5 juil 2022

Le punk cérébral de Wu-Lu, musicien anglais hors-normes

Sorti le 8 juillet 2022 sur le label culte Warp, Loggerhead, le premier album studio de l’Anglais Wu-Lu qui mêle drum’n’bass, punk et post-rock, range son auteur dans le bac à inclassables.

En fait, on a oublié de lui demander. A-t-il l’habitude qu’on lui dise qu’il n’est pas seul dans sa tête ? Mais qu’importe ce que pensent les autres : Wu-Lu est un artiste qui déborde. Et c’est grandement assumé. À 32 ans et une vie passée à bosser en tant qu’éducateur dans des centres pour gamins en difficulté, cet Anglais pure souche élevé au Sud de la capitale et toujours fourré avec son jumeau a appris une chose : dealer avec toutes les parties de lui-même, celles avec lesquelles il est obligé de composer au quotidien, sa colère, sa frayeur, sa logorrhée, son assurance, sa paranoïa… Et ça se ressent dans son premier album. Sorti chez Warp le 8 juillet dernier, Loggerhead est un disque tendre et punk, cérébral et limpide, claustrophobe et libérateur… De l’art qui rassure : non, on n’est pas schizophrène parce qu’on est talentueux. 

 

Découvert à travers sa pochette intrigante – une photo du Londonien Machine Operated où l’artiste pose dans une chambre un peu miteuse et affiche trois versions de lui-même –, le successeur du très discret EP Ginga (sorti en 2015 sur le propre label de Wu-Lu) est un album par lequel on entre en douceur et qui vous claque en retour. On y reconnaît Yves Tumor, pensant forcément aux deux chefs-d’oeuvre de l’artiste également signé chez Warp, Heaven to a Tortured Mind (2020) et même Safe in the Hands of Love (2018), mais pas grand chose d’autre, tant la patte punk de l’auteur-compositeur-interprète se fait rare dans l’industrie de la musique actuelle. Avec Loggerhead, le fan inconditionnel du bizarre, des atmosphères trash à la Kids (1995) de Larry Clark et de ce sentiment de liberté auquel on vient goûter dans les skate parks nous embarque dans un Londres post-gentrifié, une ville marquée par son intensité créative mais où ses habitants ont l’impression de devoir jouer des coudes et sacrifier une partie d’eux-mêmes pour s’épanouir dans leur art. “Dans ce disque, je parle de confiance en soi. J’essaie de défendre l’idée qu’il faut prendre en compte le passé des gens et ce qui se passe pour eux au quotidien, mais finalement, qu’il faut s’en écarter pour s’épanouir. Je dis au gamin que j’ai été que tout va bien se passer.”, confie, tout sourire, Miles Romans-Hopcraft, de son vrai nom, dans la petite cour d’un hôtel parisien.

Sortir du cadre, se faire confiance et être assuré de sa différence sont non seulement des mantras autour desquels Wu-Lu a construit son album de douze titres, mais également des principes qu’il applique dans sa vie et tente d’inculquer aux jeunes qui l’entourent : “Quand je travaillais avec des gosses, j’entendais des trucs dingues. Ils rappaient et se disaient qu’ils ne savaient même pas ce qu’ils faisaient ou qu’ils essayaient de chanter comme untel pour pouvoir être affiliés à un label. Je leur expliquais qu’être signé ne veut rien dire, c’est juste un chèque que tu pourras encaisser à la banque !”. Convaincu que travailler dans la musique est carrément un métier comme un autre, celui qui a collaboré, pour ce disque, avec la musicienne expérimentale anglaise que tout le monde s’arrache Mica Levi, se tue à répéter – à lui-même et à ses futurs successeurs – que la clé de la réussite dans les domaines artistiques et de comprendre les différents processus créatifs dès le plus jeune âge. De s’y immiscer aussi. 

 

Entouré d’une mère danseuse formée chez Alvin Ailey à New York et d’un père membre d’un groupe de jazz qu’il venait voir sur scène à Glastonbury, Wu-Lu a sans doute été poussé à croire qu’il ne faut pas s’enfermer dans des songes qui tournent en boucle dans nos têtes, à s’aimer pour sa différence et, aussi mielleux que ça puisse paraitre, à croire si fort en ses objectifs qu’ils finiront par se réaliser. Et tandis qu’il s’efforce, à travers tout cet album, de marquer son combat contre l’overthinking (en français, ressasser certaines pensées de façon obsessionnelle), la philosophie de l’artiste est simple : “Si j’aime ma musique, je trouverais bien quelqu’un qui l’aimera autant que moi ! Peut-être que ce sera Travis Scott : j’ai promis à mon frère qu’il le rencontrerait dans mon studio.

 

 

Loggerhead (2022) de Wu-Lu, disponible chez Warp.