16 juin 2021

Frenetik est-il la future star du rap bruxellois ?

Son élocution précise, sa voix grave et son regard fixe en font un artiste immédiatement reconnaissable. À bientôt 23 ans, le jeune rappeur Frenetik, issu de la scène bruxelloise, s’est imposé comme l’une des figures les plus prometteuses de ces deux dernières années. À l’occasion de la sortie de Couleurs du jeu, réédition de sa première mixtape, le Bruxellois se livre sur son parcours, son succès et son rapport à l’écriture.

Quand sa veste noire matelassée et ses dreads sombres surgissent du cube monochrome de Colors, à l’automne 2020, beaucoup d’internautes se rendent immédiatement compte  qu’un événement musical est en train de se produire. Cumulant très vite 1,4 million de vues (passées à 2,5 millions depuis), son interprétation d’Infrarouge a un tel succès que le jeune artiste de 21 ans se sent pousser des ailes et revient dans son studio d’enregistrement berlinois, un mois seulement après son premier passage, pour un second titre, Désordre. Pour sa première mixtape, Jeu de couleur, sortie en début d’année, le jeune musicien avait courageusement choisi de se présenter seul, exclusivement accompagné du pianiste préféré des rappeurs, Sofiane Pamart, sur le morceau Noir sur blanc. Aujourd’hui, il revient avec une réédition, Couleurs du jeu, sur laquelle il invite une sélection d’artistes belges et français parmi lesquels figurent le plus célèbre des Marseillais, le rappeur Jul, le spécialiste de la drill Gazo ainsi que le talentueux Parisien Josman.

 

L’arrivée rapide du succès, la médiatisation, la notoriété, le Bruxellois en parle avec un mélange d’amertume et de soulagement : “avant de commencer à travailler avec Jeune Boss j’étais en train de me dire ‘c’est mort, faut que j’arrête la musique’, ça faisait déjà des années que je rappais…” Forgé au freestyle de rue, cette pratique qui consiste à débiter son texte sur une rythmique choisie au hasard, Frenetik a couru le pavé de la capitale belge avant de prétendre à la reconnaissance parisienne. À croire qu’il avait des oreilles partout, pas une instrumentale ne se déclenchait sans qu’il vienne improviser ses textes dessus, quel que soit le quartier. “Dès qu’il y avait un freestyle, tu pouvais être sûr que j’y étais.” De cette formation initiale vient sans doute son débit fluide, net, toujours dans les temps, même quand il enregistre en studio : “Il y a une vérité de l’instant quand j’entre en cabine. Je considère chacun de mes morceaux comme des freestyles”, confie-t-il.

 

Frenetik garde néanmoins un souvenir nuancé de cette période d’errance, à traîner dans la rue pour le meilleur et le pire. Ses textes accumulés reviennent quasiment tous sur cette même blessure, cette même fêlure : son passé. Le jeune rappeur ayant grandit dans le quartier d’Evere raconte une précarité, économique, mais surtout sentimentale. “C’est triste à dire mais quand ces gens pensaient pouvoir tout me prendre, mon cœur était d’jà vide” écrit-il pour le morceau Ultraviolet. Les enseignements qu’il tire de cette période trouble sont pleins de maturité. “C’est un atout, avoir traversé ces épreuves me permettra de toujours savoir où est ma place. Savoir d’où je viens me permet d’aller où je veux. Et surtout, d’y aller en restant moi-même.” C’est peut-être de cette fidélité à ce qu’il est que lui vient sa force, étonnement tranquille. Ses formules ciselées résonnent comme des fulgurances de sagesse au milieu d’un chaos urbain, d’embrouilles et de désespoir. Frenetik rappe la rue et ses déboires avec un raffinement des mots qu’il cultive depuis ses plus jeunes années. “J’ai très vite compris qu’une personne qui s’exprime bien, quoiqu’il arrive, elle sera toujours écoutée, prise au sérieux, peu importe d’où elle vient.” L’écriture prend une place particulière dans son quotidien.

À la manière d’un journal intime, ses mots lui permettent de faire le point sur sa vie, mais aussi sur l’état du monde. La petite histoire rejoignant la grande, certaines de ses réflexions prennent une dimension particulière au cours de l’actualité de l’année 2020. À ce moment-là, les États-Unis s’embrasent en protestation au meurtre de George Floyd par un membre des forces de l’ordre. En France, le climat est tout aussi orageux, suite à la mort d’Adama Traoré au cours d’un contrôle de police. Dans ce contexte tendu Frenetik diffuse un morceau, Trafic, extrait de son EP Brouillon, dont le texte résonne alors avec une connotation particulière : “Cette phrase ‘Policier meurt dans une bavure, c’est ce que j’appelle une remontada’, je l’avais écrite 5 ou 6 ans plus tôt. Dans les quartiers, on savait déjà que ça existait, mais il a fallut continuer de le dire jusqu’à ce que les gens le voient.” Le Belge prend alors conscience que ce qu’il écrit pour pour lui, a des échos pour d’autres. “Avec les retours que je reçois, je me rends compte que mes paroles ne m’appartiennent pas, pas plus qu’à tous les gens qui se voient dans mes textes.”

 

Si ses paroles peuvent heurter, elles peuvent aussi soigner. Le rappeur qui se sait écouté – et de plus en plus – connaît sa responsabilité. “Je ne dirais pas que mes couplets sauveront le monde, mais ils peuvent avoir un impact. En tout cas, moi ça me sauvera, parce que donner, partager des émotions, sombres ou lumineuses, ça m’apaise et ça peut apaiser aussi. Quand j’étais petit je voulais être médecin. Ce que je fais est une forme de médecine, ça m’aide à prendre ma température, à savoir comment je me sens, où j’en suis. Mais parfois je me rends compte qu’il y a une réciprocité pour les gens qui m’écoutent.

 

Couleurs du jeu de Frenetik (Epic Records), disponible.