Lil Miquela, l’influenceuse née de l’intelligence artificielle
C'est l’une des influenceuses les plus suivies (plus d'un million d'abonnés sur Instagram). Mais cette mannequin, activiste et chanteuse, est encore plus virtuelle que ses consœurs. Derrière ses taches de rousseur pixellisées, Lil Miquela, créature née de l'intelligence artificielle, questionne notre époque obsédée par la perfection des faux-semblants.
Par Violaine Schütz.
Une influenceuse modèle
Sur Instagram, Lil Miquela ressemble à une influenceuse comme les autres. Taches de rousseur à la mode, mini frange, tenues griffées (Chanel, Supreme, Proenza Schouler), nail art soigné, virée à “Beychella” (célébration du culte de Beyoncé à Coachella), sortie en club, selfie entre amis ou encore séance de skate. Sauf qu'il y a un bug : Lil Miquela n'existe pas. En agrandissant les photos, on se rend compte que la jeune fille qui évolue dans un Los Angeles fantasmé tient plus du Sims, de l'héroïne Pixar ou de l'hologramme que de Jeanne Damas. Lil Miquela a en fait été créée en 2016 par une bande de geeks anonymes via l'intelligence artificielle. Le collectif s'est récemment défini comme “une petite équipe d'artistes, d'ingénieurs, de roboticiens et de militants, convaincus que la technologie peut contribuer à la fois à un monde plus empathique et à un avenir plus tolérant”. Et ses démiurges ont poussé le vice très loin. Ils ont inventé à leur créature une personnalité et des opinions politiques. Miquela Sousa est une jeune fille de 19 ans d'origine brésilienne qui soutient le mouvement Black Lives Matter, les droits des immigrants et des personnes trans, et affiche ses affinités LGBT. Comme n'importe quelle autre influenceuse, elle gagne de l'argent grâce à des partenariats avec des marques, pose en couverture des magazines et a même défilé pour Prada, à Milan. Elle donne aussi des interviews et a sorti des morceaux de R'n'B vocodés sur Spotify. Dans son entretien avec Business of Fashion, elle réclame le droit à être traitée comme une humaine de son temps à travers cette saillie existentielle : “J’aimerais qu’on me décrive comme une artiste ou une chanteuse. Qu’on se concentre plutôt sur mes talents que sur les détails superficiels de mon existence.” Deleuze disait : “Le virtuel possède une pleine réalité, en tant que virtuel.” Et si c'était vrai ?
Miquela Sousa est une jeune fille de 19 ans d'origine brésilienne qui soutient le mouvement Black Lives Matter, les droits des immigrants et des personnes trans, et affiche ses affinités LGBT.
Une critique de la réalité truquée
On a beaucoup reproché à Instagram sa vision biaisée de la réalité. Les influenceurs postent des clichés retouchés à l'excès, photoshopés puis filtrés. Ils ont tendance à enjoliver le quotidien, ne montrant que les moments les plus photogéniques, tendant ainsi au public un miroir déformant de leur visage comme de leur existence. Mais en quoi Lil Miquela est-elle plus fausse qu'une Kylie Jenner ou que nos statuts Facebook les plus personal branding ? Les Instagrammeuses nées de l'I.A. ne sont pas si éloignées des identités artificielles affichées sur les réseaux sociaux. La quête de la perfection aboutit à des esthétiques léchées et à des clichés uniformisés plus proches du robot ou de l'alien que de l'humain. Par leur ressemblance avec des canons inaccessibles et leur incrustation dans des scènes réelles, Lil Miquela, mais aussi d'autres avatars comme Shudu Gram ou Blawko, ne seraient-ils pas une critique profonde de l'ère de la superficialité du numérique, de la course à la notoriété et du fake tout puissant ? Entre réflexion philosophique, coup marketing et performance artistique, ces faux profils – qui affichent plus de followers que des personnes ayant une véritable enveloppe corporelle – trouble, dérange et questionne. À l'opposé, on trouve la chanteuse Poppy (existant en chair et en os) qui propose des vidéos Youtube où elle se comporte comme si elle était un répliquant évadé de Blade Runner. On la surnomme “l'Andy Warhol de Youtube”. De quoi devenir complètement f(l)ou.
Les Instagrammeuses nées de l'I.A. ne sont pas si éloignées des identités artificielles affichées sur les réseaux sociaux.
La guerre des clones
De même qu'il existe des guerres entres blogueuses, les influenceuses I.A. se querellent dans un scénario digne d'un épisode de Black Mirror ou d'un reboot millennial de Matrix. Ainsi, mi avril, le compte de Lil Miquela se faisait hacker par une autre robot d'Instagram appelé Bermuda (un clin d'œil au triangle des Bermudes et non au short). Cette jeune blonde arborant des tee-shirts à l'effigie du drapeau américain se revendique de Trump et pose avec une arme. Mais cette représentante de l'alt-right américaine ne veut pas que les intelligences artificielles se comportent comme des êtres humains. La blonde assume parfaitement sa virtualité, clamant fièrement avoir été inventée par ordinateur par un dénommé Daniel Cain qu'elle qualifie de génie. Évidemment, Daniel Cain n'existe pas. Avant de remplacer des photos de Lil Miquela par des photos d'elle, Bermuda avait adressé dès 2017 de nombreuses menaces à l'encontre de sa rivale. La blonde a finalement posé un ultimatum à la brune : elle supprimerait son compte si cette dernière ne révélait pas sa vraie histoire. Lil Miquela a alors expliqué dans un post nébuleux qu'elle aurait été conçue dans la Silicon Valley par Daniel Cain pour être un “serviteur”. Avant d'être volée par une autre compagnie (et un certain Brud), qui prétendit qu'elle avait été “créée sur la base de la vie et de l'esprit d'une humaine, Miquela Sousa”, recevant ses souvenirs et sa personnalité. Brud aurait affirmé qu'il l'aurait “reprogrammée” pour qu'elle soit “libre”. Un troll qui pourrait bien inspirer un autre écran, le grand.