Les confidences de Rami Malek, acteur culte de James Bond, Mr. Robot et Bohemian Rhapsody
Révélé par la série Mr. Robot, l’Américain s’est imposé comme l’un des plus grands acteurs de sa génération avec son interprétation inoubliable du chanteur Freddie Mercury dans Bohemian Rhapsody. Rencontre à Paris avec ce nouvel ambassadeur hors norme et engagé de la maison Cartier qui pourrait bientôt interpréter à l’écran la star du cinéma muet Buster Keaton.
Par Thibaut Wychowanok.
Son visage taillé à la serpe fait surgir, dès qu’il apparaît à l’écran, une puissance acérée que vient aussitôt contrebalancer la douceur de ses traits juvéniles et de son vaste regard embrassant le monde – un paysage d’expressions contradictoires, nuancées et subtiles. Le Californien de 41 ans est de ces acteurs dont la seule présence sur la pellicule imprime la complexité d’un personnage, avant même qu’il ne commence à jouer. C’est que Rami Malek plonge le public, depuis ses orbites expressionnistes, dans une psyché complexe jamais complétement dévoilée. C’est pourtant ce même physique ambigu, jugé trop “typé”, qui l’empêcha longtemps d’accéder aux premiers rôles hollywoodiens. Cantonné à un weird kid dans la série Gilmore Girls en 2004 ou à un vampire égyptien un brin cliché dans La Nuit au musée en 2007 (ses parents égyptiens se sont expatriés aux États-Unis), Rami Malek rencontre le rôle qui va changer sa vie avec la série Mr. Robot – l’une des meilleures imaginées dans les années 2010. Il y incarne un hacker aux prises avec de lourds problèmes psychiatriques. Rarement le trouble n’aura été incarné avec autant de génie par une mise en scène (schizophrénique) et un acteur humaniste, délicat, puissant, aussi troublé que troublant. Il connaîtra la consécration avec sa performance – hors norme et surhumaine telle qu’en raffolent les Academy Awards – dans Bohemian Rhapsody. Freddie Mercury lui apporte une célébrité mondiale, un Golden Globe… et un Oscar. Son profil ne pouvait que séduire la maison Cartier qui, depuis quelques années, multiplie les collaborations avec un nouveau type de figures puissantes renouvelant les codes de l’industrie créative. Pour le lancement de sa nouvelle montre Tank Française, la maison a ainsi convié son ambassadeur à jouer à Paris, aux côtés de Catherine Deneuve, devant la caméra de Guy Ritchie (Arnaques, crimes et botanique) pour un court-métrage dévoilé en janvier.
Numéro : Vous avez récemment incarné l’ennemi juré de James Bond mais aussi Freddie Mercury. Comment entrez-vous dans la peau de personnages aussi différents ?
Rami Malek : Indépendamment des intentions ou des motivations qui animent un personnage, vous essayez de reconstituer ce qui le rend humain – d’où vient sa souffrance, quels sont ses espoirs, quels ont été les obstacles qu’il a rencontrés jusqu’ici… Il s’agit d’identifier tous ces fils qui se tissent entre eux pour fabriquer un être humain. Au-delà de notre culture, certains moments de vie déterminent les grandes lignes d’un code moral, d’une éthique, d’un système de valeurs. C’est, je crois, ce que nous tentons tous de trouver en nous-mêmes – c’est en tout cas ce que je recherche pour ma part, l’expérience de la vie. Sans le cinéma, je n’aurais jamais autant investi pour étudier et comprendre quelqu’un dont j’ignore tout a priori. Un rôle, c’est un peu comme si on me disait : “Voilà, on vous attribue ce parfait inconnu”, et à partir de là, je vais devoir le disséquer.
Quelle serait donc pour vous la vie la plus difficile à vivre, c’est-à-dire le rôle le plus difficile à incarner?
J’ai pris une décision importante, quand j’étais jeune, par rapport à mon origine ethnique. J’auditionnais régulièrement pour des rôles de terroriste. On voit bien l’idée, pour quelqu’un qui est originaire du Moyen-Orient… Je n’avais pas encore percé dans le métier, j’ai donc dû accepter une ou deux fois, et je me suis rendu compte que ça ne pouvait pas être mon destin d’acteur. Émotionnellement, c’est une position épuisante à tenir. Par respect envers moi-même et envers ma culture, par respect pour ce que je voulais faire, j’ai dit à mon agent : “Terminé, plus jamais.” Ça ne signifie pas que je veuille systématiquement le rôle du héros, bien sûr. Je n’ai aucun problème à incarner un méchant. Parfois, le méchant est aussi le plus drôle à jouer. Mais je suis convaincu qu’il faut bien réfléchir à ce que nous projetons dans le monde. Les réalisateurs comme les acteurs, nous projetons littéralement des images, des idées, des opinions – et il faut se montrer responsables à cet égard.
“Parfois, le méchant est le rôle le plus drôle à jouer. Mais je suis convaincu qu’il faut bien réfléchir à ce que nous projetons dans le monde.”
