Les confidences de Greentea Peng, figure insolente de l’underground londonien
Artiste londonienne à l’aura mystique, Greentea Peng fusionne dub, néo-soul et trip-hop pour créer des compositions hypnotiques et contestataires. Avec Tell Dem It’s Sunny, son nouvel album disponible le 21 mars, elle débute une quête plus sombre et introspective. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Greentea Peng, reine badass de l’underground londonien
Aria Wells n’est pas du genre nostalgique. Franchement, pas du tout. Il faut dire qu’elle a tellement été habituée aux changements qu’elle ne s’attache plus vraiment à grand-chose. Avant de troquer son nom contre l’alias Greentea Peng – comprenez “thé vert délicieux” –, cette femme nomade à la moue boudeuse et au corps intégralement recouvert de tatouages a connu un logement social à Bermondsey, quartier de Southwark, au sud de Londres ; puis une ruelle de Hastings remplie de pigeons; ou une maison juste en face de la mer, probablement la plus belle vue qu’elle ait connue enfant.
Comment décrire la musique de Greentea Peng ? Elle-même n’y est jamais vraiment parvenue. Peut-être parce que rien de tout cela n’est prémédité. Ses compositions restent les élans spontanés d’une femme solitaire… et différente.
On dira donc qu’elle mêle dub, néo-soul et trip-hop pour façonner un son aux effets psychédéliques, porté par une basse profonde. Ses murmures éraillés rappellent parfois Erykah Badu ou Lianne La Havas, son flow celui de M.I.A. Ici, l’ambiance est hypnotique, brumeuse, spirituelle et résolument contestataire. Et pour cause : quatre ans après Man Made (2021), son premier album, Greentea Peng défend Tell Dem It’s Sunny, un nouveau disque de 14 titres disponible le 21 mars.
Un opus bien plus sombre que les précédents, qui explore la quête de sens personnelle et construit une réflexion autour des “politiques du moi”. Des fragments d’âme dans lesquels se rejoignent tour à tour les esprits de Malcolm X, Frida Kahlo, Marie-Madeleine ou Benjamin Zephaniah, écrivain rastafarien et poète dub britannique. Rencontre.
L’interview de Greentea Peng pour la sortie de son album Tell Dem It’s Sunny
Numéro: Puisque vous ne parvenez pas à décrire votre musique il va falloir que je le fasse en l’introduction, c’est ça ?
Greentea Peng : Quand j’entends ma musique à l’extérieur, je la trouve vraiment bizarre. Elle est très émotionnelle et me rappelle certains moments précis de ma vie, comme si je la documentais. Je dis souvent que c’est une sorte de journalisme sonore. Il s’est passé énormément de choses depuis Man Made [son premier album sorti en 2021] : Je suis mère. Et je suis plus confiante.
Considérez-vous ce nouvel album comme une œuvre politique ?
J’y ai beaucoup réfléchi. Ce que je crois, c’est que cet album explore une politique intérieure, personnelle. C’est une œuvre introspective, car je ressens une forme de déconnexion, à la fois politique et personnelle, une blessure morale quotidienne.
À ce propos, pouvons-nous parler de la pochette de l’album ? Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
Je la trouvais forte cette image. Puissante. Pourquoi ? Vous n’aimez pas ?
Si, beaucoup. Mais que vous arrive-t-il, Aria ?
J’ai choisi le noir et blanc pour cette pochette parce que je suis d’humeur morose en ce moment. C’est arrivé assez naturellement. Musicalement, je ne cherche jamais à faire quelque chose de prémédité. Je crois aussi que je voulais montrer aux gens que je ne suis pas seulement cette hippie qui ne jure que par les fleurs et l’amour. Je pense être bien plus complexe que ça. Depuis mon enfance, j’ai connu des temps obscurs. Si ce nouveau disque est bien plus sombre que les précédents, c’est peut-être parce qu’il est plus pertinent, plus proche de ce que je suis aussi. Je n’ai pas peur de l’obscurité. Je la traverse. C’est grâce à elle que j’ai pu colorer ma vie. Mon titre Tell Them It’s Sunny est un oxymore.
Quel type d’élève étiez-vous à l’école ? Je vous imagine un peu comme la fille badass du fond de la classe qui met les garçons à l’amende…
[Rires.] Pas du tout ! J’étais plutôt extravertie, bavarde, toujours première de la classe, mais distraite. J’ai quitté l’école à 14 ans. J’étais assez difficile, une distraction pour tout le monde.
Vous évoquez souvent votre résistance aux normes établies. Comment restez-vous fidèle à vos valeurs en naviguant dans l’industrie musicale ?
Je m’en tiens éloignée. De toute façon, je ne pense pas qu’ils veuillent vraiment de moi là-bas. Je joue le jeu, mais je reste avec mes proches, les mêmes producteurs, les mêmes musiciens. Je suis une créature d’habitude. Je n’ai jamais vraiment fait partie de l’industrie.
Et dans quelle mesure vos expériences psychédéliques ou spirituelles influencent-elles votre manière de composer ?
Toute cette vie est une expérience psychédélique et spirituelle, franchement. En tout cas, c’est comme cela que j’essaie de la vivre. Depuis que je me suis rouverte à cette dimension de la vie, j’ai commencé à créer. Autrefois, ma vision était très sombre, en noir et blanc, pessimiste, sans expression, purement matérielle. Depuis que j’ai choisi consciemment de réveiller cette partie de moi, qui était déjà là au départ — car on naît tous avec cette magie —, rien n’influence ma musique davantage.
Vous avez une phobie ?
Je n’aime pas les petits trous, ça me rend physiquement malade. Comme l’intérieur d’un Malteser ou d’une éponge, ça me dégoûte.
Tell Them It’s Sunny de Greentea Peng, disponible le 21 mars.