Les confidences de Folamour : “La musique électronique doit rester politique”
Le DJ et producteur français Folamour a accepté de répondre aux questions de Numéro quelques minutes avant sa prestation, au festival Sónar de Barcelone. Le 26 juin, il défendra son nouveau titre, Pressure Makes Diamonds.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Folamour : la success-story d’un DJ qui refusait de choisir un genre
Les compositions musicales de Folamour sont à l’image de ses six pochettes d’albums studio. Multicolores et protéiformes. Une photographie d’immeuble en béton (Ordinary Drugs, 2019) succède à une estampe japonaise (Umami, 2017). Un portrait façon aquarelle (Manifesto, 2023) remplace une forêt verdoyante (The Journey, 2021). Lorsqu’il évoque son enfance, Bruno Boumendil ne se rend certainement pas compte que son sourire ne le quitte plus. Il a grandi à la campagne, près de Lyon, cerné par le silence et les posters de ses artistes favoris. À l’époque : Oasis, Radiohead ou Lenny Kravitz. Avec le temps le DJ s’éprend de la soul caniculaire de Gil Scott-Heron, du funk incontournable de James Brown, de la néo soul de D’Angelo, du rap bankable de Tommy Richman et des complaintes désabusées de Saint DX…
Devenu producteur, c’est bel et bien sous un alias de cinéphile qu’il défendra sa musique polychrome qui a fonction d’exutoire. Est-il seulement possible de faire sauter la foule en racontant ses propres chagrins ? Soul, funk, ambient, deep-house… Folamour dresse des toiles abstraites où les textures s’entrechoquent. Une musique aussi variée qu’inclassable qui, s’il le pouvait, accompagnerait les personnages extravagants et déjantés du cinéaste Wes Anderson.
Chef de file de FHUO Records, Folamour dévoilera, le 26 juin, un nouveau titre intitulé Pressure Makes Diamonds sur le nouveau label français All Night Long. À quelques minutes de son set, au festival Sónar de Barcelone, Numéro a recueilli les confessions du trentenaire, inséparable de son bob, et nostalgique d’une époque qu’il n’a pas connue. Rencontre.
Folamour se confesse, en direct du festival Sónar de Barcelone
Numéro : Alors ça ! Je ne vous aurais jamais cru fan d’Oasis, de Radiohead et de Lenny Kravitz…
Folamour: [Rires.] Avec le temps, j’ai fini par m’en éloigner. Disons que j’ai toujours essayé d’intégrer à ma musique la notion de mélodie ultime, chère à Oasis, par exemple. Je voulais proposer des sortes d’hymnes. J’ai emprunté le côté “je m’en fous de ce que les gens attendent de moi”, à Radiohead et le groove de Lenny Kravitz.
La plupart d’entre eux sont de véritables personnages, vous n’avez donc rien laissé au hasard…
J’ai toujours apprécié les gens différents de moi. Je suis l’inverse d’un Liam Gallagher par exemple [le chanteur principal du groupe de rock Oasis]. En tout cas, en tant qu’artiste, je ne suis ni exubérant, ni “rentre dedans”. J’admirais plutôt la façon dont ces musiciens exprimaient leurs propos, défendaient leurs valeurs. Plus jeune, j’étais du genre timide. La musique m’a fait comprendre qu’un projet artistique ne serait jamais complètement le reflet de ma personnalité. Il fallait que je partage des choses vraies. Au départ, je ne voulais véhiculer que de la joie pure… mais j’ai très vite compris que, la transparence, c’était aussi partager mes moments d‘incertitude. Mes journées les plus compliquées. Lorsque j’ai rencontré le succès, j’étais déjà adulte. Je n’ai pas débarqué dans l’industrie musicale à 18 ans. Certaines situations étaient assez cocasses : des types passaient leur temps à faire du name dropping pour essayer de m’impressionner. J’ai 34 ans, je me fiche un peu de ta rencontre avec les Daft Punk en 1994… Parfois, ça durait des repas entiers ! Moi, je voulais juste rentrer chez moi, retrouver ma meuf et mon chien. Débarquer dans ce milieu en tant qu’adulte m’a permis de ne pas devenir fou. Je ne bois pas d’alcool, je ne prends pas de drogue et je suis très casanier.
