22 déc 2022

How Honey Dijon has become Beyoncé and Madonna’s favorite producer

Flamboyante, talentueuse et fière, la DJ et productrice de musique électronique transgenre Honey Dijon est devenue en presque trois décennies une icône queer, une icône de la nuit et une icône de la mode. Influencée par Sade et Grace Jones, la native de Chicago qui a vécu à New York avant de partager son temps entre Berlin et Londres a imposé son style : hédoniste, éclectique – entre house, techno et disco – et prônant l’ouverture d’esprit et l’abolition des frontières entre les genres. Ses DJ sets fiévreux et son charisme stratosphérique font danser les foules dans les plus grands clubs du monde et ont séduit de grandes maisons telles que Louis Vuitton et Dior. Ultimes signes de reconnaissance ? L’ex-danseuse et performeuse américaine figure sur le dernier album de Beyoncé, Renaissance, et a remixé Madonna. Alors qu’elle vient de sortir son deuxième opus, le bien nommé Black Girl Magic, portrait d’une visionnaire qui fait évoluer les mentalités tout en enflammant les corps. 

“Vous savez comme les gens sont beaux la nuit, c’est comme Paris, Paris est très beau la nuit, débarrassé de sa graisse que sont les voitures. J’avais coupé le monde en deux. J’étais tombé amoureux des gens de la nuit », déclame le personnage joué par Jean-Pierre Léaud dans le film culte de Jean Eustache La Maman et la Putain (1973). La nuit est en effet, depuis longtemps, avec la tradition du carnaval au Moyen-Âge, et même avant cela, au temps des saturnales de l’Antiquité romaine, le lieu où les normes du jour se renversent et les conventions se dissipent. Et cette liberté jouissive la rend plus passionnante, subversive et sublime encore que le jour. Une fois les lumières éteintes, on s’affranchit de ses complexes pour laisser place à un autre « moi. » 

 

L’esprit fédérateur de la house

 

Dans le théâtre du club, chacun peut devenir celui qu’il rêve d’être, s’inventer une autre identité, un autre genre, un autre métier… La nuit, les êtres sont souvent plus étincelants, parés de vêtements de lumière sublimés par les reflets d’une boule à facette ou de néons futuristes. Les masques tombent ou on en revêt un orné de paillettes. Telles sont les belles leçons du disco et de la musique house, ce courant né au début des années 80 à Chicago, qui revient à la mode grâce au rappeur Drake et à la chanteuse Beyoncé, qui s’en réclament. On doit la naissance de la house à des pionniers de l’ombre, des DJ’s gays et noirs qui officiaient dans les clubs moites de la ville. Ce n’est pas un hasard si c’est à Chicago que la productrice et DJ américaine transgenre Honey Dijon, est née, sous le nom de Honey Redmond (en 1968, selon la légende car elle refuse de signaler son âge). Celle que les clubs, les musées et la mode s’arrachent depuis plus d’une dizaine d’années a grandi dans le berceau d’une musique qui prône la liberté d’être soi, et ce, de manière flamboyante. On sait peu de choses de son enfance et de son background, si ce n’est que ses parents (des Afro-Américains appartenant à la classe moyenne très aimants qui l’ont eue jeunes), la laissent dès l’enfance passer des disques dans leurs soirées à la maison. Pour elle, c’est un moyen de se connecter aux gens.

 

À l’adolescence, ses parents l’autorisent aussi à fréquenter les clubs. Munie d’une fausse carte d’identité, Honey Dijon qui n’a même pas 13 ans, se sent différente et subit un harcèlement scolaire, découvre que les discothèques de l’époque sont de véritables « safe places » pour les personnes issues de minorités, souvent marginalisées. Les noirs, les latinos, les gays et les personnes transgenres y communient sans peur, au son de DJ sets électroniques hypnotiques. Ici, tous semblent heureux, le temps d’une nuit blanche. Comme Honey Dijon l’évoque dans un récent communiqué de presse : « Le secret de la grande musique de danse, c’est la joie. C’est pour cela que le disco a toujours résonné en moi. Même s’il parlait des réalités de la vie, il était aussi exaltant et libérateur. C’est ce que fait la grande musique de danse. Élever et libérer tout en nous faisant réfléchir. Elle prône l’affirmation. » 

« Une très bonne fête, c’est comme le sexe. » Honey Dijon

 