Que signifie “être responsable”, quand on est acteur ?
Acteur ou non, vous, moi, nous avons tous une responsabilité. Il faut se montrer tout aussi attentif au message que l’on transmet directement, de vive voix, à un frère, une sœur ou un ami très proche, qu’à celui qu’on adresse à une multitude d’inconnus. Pour mon rôle de méchant dans James Bond, à un moment donné la question s’est posée de savoir si j’allais coller le flingue sur la tête de la petite fille. Et je me suis dit que non, je ne pouvais pas faire ça. Il y a certaines choses, certaines règles auxquelles il ne faut pas déroger. Donc là, on se demandait si j’allais la mettre en joue à bout portant – avec toute la violence qui existe dans notre pays… Ma réponse a été : “Vous savez quoi ? Je sais que je suis censé être le bad guy, mais je refuse de glorifier cette violence, sous quelque forme que ce soit.” En effet, là, nous avons une responsabilité absolue.
Comment avez-vous envisagé votre incarnation d’un personnage souffrant de troubles mentaux dans Mr. Robot ?
J’ai beaucoup travaillé sur ce type de pathologies en échangeant jour après jour avec un psychologue. Exister à l’intérieur de son cerveau, c’est vivre dans un monde très solitaire. Il faut s’aventurer mentalement dans des endroits très sombres, et pendant très longtemps, pour parvenir à un tel stade de solitude et de dysfonctionnement. Mais on a aussi envie de se battre, de réagir, de trouver malgré tout un peu de courage et de résilience. Ce personnage me donne toujours le sentiment qu’il y a quand même de l’espoir, que tout reste possible, y compris dans les pires moments. Ce rôle a été l’une des meilleures expériences de ma vie, l’un des plus beaux cadeaux que j’ai reçus. Le lendemain de la cérémonie des Oscars, j’ai pris un vol pour New York où nous tournions la dernière saison de Mr. Robot. Et j’ai éprouvé beaucoup de tristesse quand nous avons terminé cette dernière saison.
“Mon rôle dans Mr. Robot a été l’une des meilleures expériences de ma vie, l’un des plus beaux cadeaux que j’ai reçus.”
Pouvons-nous évoquer le film réalisé pour Cartier par Guy Ritchie ?
C’est une réunion de certains des aspects les plus iconiques, les plus élégants de Paris dans un film très court. Avec ce pont emblématique de la ville. Et en voyant Catherine Deneuve, vous savez tout de suite que vous êtes dans le sillage d’une personne extraordinairement créative. Puis vous voyez la Tank Française, et vous savez que vous entrez dans une tradition d’élégance et de sophistication. On a donc à la fois la créativité, la beauté, le romantisme et un merveilleux patrimoine artisanal, dont les savoir-faire sont éternels. Alors pourquoi ne pas les réunir et en faire la base d’une histoire ? Je trouve le film très romantique. Spectaculaire et assez malicieux aussi. Il y a quelque chose qui tient de l’alchimie, une énergie très forte entre mon personnage et celui de Catherine Deneuve. Par exemple lorsque la caméra saisit un regard à travers la pièce, et c’est tout.
Quels sont les films et les réalisateurs qui vous ont marqué quand vous étiez plus jeune ?
J’adorais les classiques que nous regardions en famille, comme Le Faucon maltais et Casablanca, ou Les Enchaînés d’Hitchcock. Tous les films de John Huston – en boucle – et beaucoup de films arabes ou français également. Il faut remercier la France pour sa contribution au cinéma et à la création. Dans toutes les écoles de cinéma d’Amérique, on commence par les frères Lumière ; donc j’adore l’avant-garde, j’adore la Nouvelle Vague. Je suis un grand fan du cinéma français, et j’ai toujours eu envie de tourner en France. Je suis triste de la disparition de Godard, mais ce qu’il nous a laissé lui survivra éternellement. J’aimais aussi énormément Agnès Varda. Mais nous regardions aussi des James Bond, des Kubrick, des Spielberg, des Scorsese. Un jour où j’étais malade, je me souviens que mon père avait rapporté à la maison la série complète des Rocky, du I au IV. Saviez-vous que Stallone avait remporté l’Oscar du meilleur scénario original pour le premier Rocky ?
”Il y a quelque chose qui tient de l’alchimie, une énergie très forte entre mon personnage et celui de Catherine Deneuve. ”
Quels types de valeurs aimeriez-vous promouvoir dans le monde à travers votre collaboration avec Cartier ?
Je suis attaché à l’égalité, à la justice, à la vérité, à la dignité, à l’intégrité. Cartier parvient à faire la synthèse de tout cela, non seulement à travers ses créations, son savoir-faire dans la joaillerie ou l’horlogerie, mais aussi par sa philosophie et son éthique. Il y a une élégance qui ne tient pas seulement à ce que fabrique la marque, mais aussi à l’effet qu’elle produit sur vous en tant qu’être humain, si je peux le formuler ainsi.