24 fév 2021

La techno féérique et brutale de Smerz

De leurs premières sessions live sur la webradio NTS à la sortie, aujourd’hui, de leur premier album “Believer”, les deux Norvégiennes de Smerz n’en fissent pas de surprendre avec leur techno féérique et brutale aux accents pop ultra dark. Une musique qui est arrivée jusqu’aux oreilles de Björk, qui a diffusé un de leurs titres hier lors d’un mix d’une heure diffusé sur Internet. Portrait.

Catharina Stoltenberg, moitié du duo Smerz, photographiée par Benjamin Barron sur le tournage du clip “Believer” (2021).

Ces temps-ci, le monde de la musique électronique panse ses blessures. Il y a d’abord eu la pandémie, une hécatombe qui a forcé les clubs à fermer leurs portes, les concerts à être reportés et les festivals à s’annuler. À cela, s’est ajouté (entre autres) la mort de SOPHIE, productrice transgenre que tout le monde s’arrachait, plongeant les adeptes de musique néo-pop, ses admirateurs et ses anciens collaborateurs dans un chagrin abyssal et, plus récemment, l’annonce de la fin d’un mythe, celui des Daft Punk, qui se séparent après vingt-huit années passés à faire danser les gens. Du deuil, du chagrin, de l’incompréhension, de l’indignation… et malgré tout, la musique électronique continue toujours de vivre, de se réinventer et de nous surprendre. Le duo norvégien Smerz en est la preuve.

 

Dans cette période terne où les rendez-vous entre amis sont donnés en cachette, les lives s’écoutent en solo via l’audio d’un ordinateur, et la fête, prohibée, s’organise en extérieur et sans autorisation, Catharina Stoltenberg et Henriette Motzfeldt, une brune et une blonde proches de la trentaine, sortent leur premier album, Believer. Condensant musiques techno, pop, trap, R’n’B et opéra, ce disque hybride et très ambitieux, fort d’un storytelling extrêmement bien ficelé, nous embarque dans un territoire se révélant aussi sombre que lumineux. En bref, il s’écoute en solo ou en groupe, aussi bien pour danser jusqu’au petit matin que pour trouver l’apaisement à l’heure du coucher, faire le point sur sa vie amoureuse chaotique ou rêver aux premiers rencards avec son crush du moment. Entre interludes rap, musique baroque et chants en norvégien, les deux musiciennes mêlent les opposés avec une aisance quelque peu déroutante mais qui finalement, à trait au génie. Dans I Don’t Talk About That Much, le titre coup de poing de l’album, des textes d’amour sont récités sur du gabber [sous-genre du mouvement techno hardcore très écouté en rave-party] tandis que dans Rain, le morceau le mieux produit, le norvégien résonne comme un tintillement sur un rythme trip-hop… le tout sans jamais égarer l’auditeur.

 

 

Believer l’embarque plutôt dans un monde féérique, un univers magique où il hallucine sans psychotropes et où il est guidé, selon Catharina Stoltenberg, l’une des moitiés du duo – retrouvée en visioconférence depuis Bergen, une petite ville sur la côte ouest de la Norvège – “de façon théâtrale vers des émotions contradictoires, de la tristesse, au bonheur, en passant par l’anxiété et l’apaisement”. Et puisque Smerz est double, son identité semble construite autour de la dualité et ce, des textes, aux mélodies en passant par les clips. Dans la vidéo de Flashing, Henriette Motzfeldt est seule au volant d’une voiture, cheveux au vent, toute de blanc vêtue. Extrêmement féminine, à la fois fragile et puissante, elle chante les paroles douces d’un titre aux inspirations très dance music de la fin des années 90. Dans le clip d’I Don’t Talk About That Much, Catharina Stoltenberg exécute une danse aérienne aux frontières du contemporain et du traditionnel sur un son aussi brutal qu’un set de rave. Smerz, c’est donc une direction artistique peaufinée dans les moindres détails, tout autant que l’est sa musique.

 

Et si Believer arrive à point nommé, c’est aussi parce qu’il est le premier long projet de musiciennes jusqu’ici partiellement dans l’ombre. Depuis qu’elles se sont rencontrées à Copenhague, il y a presque dix ans, Henriette Motzfeldt et Catharina Stoltenberg ont surtout intrigué les amateurs de musique électronique underground. Avant que tous les DJs de la planète ne soient contraints, à cause de la pandémie, de jouer en live via écrans interposés, les filles de Smerz ont été invitées à mixer par NTS [célèbre webradio basée à Londres] lors d’une session qui semble sortie d’une autre époque, où l’image est surexposée mais la musique délicieuse. Deux EP plus tard – Okey, sorti en 2017 et Have Fun, sorti en 2018 –, les deux Norvégiennes se sont retrouvées, au printemps 2018, à l’affiche du festival Villette Sonique à Paris. Et vint ce fameux jour où Björk a joué leur musique dans un mix d’une heure diffusé sur Sonos Radio. Ce jour-là, c’était hier, veille de la sortie de leur premier album, et c’est sans doute la meilleure excuse qu’elles aient jamais trouvé pour avoir envie de faire la fête.

 

Believer [XL Recordings] de Smerz, disponible.