Dans ses virées nocturnes de jeunesse qu’on imagine déjantées, l’Américaine rencontre notamment la légende de la house Derrick Carter, qui va devenir son mentor. Après avoir assisté au pouvoir de la musique sur les corps, les cœurs et les esprits dans les clubs de Chicago, Honey Dijon se voue d’abord à une carrière de danseuse et de performeuse, évoluant dans la scène des drag-queens. Mais celle qui collectionne les vinyles – elle en possède plus de 30 000 aujourd’hui – commence très vite à passer des disques dans des soirées dès les années 90, grâce à ses nombreux contacts en tant que danseuse. À la fin des années 90, elle déménage à New York, une autre ville connue pour ses nuits endiablées. Son nom commence alors à attirer l’attention. Dans les années 2000, Honey Dijon joue notamment au bar new-yorkais gay The Cock, connu pour son atmosphère décadente, ses clubbeurs exhibitionnistes et sa faune très mode et people (Christina Aguilera, Boy George et George Michael y sont allés). De quoi faire un plus parler d’elle… La force de la DJ ? Des sélections musicales éclectiques et sans œillères, qui propagent l’esprit hédoniste de la house et du disco tout en flirtant avec le rock, la pop (à condition qu’elle soit émotionnellement profonde) et la techno. Pour l’Américaine qui voue un culte à Grace Jones et à Sade, la notion de genres musicaux est obsolète. L’artiste conçoit ses mix comme des voyages au bout de nuit qui transportent les danseurs dans une sorte de transe salvatrice. Elle explique : « Ce qui fait une très bonne fête, c’est le voyage. C’est comme le sexe : des tempos rapides, des tempos lents, donner aux gens une pause pour reprendre leur souffle, puis les faire remonter.« 

 

Une artiste proche de Riccardo Tisci, de Nicolas Ghesquière et de Kim Jones

 

Cette vision orgasmique de la musique séduit. Honey Dijon devient très vite la DJ fétiche fétiche de la mode. Hedi Slimane vient la voir jouer. L’artiste fait la connaissance de Riccardo Tisci, de Nicolas Ghesquière et de Kim Jones. Avec ce dernier, elle entretient une relation privilégiée. Bientôt, l’artiste imagine des bandes-son de défilés pour les collections masculines de Dior et de Louis Vuitton. Elle a posé pour Calvin Klein et on l’a aussi vu défiler en février dernier pour Off-White (dont elle a été l’égérie) dégageant une prestance folle dans un costume oversize porté sur une poitrine nue. Des lunettes échappées du futur posées sur son joli nez finissent de lui donner l’allure d’une mutante enfantée par Beyoncé et Grace Jones. Habituée des premiers rangs des Fashion Weeks, l’artiste au charisme stratosphérique, entre glamour « grand soir’ et sensualité féroce, a même, lancé, en 2019, sa propre ligne de vêtements, Honey Fucking Dijon, en collaboration avec Comme des Garçons. Un accomplissement pour celle qui dévorait compulsivement des magazines de mode, souvent volés par manque d’argent, adolescente. Les pièces colorées aux imprimés extravagants, taillées pour les clubs et inspirées par les graffitis du New York cosmopolite et effervescent de Jean-Michel Basquiat et de Keith Haring, ne passent pas inaperçues. À son image. 

Une collaboration remarquée avec Beyoncé sur son album « Renaissance »

 

Versatile, Honey Dijon s’évertue à envoyer valser toutes les étiquettes qu’on pourrait lui coller à la peau. Se revendiquant d’artistes qui, comme David Bowie ou Andy Warhol, ont décloisonné les limites entre les disciplines, elle se définit comme une artiste plurielle, se permettant toutes les audaces. Elle compare même le DJ set à la pratique du peintre créant une toile. Son mantra ? « Je refuse de penser en termes de frontières. Les gens ont toujours peur qu’on leur dise non, qu’on ne les accepte pas. Mais la question est : il s’agit d’être accepté par qui au juste ? » Ainsi, l’Américaine peut passer d’un DJ set pour Rick Owens, Hermès, Burberry x Vivienne Westwood, Balenciaga, Narciso Rodriguez ou Givenchy, à des performances pour l’after-party du Met Gala, les CFDA Awards ou Art Basel. Quand elle ne passe pas des disques dans un club culte de Berlin (le Panorama Bar) avant d’enchaîner sur des allocutions au King’s College de Londres ou au MoMA PS1 de New York. 

 

Mais cette richesse créative ne doit pas occulter son travail de productrice hors pair. Honey Dijon figure parmi les crédits de l’impressionnant dernier album de Beyoncé, Renaissance (sorti en juillet 2022), qui célèbre l’esprit fédérateur de la house et la communauté afro-américaine. Elle a également remixé Madonna. Et après un premier album remarqué, The Best of Both Worlds (publié en 2017), la DJ vient de sortir, en novembre, un second opus tout aussi bien nommé : Black Girl Magic. Dans le texte accompagnant ce disque de house vivifiante, Honey Dijon confie : “En tant qu’artiste, surtout en tant que femme trans de couleur travaillant dans la musique, je voulais que l’album soit cash, sans pudeur, brut et honnête. J’ai surtout collaboré avec des chanteurs-auteurs et compositeurs noirs et queer. Ce sont des chansons sur l’amour, la vie, la résistance, la lutte contre l’oppression.” 

