, Krissy que l’on surnomme déjà “queen”, le collectif APK Family ou la Guadeloupéenne Shanika… Primée lors de la cérémonie Les Flammes en 2023 (aux côtés de son mentor Kalash pour le titre Laptop), nommée aux BET Awards américains qui récompensent principalement des artistes afro-américains, Maureen n’aurait jamais imaginé pareille ascension.

 

Elle a grandi à Dillon, un quartier de la commune de Fort-de France, en Martinique. Très vite, elle se prend de passion pour les artistes jamaïcains et envisage même de rejoindre ce pays insulaire des Caraïbes pour s’adonner justement à la danse dancehall. Car si elle n’était pas devenue musicienne… Maureen aurait évidemment été chorégraphe. Et même une danseuse d’élite spécialiste d’à peu près tout. Car la jeune femme a beaucoup à extérioriser. Une colère qu’elle se trimballe depuis l’enfance et qui la poursuivra certainement dans cette impitoyable industrie musicale encore phallocrate… 

 

Et si l’on reproche au shatta ses paroles vulgaires et ses références sexuelles permanentes, Maureen se rêve pourtant en artiste accomplie, femme d’affaire retord et mère irréprochable comme l’est aujourd’hui son icône indétrônable… une certaine Rihanna. Désormais collaboratrice de Lala &ce (Mise à mort, 2022) ou de Made in Paris (Auto, 2023), Maureen ne doit son succès qu’à une seule chose : son perfectionnisme et son travail acharné que beaucoup ne soupçonnent pas.

 

– Avez-vous toujours été aussi exigeante avec vous-même ?

 

– Oui… Je crois qu’il faudrait parfois que je lève le pied pour enfin fêter mes victoires. Mais c’est plus fort que moi. Après une courte célébration, je remercie le Seigneur pour cette bénédiction… puis je me remets au travail. C’est sans doute un traumatisme lié à mon enfance. Je sais bien que je me mets beaucoup trop de pression mais, lorsque je veux quelque chose, je me donne les moyens de l’avoir.
 

Bad Queen de Maureen, disponible le 16 février.