“Mr. Robot”, Golden Globes winner
Récompensée hier aux Golden Globes, l’incroyable série du réalisateur Sam Esmail mettant en scène un hackeur troublé et troublant a marqué la fin de l’année 2015.
par Olivier Joyard.
Hier soir, la série Mr. Robot de Sam Esmail remportait le Golden Globe de la meilleure série face à Game of Thrones ou Narcos. Explorant la face sombre du monde contemporain, Mr. Robot met en scène un hackeur et justicier de l’ombre. Tel un thriller paranoïaque, la série oscille en permanence entre réel et délire, au gré de la folie de son protagoniste.
Quand on interroge Sam Esmail, le jeune créateur de Mr. Robot (38 ans), sur les références qui peuplent sa série, celui-ci donne une liste aussi variée qu’impressionnante de chefs-d’œuvre, sans craindre la volée de bois vert qui accompagne en général les présomptueux. Une touche de Stanley Kubrick n’ayant jamais fait de mal à personne, il se permet même de rendre hommage à Orange mécanique à chaque fois que le titre de sa série apparaît, en utilisant notamment de la musique classique. La voix off de son héros, un jeune hackeur peu habitué à sourire, rappelle à la fois celle de Taxi Driver et l’univers de Fight Club… Le spectre du grand film de John Carpenter, Invasion Los Angeles, se glisse aussi à plusieurs moments. Côté séries, on ne cesse de penser, surtout dans les premiers épisodes, à la très anxiogène ambiance de Profit, brève fulgurance des années 90 qui mettait en scène un cadre appartenant à une grande entreprise, déterminé à faire le mal autour de lui à force de vénérer l’argent.
Mais c’est bien du monde d’aujourd’hui que parle Mr. Robot. Celui des crises financières à répétition, d’Edward Snowden, de la disparition de la vie privée sur Internet, des luttes politiques virtuelles et réelles. Le tout avec un style fou et une précision chirurgicale. Elliot Alderson, le personnage principal, porte dans sa chair la confusion de l’époque. Employé dans une entreprise de sécurité informatique – deux mots qu’il a du mal à ne pas associer ironiquement –, ce garçon arborant immanquablement un sweat à capuche noir pénètre chaque nuit, derrière son écran, dans la vie de personnes plus ou moins recommandables. Son but ? Jouer au justicier virtuel, démasquer les menteurs et les criminels. Assez vite, pourtant, sa palette s’étend, au point que sa première fonction n’a plus vraiment lieu d’être. Faute de sauver la veuve et l’orphelin, le voilà en mission pour sauver le monde. Ce geek d’un nouveau genre se retrouve mêlé au projet d’un activiste qui aimerait mettre à bas le système libéral en effaçant toute forme de dette grâce à un piratage géant. Le premier ennemi à supprimer s’appelle, tout simplement, Evil Corp – littéralement, la “corporation maléfique”. La révolution, c’est maintenant.
Sur les traces de ce personnage puissant, l’un des plus originaux apparus ces dernières années, télé et cinéma confondus, Mr. Robot marche constamment en équilibre entre virtuel et réel, mais aussi entre vérité et mensonge. Car le jeune Elliot n’est pas seulement un asocial en colère. Il est également atteint de troubles de la personnalité, révélés progressivement au fil des dix épisodes de la première saison. Cela fait de lui une créature étrange, insaisissable, inquiétante, fascinante. Avec Elliot, Mr. Robot s’inscrit dans une tradition incarnée notamment par Homeland et son héroïne bipolaire, où rien de ce que l’on voit ne peut être pris au premier degré. Constamment, le spectateur s’interroge et les personnages avec lui. Dans quel songe, dans quel cauchemar sommes-nous ? Y a-t-il un être, un seul, auquel donner notre confiance ? Ici, les âmes damnées ou dérangées occupent l’écran. L’espoir est une contrée lointaine, les instants d’apaisement sont rares. Cela ne signifie pas pour autant que Mr. Robot se regarde avec l’angoisse collée au ventre. Comme tous les spectacles forts, voire extrêmes, son effet cathartique ne se dément pas. Surtout, la série donne envie que le monde qu’elle met en scène se nappe de lumière. Si tout n’est pas parfait, si certains épisodes frôlent l’overdose démonstrative – trop de brio tue parfois le brio –, le scénariste Sam Esmail parvient à tenir le fil de sa démonstration. Les acteurs, le sexy Rami Malek et le revenant Christian Slater en tête, se chargent, eux, d’apporter une dimension humaine à cet objet narratif stupéfiant.