L’amour de soi, de la musique et de sa communauté est au cœur de ce disque vibrant et chamanique, dont le crédo est ainsi résumé par l’artiste : « Être fidèle à qui vous êtes malgré tout et avoir le courage d’aimer sans peur. N’ayez pas peur, tenez-vous debout, l’amour est un état d’esprit : ce sont des mots que j’utilise dans ma vie de tous les jours et qui sont sur l’album. Ce disque est ma vie. » En même temps qu’il provoque un sentiment d’euphorie chez l’auditeur, Black Girl Magic incite à réfléchir à ses propres croyances, à ses choix, à son identité. À se questionner avant de s’affirmer. Et c’est là toute la magie d’Honey Dijon dont le pseudo évoque un mélange de douceur et d’une saveur plus épicée, corsée. La nuit lui appartient. Mais ce n’est le seul terrain de jeu de celle qui a déjà samplé un discours de Martin Luther King sur fond de sonorités techno dans l’un de ses sets. L’agitatrice, qui n’hésite pas à prendre la parole pour sensibiliser le public à la réalité de la transidentité (loin des clichés), entend aussi changer, à sa manière, le monde. Pour que celles et ceux qui l’écoutent osent également être eux-mêmes. De nuit, comme de jour. 

 
« Black Girl Magic » (2022) d’Honey Dijon (Classic Music Company), disponible sur toutes les plateformes.
Honey Dijon © Courtesy of Defected Records

“You know how beautiful people are at night. They are like Paris. Paris is very beautiful at night, free from the grease of the cars. I had cut the world in two. I had fallen in love with the people of the night”, the character played by Jean-Pierre Léaud declares in Jean Eustache’s cult film The Mother and The Whore (1973). From the Saturnalia in Ancient Rome to the carnival tradition during the Middle Ages, nighttime has long been the moment when daytime norms are overturned and conventions vanish. This enjoyable freedom makes the night even more exciting, subversive, and sublime than the day. Once the lights go out, one is freed from one’s complexes and able to make room for another “self”.

 

The unifying spirit of house music

 

On a club’s stage, anyone can become who they have always dreamt of being and can create a new identity, gender, or occupation… People are often more sparkling at night, thanks to the clothes of light they are wearing, and to the reflections of a disco ball or futuristic neon lights that highlight them. Masks either fall off or are adorned with sequins. These are the beautiful lessons given by disco and house music, a trend born in the early 1980s in Chicago, which is now making a comeback thanks to rapper Drake and singer Beyoncé, who both claim to be part of it. House music was born from gay and black DJs, hidden pioneers who worked in the city’s sweaty clubs. It is no coincidence that transgender American DJ and producer Honey Dijon was born as Honey Redmond in Chicago in 1968, according to legend, as she refuses to reveal her real age. Highly coveted by nightclubs, museums, and by the fashion industry for over a decade, Honey Dijon grew up in the cradle of a music that advocates for the freedom to be oneself in a flamboyant way. Little is known about her childhood and background, except that her parents – a loving middle-class African American couple, who had her at a young age – used to let her play records during their house parties as she was a kid. For her, it was a way to connect with people.

 

As a teenager, her parents also allowed her to go to clubs. With a fake ID in her hand, the barely 13-year-old, who used to feel different and was bullied at school, discovered that nightclubs were real “safe spaces” for marginalized minorities at that time. Fearless black, latino, gays, and transgender people were as one with the sound of hypnotic electronic DJ sets. For the time of night, everyone seemed happy there. As Honey Dijon said in a recent press release: “The secret of great dance music is joy. That’s why disco has always spoken to me. Even though it told realities from life, it also was uplifting and liberating. That’s what great dance music also does. It uplifts and liberates us, while making us think. It advocates for affirmation.”