“Je compose avec mes souvenirs et mes fantasmes d’une autre époque sans défendre l’idée que “c’était mieux avant.” Folamour
Vous disputez-vous souvent avec les membres de votre entourage à propos de musique ?
Presque à chaque fois que nous en parlons… J’ai énormément de mal avec la musique vide de sens. La musique sans âme et sans message. Et, malheureusement, dans la musique électronique, c’est quelque chose de plus en plus fréquent. Certains producteurs font de la musique électronique sans réfléchir. Elle doit rester sociale. Elle doit rester politique. Ça, c’est quelque chose qui m’énerve et peut m’engager dans des discussions aussi longues que tendues.
Vos compositions sont très différentes les unes des autres, les samples que vous utilisez ont-ils, eux aussi, un dessein politique ?
Il m’est arrivé de sampler des morceaux puis d’abandonner en cours de route parce que j’étais gêné à l’idée de me réapprorier le message politique qu’ils véhiculaient. Je me souviens notamment d’un titre presque inconnu de Fela Kuti découvert sur une Face B. Son propos était trop sérieux pour que je me permette de l’emprunter. À l’inverse, mon morceau Devoted to U (2018) utilise un sample du groupe Earth, Wind and Fire et, dans ce cas précis, j’étais beaucoup plus à l’aise. Rétrospectivement, je crois que je regrette certains de mes samples. Je regrette d’avoir emprunté des choses à certains artistes pour produire de nouveaux morceaux qui ne soient pas assez spéciaux à mon goût. Ma proposition musicale valait-elle vraiment le coup ? En tant que grand fan de hip-hop, la méthode du sample a toujours fait partie de ma culture, pour autant, elle doit impérativement rester une pratique délicate. Avec le temps, j’ai eu envie d’autre chose et j’ai commencé à produire moi-même, en utilisant moins de samples justement. Mon regard sur la musique est alors devenu deux fois plus critique.
Êtes-vous effrayé à l’idée d’avoir trouvé une sorte de recette dont vous ne pourrez jamais vous défaire ? Comme le producteur et DJ Kaytranada par exemple.
Si je suis vraiment honnête avec vous, je pense que certains de mes morceaux se ressemblent, je l’assume. Proposer quelque chose de différent n’a pas toujours été un objectif ultime. Un artiste comme Kaytranada a payé son succès. Le son qu’il proposait était tellement spécifique que l’artiste est devenu… son propre son, si j’ose dire. Désormais, ça, ce sera toi ! En ce qui me concerne, je ne crois pas qu’il existe une “recette Folamour”. J’ose espérer avoir pris assez de direction différentes en tout cas.
Vous semblez fasciné par le funk, le disco et les sons de la Motown. La nostalgie vous dévore-t-elle ?
Je vous mentirais en répondant non… Je ne pense pas essayer de proposer quelque chose de moderne. Ici, au Sónar, c’est encore plus flagrant : j’ai presque un côté “passéiste” face aux artistes qui façonnent la musique du futur. Mais cette nostalgie reste une émotion intéressante à ressentir et à exploiter musicalement. Je compose avec mes souvenirs et mes fantasmes d’une autre époque sans défendre l’idée que “c’était mieux avant.” Mais je refuse de me détacher de cet héritage, ce bagage musical qui me donne le sentiment d’être utile, de partager une musique et des valeurs révolues. La musique électronique peu rapidement être résumée à une classe sociale. Quoi de plus beau que de débarquer en festival et de découvrir de la musique à 180 BPM, de l’ambient puis de la house…
À ce propos, préférez-vous jouer en club ou en festival ?
Mon répertoire de club est beaucoup plus vaste qu’en festival. Je me sens bien plus libre. Franchement, la différence est énorme ! En club, je vais prendre mon temps pour emmener le public dans une direction, le surprendre, le perdre pour mieux les retrouver. Je peux même m’autoriser des écarts improbables. Au pire, si quelque chose ne plait vraiment pas, les gens pourront s’absenter dix minutes puis revenir. Un festival est beaucoup plus intense, les transitions sont plus délicates et il faut faire de nombreux sacrifices. Une partie du public n’en a strictement rien à foutre de vous ! [Rires.] À tout moment, ils peuvent vous lâcher et rejoindre une autre scène. Et puis, entre nous, je crois que les plus jeunes générations apprécient de moins en moins les surprises…
Pressure Makes Diamonds de Folamour [All Night Long], disponible le 26 juin.