Joyce Wrice, la chanteuse qui ressuscite Aaliyah et les Destiny’s Child
Le 19 mars, Joyce Wrice, 26 ans, a sorti son premier album, Overgrown. Avec cet opus, la gamine au jean baggy et aux créoles XXL, biberonnée à Fantasy (1995) de Mariah Carey, signe un disque personnel et mélancolique, comme habité par les fantômes de son enfance…
Par Chloé Sarraméa.
Au royaume très prisé du R’n’B, plusieurs princesses se disputent le trône. Elles s’appellent Jazmine Sullivan, Summer Walker ou Victoria Monét, ont deux, trois ou quatre albums derrière elles et leurs marraines s’appellent Solange ou Missy Elliott. Si leur phrasé et leurs mélodies diffèrent, ces auteures-compositrices-interprètes ont au moins trois points communs. Des clips délicatement sensuels aux publications Instagram pastel, en passant par le partage de sessions live très intimistes : elles peaufinent leur image de baby doll jusqu’aux moindres détails. Les Américaines cumulent des centaines de milliers d’abonnés sur leur chaîne YouTube et, surtout, font renaître l’âge d’or du R’n’B en glorifiant ses légendes, Aaliyah et les Destiny’s Child en tête.
Très fermé, le cercle des futures stars du genre ne cesse pourtant de s’agrandir. Cela s’est notamment produit en mars, lorsque Joyce Wrice, 26 ans, a dévoilé son tout premier album, Overgrown. Avec cet opus, la gamine au jean baggy et aux créoles XXL, biberonnée à Fantasy (1995) de Mariah Carey, signe un disque personnel et mélancolique, comme habité par les fantômes de son enfance. Ces derniers s’appellent Mary J. Blige ou Ne-Yo et, au début des années 2000, inondaient les radios de chansons d’amour, de résilience et surtout, produisaient un R’n’B hybride, fruit d’un mix entre rap et chant. Ainsi, la jeune chanteuse originaire de Chula Vista, une ville au sud de San Diego, s’est appliquée, dans sa musique, à imiter ses idoles.
Elle ne rappe pas, mais, comme la “Queen of Hip-Hop Soul” – le surnom de Mary J. Blige – l’avait fait sur son album The Breakthrough (récompensé trois fois aux Grammy Awards en 2007), Joyce Wrice a invité sur Overgrown les artistes hip-hop les plus talentueux et acclamés du moment. On retrouve donc, sur deux des quatorze titres, les stars du rap Freddie Gibbs et Westside Gunn, lequel a même eu droit à un interlude en solo où il s’accorde quelques libertés… Dans l’univers gentillet de la chanteuse, l’artiste originaire de l’État de New York détonne : au début du titre, il a placé la tirade “There’s only one pussy I want to eat, and that’s yours ”(“Il n’y a qu’une seule chatte que je veux manger, et c’est la tienne”) qui, selon Joyce Wrice dans une interview accordée au média américain Vice, “était encore plus explicite dans sa version originale et a dû être coupée”. Alors, pourquoi la nouvelle poupée du R’n’B a-t-elle souhaité s’entourer de rappeurs qui ont fait de la vulgarité leur marque de fabrique ? Sans doute pour produire un album fait de métissages, où la délicatesse de la soul rencontre la brutalité de la rue. Sans doute parce que, pour entrer pleinement dans la lumière, elle avait besoin d’un léger coup de pouce.
Élevée en Californie par une mère bouddhiste et un père militaire toujours mobilisé à l’étranger, Joyce Wrice ne se destinait pas à faire carrière dans la musique. Elle y est tombée un peu par hasard, en tentant d’imiter, seule dans sa chambre, Hannah Montana et les stars qui peuplaient la chaîne MTV de leurs clips aujourd’hui surannés. Une fois passé l’âge des covers postées sur YouTube, la jeune femme alimente un compte SoundCloud avec ses propres titres et sort, dès 2015, deux EP et une petite dizaine de singles, dont certains ont été coécrits avec le compositeur favori de Jill Scott, SiR. Malheureusement, ces derniers passent inaperçus. Pour se faire une place, la chanteuse surfera, comme beaucoup d’autres artistes émergents, sur la vague des featurings à la chaîne : dès 2017, elle est invitée sur un certain nombre d’albums de rap, dont The Moon & You (2017) de l’Irlandais Rejjie Snow et Higher. (2018) de l’Américain Remy Banks… Cette stratégie devrait s’avérer payante, puisque, depuis le succès d’Overgrown, il y a fort à parier que ces mêmes rappeurs la prient d’apparaître sur ses futurs projets.
Ce premier LP, c’est pour Joyce Wrice l’aboutissement d’années passées à bien s’entourer. D’abord avec des producteurs de talent, dont le Californien Mndsgn – qui a accompagné Danny Brown et Doja Cat au début de leur carrière – avec qui elle collabore dès 2015. Ensuite, avec le manager de Mary J. Blige, Eddie Fourcell, qu’elle rencontre en 2018 et qui la présente au producteur star du R’n’B américain, Dernst « D’Mile » Emile II. Ce dernier, qui a travaillé pour Rihanna, Beyoncé et Jay-Z, Victoria Monét et H.E.R, plonge la tête la première dans l’aventure Overgrown, dont il signe la production exécutive. Et depuis la sortie de l’album, le nom de Joyce Wrice est sur toutes les lèvres. Certes, grâce aux artistes avec qui elle a conçu l’opus, à sa façon de chanter et à son esthétique pensée dans les moindres détails. Mais le fort emballement médiatique, le soutien des plateformes de streaming et les campagnes de pub placardées en quatre par trois sur les grands artères de Beverly Hills révèlent autre chose : en 2021, les foulards portés sous les casquettes, les joggings en velours et les chorégraphies millimétrées font encore rêver.
Overgrown (2021) de Joyce Wrice, disponible.