Mohamed Bourouissa: the famous artist moves to the theatre
Plasticien franco-algérien, Mohamed Bourouissa questionne les places respectives accordées aux groupes sociaux dominants et dominés, dans les échanges marchands mondialisés et dans les représentations des mass media. Star de l’art contemporain représentée par la galerie Kamel Mennour et aujourd’hui exposée dans les plus grands musées du monde, le quadragénaire qui s’illustre également dans la musique a récemment été invité par le Théâtre de Gennevilliers à investir ses espaces durant les trois prochaines années avec des projets transversaux, mêlant expositions et concerts.
Texte par Delphine Roche.
Portrait par Tobias Zielony.
Réalisation par Lorena Maza.
Portrait by Tobias Zielony.
Directed by Lorena Maza.
Text by Delphine Roche.
Dans une époque obsédée par “l’inclusivité” – qui sert souvent à gagner de nouvelles parts de marché ou à redorer son image sous couvert de préoccupation éthique –, il est bon de se référer au travail et à la démarche de Mohamed Bourouissa pour éclairer sa lanterne quant aux enjeux, réels et profonds, de ce mot. Né en 1978 à Blida, en Algérie, l’artiste qui a grandi à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, se forme à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, puis au Fresnoy.
De 2005 à 2008, il développe une série de photographies devenue mythique : Périphérique met à l’honneur ses amis et connaissances dans les banlieues où ils ont l’habitude de se fréquenter. Pour inscrire ces personnes marginalisées dans le champ de vision de la société respectable et légitime, l’artiste met en scène ses modèles selon les codes compositionnels de la grande peinture d’histoire, dans des situations où perce souvent une forme de tension irrésolue. Mieux qu’un long discours, les images majestueuses prennent à rebours les représentations stigmatisantes des “gens des quartiers” diffusées à longueur de journée par les mass media. La série, couronnée à sa sortie par le prix Off des Rencontres de la photographie d’Arles, s’est vu récemment offrir une publication par la maison d’édition Loose Joints, incluant de nouvelles images. Puis après une très belle exposition au musée d’Art moderne de Paris en 2018, l’artiste se voit proposer en 2019 la réalisation d’une campagne Louis Vuitton par Virgil Abloh : “J’ai accepté parce que c’était Virgil. Il a apporté un nouveau souffle dans la mode en ouvrant des portes, et aujourd’hui, grâce à lui, des lignes ont bougé, peut-être pas dans la société en général mais dans le domaine de l’image, de la direction artistique et des représentations.”
Outre la photographie, les médiums via lesquels s’exprime Mohamed Bourouissa incluent également le dessin, la sculpture, la vidéo, les installations et, plus récemment, la musique et le sound design. Représenté par la galerie Kamel Mennour, il a été nommé pour le prix Marcel Duchamp en 2018, et ses œuvres sont présentes dans les collections des plus grands musées tels que le LACMA, le Stedelijk Museum, le Centre Pompidou ou le musée d’Art moderne de Paris. Qu’il s’agisse des détenus avec lesquels il réalise la vidéo Temps mort en 2008 et 2009, rendant compte du quotidien d’une structure carcérale, des cavaliers afro- américains du Fletcher Street Urban Riding Club à Philadelphie qu’il a rencontrés pour son projet intitulé Horse Day, ou encore de la communauté de Gennevilliers, où il réside, l’art de Mohamed Bourouissa implique de renégocier et de remettre à plat, à chaque nouveau projet, les positions respectives de l’artiste et de ses “sujets”. Se méfiant des rapports verticaux, de la confiscation de la parole et de l’autorité accordée d’emblée à tout(e) artiste s’exprimant au sein de la culture “légitime”, le Franco-Algérien préfère collaborer avec des personnes au terme d’une longue période d’immersion en leur compagnie plutôt que de plaquer un discours sur elles.
