Laura Mvula, l’incroyable chanteuse qui a fondé un courant musical
Chanteuse britannique de 35 ans, Laura Mvula a récemment dévoilé Pink Noise, son troisième album studio. Un recueil de dix titres et, surtout, une plongée dans les années 80, décennie musicalement très faste marquée par des artistes comme Prince et Michael Jackson qui ont atteint, à cette époque, le paroxysme de leur gloire dans l’effervescence des synthétiseurs, des looks déjantés et des paillettes. Cet opus sonne comme un bol d’air nostalgique et pétillant sur fond de pop envoûtante.
Par Anatole Stos.
Le label de Laura Mvula n’est plus le même. Elle nous transporte dans une autre décennie et sa méthode d’écriture, qui cherchait autrefois à plaire sans offenser est, cette fois-ci, franche et libérée. Une métamorphose fertile et formatrice puisqu’elle dévoile Pink Noise, son nouvel album, qui prend une direction totalement différente : celle du R’n’B-pop des années 1980, utilisant les synthétiseurs avec brio. Et, en l’écoutant, on a presque envie de retrouver les walkman cassette auto-reverse, symbole d’un temps malheureusement révolu. On y trouve des références à des titres mythiques des années 80, les airs de Michael Jackson et de Prince jaillissent subtilement derrière la voix de la chanteuse britannique. “C’est l’album que j’ai toujours voulu faire. Chaque recoin est réchauffé par des tons de couchers de soleil des années 80. Je suis née en 1986. Je suis sortie de l’utérus avec des épaulettes. J’ai absorbé le dynamisme de l’esthétique des années 80 dès mes premiers instants sur cette planète” confie la chanteuse de 35 ans dans Charts in France. Elle est née en plein dedans comme Obélix et sa potion magique, et voilà donc qu’elle cherche à nous offrir une petite fiole riche en oméga 80 qui revitalise et requinque.
Native de Birmingham en Angleterre, elle grandit dans la banlieue de Selly Park et Kings Heads. Avec un père éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse et une mère professeure de lettres, rien ne la prédestine à la musique. Pourtant, elle la cultive tôt et débute au Conservatoire d’où elle sort diplômée en composition quelques années plus tard. En 2005, biberonnée aux Girls Band des années 90 (Atomic Kitten, TLC, et Spice Girls), elle intègre d’abord une formation a capella nommée Black Voices… puis forme trois ans plus tard un group de jazz baptisé Judyshouse où elle chante et compose la majorité des morceaux. Elle s’éprend du chanteur Themba Mvula, se marie et livre, à 27 ans, un premier album Sing to the Moon (2013), dont l’écho est retentissant. Et pour cause, grâce à sa voix soul puissante offrant un conglomérat musical délicieux qui allie jazz gospel, musique classique et pop, elle est assignée chef de file d’un nouveau courant musical baptisé “gospeldelia”…
En 2016, faute de retombées commerciales pour son album The Dreaming Room, elle est lâchée par son label, Sony. “C’était si brusque. C’était comme si on me disait : « Vous n’avez plus aucune valeur pour nous”. “On m’a mis la pression, et je me suis mise la pression, pour faire quelque chose de nouveau”. “J’avais toutes ces étiquettes en tête. Vous savez, ‘Créer son propre genre de musique, créer sa propre voie’” lance-t-elle dans les colonnes du New York Times… L’heure est à la refonte de son univers artistique. Elle signe dans un nouveau label, Atlantic, et ancre alors son univers artistique dans un environnement plus étroitement défini. Les résonances lumineuses des années 1980 de l’enfance ressurgissent après avoir pris quelques cours pour libérer sa plume et avoir installé un mini studio son armoire à vêtement à Londres. “J’ai décidé que je n’allais pas dire : ‘Je veux créer une palette orchestrale avec ces textures’. Je ne vais pas me mettre au clavier et jouer tous les accords et les voix que j’aime. Je ne vais plus jouer les formes familières. Je vais juste jouer la première chose qui me vient.” Et si les hiatus – de cinq ans dans son cas – ont souvent valeur d’introspection pour regarder le monde en face et tenter de se renouveler pour les années futures, Laura Mvula, elle, préfère regarder son passé. Elle dévoile ce qu’elle n’a jamais voulu avouer : son amour des lignes de base de synthé, des réverbérations à grille, des caisses claires des années 80… en somme, tout ce qui fait l’esthétique des eighties.
Dès le premier titre, Safe Passage, les synthèses scintillent et les chœurs 80’s d’Oli Rockberger (artiste et producteur de la chanteuse) nous installent dans un bon film de l’époque ; comme Breakfast Club de John Hughes. En effet, sa voix aurait pu servir de fond musical à ce long-métrage où coupe mulet et varsity jacket habillent cinq adolescents, se retrouvant en colle au lycée, discutant et s’écharpant à tel point qu’ils en viennent à se trouver des points communs. Sacré synopsis. Mais qu’importe, c’est ça les années 80 : l’hédonisme froid où, parfois, le look à plus de valeur que la musique ou le film en lui-même. Ces années qui claquent et pétillent pendant lesquelles chacun frime entre sweat oversize, paillettes, épaulettes XXL, ou bandana à la Björn Borg et danse sur du hip-hop, de la pop ou du rap. Les plus extravertis assument une coupe mulet, des cheveux crêpés, et des couleurs disparates… rose fushia et vert émeraude. Fut un temps, rien n’arrêtait les démonstratifs, pas même l’idée de ressembler à un tic-tac aromatisé. Aux yeux de Laura Mvula, c’est une période magnifique, libérée, décomplexée. Ce sont les chanteurs de cette époque qui lui servent de bâtons de marche et d’inspiration. Dans Church Girl, et Magical (cette dernière est une référence lyrique à “Purple Rain” de Prince), Laura Mvula nous guide vers le Minneapolis Sound (le genre musical hybride mélangeant funk, rock pop) fondé par Prince, une de ses idoles. Et, dès lors, on se remémore les chemises à col jabot du Prince de la Pop, ses pantalons à pattes d’éléphant, ses boots à talons ou ses yeux soulignés de Khôl, cette poudre minérale qui lui donnait un air si mystérieux.
Et comme s’il ne fallait laisser aucune star sur le bord de la scène, elle fait avec Got Me, un recyclage éhonté de The Way You Make Me Feel, la chanson de Michael Jackson. “Il n’était pas seulement l’idole des adolescents pour moi. J’ai inhalé l’héritage de Jackson quand j’avais 11 ou 12 ans. Tout ce qui concerne l’histoire, le désir de faire de la musique ensemble en tant que famille, a des parallèles avec moi parce que mes deux frères et sœurs jouent dans mon groupe” déclare t-elle dans The List, un petit journal écossais. Cet album, dont les années 80 servent de fil rouge, n’est pas empli de reprises fades et faussement audacieuses. Au contraire, la chanteuse parvient à les habiter complètement pour faire revivre les artistes regrettés. Et on succombe à une énième cuillerée des années 80, assaisonnée d’une pop entêtante.
“Pink Noise” de Laura Mvula, disponible sur toutes les plateformes