11 août 2021

“L’Échiquier du vent” : un chef-d’œuvre du cinéma iranien disparu puis retrouvé dans une brocante

Réalisé en 1976 par Mohammad Reza Aslani, L’Échiquier du vent est un film d’auteur iranien au destin bien particulier. D’abord banni dés sa sortie puis interdit par le gouvernement islamique du pays pour enfin être perdu pendant des dizaines d’années, le long-métrage a été retrouvé et restauré il y a peu, et sort en salles pour la première fois le 18 août prochain.

Par Anna Venet.

Depuis la genèse du cinéma, nombreux sont les films a avoir été bannis ou interdits pour des raisons politiques. On retrouve dans cette liste aussi bien Le petit soldat de Jean-Luc Godard ou Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, tout deux censurés pendant la guerre d’Algérie. C’est aussi le cas de L’Échiquier du vent, réalisé par le cinéaste iranien Mohammad Reza Aslani — également poète, scénariste et théoricien —, interdit dés sa sortie en 1976. Après une avant-première sabotée au Festival International de Téhéran, le film va déclencher de vives critiques et sera banni avant même sa sortie officielle au cinéma. Après l’instauration du gouvernement islamique en Iran en 1979, L’Échiquier du vent fut véritablement interdit cette fois-ci à cause de son contenu dit “non-islamique”. Les bobines du film sont alors déclarées perdues, et seule une copie VHS censurée de très mauvaise qualité permet aux cinéphiles de le découvrir. Il y a quelques années, un miracle se produit : les négatifs du film sont découverts par hasard par son réalisateur dans une brocante de Paris. Après 45 ans dans l’ombre, L’Échiquier du vent a enfin pu être restauré dans son intégralité en une version numérique 4K. Pour la toute première fois, le film a donc pu être projeté en entier le 27 août 2020 au festival Il Cinema Ritrovato à Bologne, et a depuis été reconsidéré comme l’un des films d’auteur iraniens majeurs de son époque. 

© 1976 THE FILM FOUNDATION. Tous droits réservés.

L’Échiquier du vent place son intrigue dans un huis-clos au début du XXe siècle et montre les dessous d’une riche famille iranienne comme jamais auparavant. Au cœur d’une grande maison bourgeoise de Téhéran vit alors une famille recomposée qui fait face à un deuil. Suite à la mort de son épouse, Haji Amou, un commerçant traditionnaliste patriarcal et corrompu, projette de se débarasser de sa belle-fille, Petite Dame, femme émancipée et moderne, et surtout héritière en titre de la fortune et de la belle demeure luxueuse dans laquelle ils vivent. Cependant, il n’est pas le seul à convoiter l’héritage, puisque ses neveux, Shaban et Ramezan, deux orphelins qu’il avait recueilli, se montrent aussi très intéressés et dévoués à la cause. Petite Dame doit alors faire face à ces nombreuses menaces tout en combattant ses propres démons, entre son deuil et son état de santé pour le peu compliqué, puisqu’elle est paralysée et ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant, grâce à l’aide de sa mystérieuse servante.

© 1976 THE FILM FOUNDATION. Tous droits réservés.

Avec son atmosphère sombre et ses décors feutrés inspirés de l’art de la miniature persane, le film a tout l’air d’une immense toile où plusieurs peintures et autres œuvres d’art s’y mêleraient. Chaque plan ressemble à un tableau de maître, avec une multitude de couleurs profondes, plusieurs petits détails picturaux et des visages, éclairés à la bougie, ressemblant à des poupées de cire. D’ailleurs, le film est rythmé à quatre reprises par le même plan fixe d’une composition presque parfaite, mettant en scène des lavandières qui commentent l’action. Quant à la musique, peu présente dans tout le long-métrage, elle traduit la tension des personnages et la transmet au spectateur, avec un rythme toujours très étrange et dérangeant. Puis, L’Échiquier du vent nous plonge dans un véritable thriller où tous les coups sont permis. Multipliant les rebondissements, son scénario est bien plus riche que ce qu’il pourrait laisser paraître. A travers un jeu de massacre insidieux, le réalisateur Mohammad Reza Aslani livre une critique sociale et culturelle de la société iranienne, qui se bat coûte que coûte pour obtenir la richesse et le pouvoir, anticipant même la révolution de 1979. C’est d’ailleurs par les trois premiers versets d’une sourate du Coran que débute le film. Elle met en garde contre la course aux richesses, avec les distractions et la perte de l’éthique qu’elle engendre.

 

L’Échiquier du vent (1976), de Mohammad Reza Aslani, en salles le 18 août 2021.