Artiste invité pour trois ans au Théâtre de Gennevilliers, il a exposé sur place ses photographies mais aussi convié des musiciens et des rappeurs locaux à participer à des soirées. “C’est important pour moi de rester populaire. Mon art est conceptuel, mais il se greffe sur de nombreux contextes, et je construis des relations avec mes collaborateurs sur du long terme.” Rétif à toute démagogie et à toute simplification, l’artiste élabore des questionnements complexes, notamment sur le statut des plantes dont il étudie l’activité électrique, qu’il traduit en musique. Cette recherche sur le végétal participe d’une pensée sur le sort de tous les organismes vivant au sein d’un système d’échanges marchands mondialisés. “Or, pour comprendre la globalisation, qui implique l’idée de s’approprier des territoires, il faut prendre en compte la colonisation. La problématique coloniale est présente dans mon travail, mais il ne se résume pas à cela.” Mohamed Bourouissa pratique l’art de la nuance. Une qualité qui rend son œuvre aujourd’hui absolument cruciale.
In the age of “inclusiveness”, which often serves as a tool to gain new market shares or improve one’s image under the guise of ethical concerns, it is worth referring to Mohamed Bourouissa’s work and vision to shed light on the real and profound issues at stake when using that word. Born in Blida, Algeria, in 1978 and raised in Courbevoie, Hauts-de-Seine, the artist studied at École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs in Paris and at Le Fresnoy.
From 2005 to 2008, he developed a series of photographs that eventually became legendary. Périphérique focuses on his friends and acquaintances in the Parisian banlieues, where they usually hang out. In order to bring these marginalized people in the field of vision of the respectable and legitimate society, the artist stages his models in situations where some kind of unresolved tension often takes shape and uses the compositional codes of great history painting. More impactful than a long speech, the majestic images reverse the stigmatizing representations of the « people coming from the banlieues » broadcast by mass media all day long. Awarded the Prix Off at the Rencontres de la Photographie in Arles, the series has recently been published, along with new photographs, by Loose Joints. Then, after a magnificent exhibition at the Paris Musée d’Art Moderne in 2018, Virgil Abloh gave the artist the opportunity to create a Louis Vuitton campaign in 2019: “I accepted the offer because it was Virgil. He brought a new breath in fashion by opening a few doors, and thanks to him, some things have evolved today. Maybe not in society at large, but in the fields of image, art direction, and representation for sure.”
In addition to photography, Mohamed Bourouissa also expresses himself through other mediums, such as drawing, sculpture, video, installations and, more recently, music and sound design. Represented by the Kamel Mennour Gallery, he was nominated for the Marcel Duchamp Prize in 2018, and his artworks are displayed in the collections of great museums like the LACMA, the Stedelijk Museum, the Centre Pompidou, and the Musée d’Art Moderne in Paris. Mohamed Bourouissa’s art implies renegotiating and rethinking the respective positions taken by the artist and his “subjects” in each new project, whether it is in the video Temps mort, which he made with inmates between 2008 and 2009 to document the daily life in a penitentiary, in his project Horse Day, which includes the Afro-American riders of the Fletcher Street Urban Riding Club in Philadelphia, or with the community in Gennevilliers, where he lives. Distrustful of vertical relationships, of the seizure of speech, and of the authority that is immediately granted to any artist expressing themselves within the “legitimate” culture, the Franco-Algerian is more inclined to collaborate with people after spending a long immersion period with them, than to impose a discourse on them.
As a guest artist at the Théâtre de Gennevilliers for the next three years, he has exhibited his photographs there and invited local musicians and rappers to take part in several parties. “It’s important for me to remain close to the people. My art is conceptual, but it is grafted onto many contexts. I build long-term relationships with my collaborators over time.” Reluctant to any kind of demagogy or simplification, the artist formulates complex questions, especially on the status of plants, that he translates into music. His research on plants and on their electrical activity is part of a thought process on the fate of all living organisms within a system of globalized commercial exchanges. “In order to understand globalization, which implies the idea of land appropriation, we must take colonization into account. The colonial issue is very much present, but my work goes well beyond that.” Mohamed Bourouissa practices the art of nuance – a quality that makes his work utterly crucial nowadays.