Élucidez les énigmes musicales d’Yves Tumor
Repéré par Shayne Oliver, ami de Blood Orange et proche de Nicolas Jaar, Yves Tumor n’a plus rien à prouver. Pourtant, il a transformé son studio en laboratoire et poursuit ses expérimentations musicales. Avec son nouvel album Safe in the Hands of Love, un précipité soul est apparu au fond du tube à essai.
Par Alexis Thibault.
Difficile d’aborder l’œuvre d’Yves Tumor sans être dubitatif. Au premier abord, son nouvel album Safe in the Hands of Love consiste en un agrégat de complaintes caverneuses, de crépitements et de violons à l’agonie. Tout au long des dix titres de l’opus, les chants se muent en vrombissements et d’effrayantes distorsions intoxiquent une harmonie déjà malmenée par des larsens. Le langage musical d’Yves Tumor désoriente. Et pour le comprendre, il vaut mieux être polyglotte. Car de ses mélodies torturées jaillit un univers aussi indéfinissable que magistral. Lorsque l’on écoute Safe in the Hands of Love, on se sent comme un funambule téméraire qui, soudainement, doute.
Yves Tumor incorpore à sa soul les murmures de la dream pop et une electronica aux échantillons sonores troubles. Chaque morceau est une performance.
Les mélodies évanescentes d’Yves Tumor évoquent le spleen d’un Blood Orange – qu’il accompagne sur sa tournée –, l’électro mutante d’un Arca, les détonations hybrides d’une Fever Ray ou encore la fantaisie d’une Björk. L’artiste façonne une musique expérimentale, une soul de science-fiction viscérale qui fait fi des conventions et refuse le schéma classique couplet-refrain. Mais cette soul dont les grésillements évoquent un lecteur vinyle crachant un standard de jazz – à l’image du titre Faith in Nothing Except in Salvation – effraiera les puristes. Car Yves Tumor y incorpore brillamment les murmures de la dream pop et une electronica aux échantillons sonores troubles. De fait, chaque morceau est une performance.
Ce soir là, Yves Tumor se déplace tel un spectre, servi par les clignotements nerveux des projecteurs, chef d’orchestre d’une cacophonie millimétrée.
Mais Yves Tumor est à l’image de son œuvre ténébreuse et insaisissable. Natif du Tennessee, il est passé par l’Allemagne avant d’atterrir à Turin (Italie) où il réside désormais. Autrefois surnommé Teams, Sean Bowie – de son vrai nom – est à l’aise avec la plupart des instruments. Membre du Dogfood Music Group, le label du rappeur militant Mikky Blanco, on l’a aperçu aux côtés d’un certain Nicolas Jaar, qu’il accompagnait lors de sa tournée américaine. Yves Tumor est également un proche du créateur new-yorkais Shayne Oliver, fondateur du label Hood By Hair. D’ailleurs, c’est aux côtés de l’alchimiste du streetwear que l’artiste a réellement fait sensation pour la première fois. En décembre 2016, Shayne Oliver présente sa collection automne/hiver lors du Made festival de Los Angeles. Encerclé par la foule, accroupi au sommet d’un monceau de sable, le chanteur filiforme affronte, micro en main, une fumée dense. Le défilé débute et les mannequins se croisent voire se percutent au centre de l’espace, sur cet amas de terre à l’allure de tremplin de moto-cross. La musique y est assourdissante. Et Yves Tumor se déplace tel un spectre, servi par les clignotements nerveux des projecteurs qui n’auraient laissé que peu de répit à un épileptique. Quasiment en transe ce soir là, chef d’orchestre d’une cacophonie millimétrée, Yves Tumor se fait un nom.
Tumor sombre à nouveau dans une soul dark à la fois funeste et étincelante.
L’album Safe in the Hands of Love survient donc deux ans après Serpent Music. Les hurlements saturés de Licking An Orchid – titre qu’il partage avec Jamie Krasner – succèdent au riff ultra vintage du morceau The Feeling When You Walked Away et aux arpèges meurtris par les percussions de Dajjal. Yves Tumor ne semble pas décidé à quitter son cocon noir de jais et délaisse quelque peu l’esprit pop de son précédent opus. Il préfère sombrer à nouveau dans une soul dark, paysage abstrait à la fois funeste et étincelant qui invite à l’introspection.