 

Honey Dijon © Courtesy of Defected Records

“A really good party is like sex.” Honey Dijon

 

In her probably wild nightlife as a youngster, the American met house legend Derrick Carter, who became her mentor. After witnessing the power music had on bodies, hearts, and minds in the clubs of Chicago, Honey Dijon first devoted herself to a career as a dancer and performer in the drag scene. Yet the vinyl collector – she now has over 30,000 records – soon began playing records at parties in the 1990s, thanks to her large number of contacts as a dancer. In the late 1990s, she moved to New York, another city known for its wild nights. Her name began to draw people’s attention. In the 2000s, Honey Dijon played at The Cock, a New York gay bar known for its decadent atmosphere, exhibitionist clubbers, trendy and celebrity-friendly crowd – Christina Aguilera, Boy George, and George Michael partied there. It was enough to make people talk about her more and more… The DJ’s strength? Open and eclectic music sets that spread the hedonistic spirit of house and disco, while flirting with rock, pop – as long as it is emotionally deep – and techno. For the American who worships Grace Jones and Sade, the notion of musical genres is obsolete. The artist conceives her sets as journeys to the end of the night on which dancers embark for some kind of saving trance. She explains: “The journey is what makes a really good party. It’s like sex. Fast tempos, slow tempos, giving people a break to catch their breath, and getting them back on board.”

 

An artist close to Riccardo Tisci, Nicolas Ghesquière, and Kim Jones

 

This orgasmic vision of music is seductive. Honey Dijon quickly became the fetish DJ of the fashion world. Hedi Slimane came to see her play. The artist met Riccardo Tisci, Nicolas Ghesquière, and Kim Jones. She has a special relationship with the latter. Soon enough, the artist was creating soundtracks for Dior and Louis Vuitton’s menswear collections. She posed for Calvin Klein and was also spotted on the catwalk as Off-White’s muse last February, exuding incredible charisma in an oversized suit worn over her bare chest. A pair of futuristic glasses on her pretty nose complete the silhouette of a mutant who would have Beyoncé and Grace Jones as parents. As a front row regular during the Fashion Weeks, the artist with stratospheric presence, at the crossroads between ‘big night’ glamour and fierce sensuality, has even launched her own clothing line, Honey Fucking Dijon, in collaboration with Comme des Garçons in 2019. A great achievement for the former teenager who used to compulsively read fashion magazines that she would often steal for lack of money. Just like her, the colorful pieces with extravagant prints, designed for clubs and inspired by the graffiti of Jean- Michel Basquiat and Keith Haring’s cosmopolitan and effervescent New York, do not go unnoticed.

 

An acclaimed collaboration with Beyoncé on her album « Renaissance »

 

Honey Dijon’s versatile approach aims at throwing away all the labels that could be imposed on her. Claiming to be a descendant of artists like David Bowie and Andy Warhol who broke down the borders between artistic disciplines, she defines herself as a multidisciplinary artist, allowing herself to be as audacious as she wants. She even compares making a DJ set to painting a canvas. Her motto? “I refuse to think in terms of borders. People are always afraid of being told no, of not being accepted. But the real question is: who are the ones accepting you?” She can shift from a DJ set for Rick Owens, Hermès, Burberry x Vivienne Westwood, Balenciaga, Narciso Rodriguez or Givenchy, to performances at the Met Gala after-party, the CFDA Awards, or Art Basel. That is when she is not playing at the Panorama Bar, a famous club in Berlin, or delivering a speech at King’s College in London and at the MoMA PS1 in New York.

 

However, that creative abundance should not overshadow her work as an outstanding producer. Honey Dijon was featured on Beyoncé’s impressive latest album Renaissance released in July 2022, which celebrates the unifying spirit of house music and the African American community, and remixed Madonna’s music. After an acclaimed debut album, The Best of Both Worlds released in 2017, the DJ has just released a second equally aptly named opus entitled Black Girl Magic last November. In the booklet of this invigorating house record, Honey Dijon confides: “As an artist, especially as a trans woman of color working in music, I wanted the album to be explicit, shameless, raw, and honest. I mostly collaborated with black and queer singers and songwriters. These are songs about love, life, resistance, and the fight against oppression.

The love of music, community, and self- love are at the heart of this vibrant and shamanic record, whose motto is summed up by the artist in a few lines: “Be true to who you are in spite of everything and have the courage to love without fear. Don’t be afraid, stand up, love is a state of mind: these are words I use in my everyday life and that are present on my album. This record is my life.” Black Girl Magic both triggers a sense of euphoria and encourages the listener to reflect on their own beliefs, choices, and identity. Questioning before asserting oneself is Honey Dijon’s own magic, whose stage name evokes a tasty mix of sweetness and strong spiciness. The night is her oyster. Yet, it is not the only playground of the one who has already sampled one of Martin Luther King’s speech on techno sounds for one of her sets. Very outspoken when it comes to raise public awareness about the reality of trans-identity far from the stereotypes, the agitator also intends to change the world in her own way. Those who listen to her music will then dare to be themselves as well… from dusk until dawn.

 
« Black Girl Magic » (2022) by Honey Dijon (Classic Music Company), available on all streaming platforms.