Is Mads Mikkelsen the greatest actor of his generation?
À 53 ans, Mads Mikkelsen est le seul point commun entre Rihanna, James Bond et Hannibal Lecter. Nouveau Robinson dans l’Arctic de Joe Penna, en salle le 6 février prochain, le Danois ringardise une partie de la classe cinématographique en un regard. Portrait.
Par Alexis Thibault.
Il est de ceux qui ont été révélés au grand public par un full aux as par les 6… c’est-à-dire pas grand monde. Novembre 2006, Le Chiffre convie le plus célèbre des espions britanniques au Monténégro, armé de son teint blafard. Au cœur du Casino Royale, la tension est à son comble mais le trésorier des terroristes déchante : une quinte flush vient de tomber sur le tapis vert. Daniel Craig remporte la partie de poker et séduit en James Bond brutal et torturé. Quant au charismatique Mads Mikkelsen (prononcer “Mes”), il met tout le monde d’accord en antagoniste à l’œil gauche mort.
Ses challenges ? Un clip de Rihanna, une production Netflix et un jeu vidéo de Hideo Kojima…
Il faut dire que le Danois de 53 printemps a été formé à l’école Nicolas Winding Refn, père de Pusher (1996) et de Drive (2011), fanatique des jets d’hémoglobine inattendus, des longs-métrages contemplatifs et des personnages flegmatiques à la psyché impénétrable. Son premier rôle au cinéma, Mads Mikkelsen le décroche auprès de son homologue scandinave – dyslexique et daltonien – dans Pusher justement, premier volet d’une trilogie plus sombre qu’un buvard imbibé. Filmée à l’épaule, cette claque ultra violente sur fond de trafic de stupéfiants fait sensation. Trois ans plus tard, Mikkelsen rempile auprès du même cinéaste : il crève l’écran en cinéphile introverti dans Bleeder, drame poisseux dans lequel le vidéoclub fait fonction d’exutoire. Malgré le flop du film, l’acteur débarque à Cannes. Mais personne ne s’intéresse à ce trentenaire aux pommettes saillantes et aux lèvres ourlées dont le charisme et l’expression polaire ringardisent pourtant la moitié de Hollywood à eux seuls. Mads Mikkelsen distribue alors des copies de Bleeder sur la Croisette, presque sous le manteau… L’ère Refn s’est interrompue en 2009 après une cinquième collaboration : Valhalla Rising. Une ode à la lenteur, sorte de performance artistique sur fond de lutte viking qui déroute parce qu’on l’a estampillée “septième art”.
Mais comment expliquer le pouvoir d’attraction invraisemblable de Mads Mikkelsen ? Si les grands pontes de la production américaine le draguent de manière exponentielle – Le choc des titans (2010), Doctor Strange (2016), Rogue One: A Star Wars Story (2016) – le Danois a su modérer ses apparitions dans les blockbusters sans pour autant refuser les challenges peu orthodoxes : le clip de Rihanna Bitch Better Have My Money (2016), Polar, la très mauvaise production Netflix sortie cette année, ou Death Stranding, jeu vidéo très attendu de Hideo Kojima, le génie japonais mégalomane qui a enfanté Metal Gear Solid en 1998.
Avec Hannibal, il livre son interprétation la plus effrayante, devient l’incarnation du flegme et décroche un Saturn Awards.
En avril 2016, Mads Mikkelsen est fait Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par l’ambassadeur de France au Danemark. Pas vraiment une consécration lorsque l’on connait le background de ce polyglotte maîtrisant plus de 6 langues, dont le français, appris sur le tas lors du tournage de Coco Chanel et Igor Stravinsky en 2009. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le natif de Copenhague est à mille lieux des personnages antipathiques qu’il incarne. Autrefois gymnaste et danseur de ballet professionnel, ce fils de chauffeur de taxi se réjouit de pouvoir tourner des blockbusters, malgré son diplôme de l’Aarhus Teater, l’école de théâtre la plus prestigieuse du Danemark.
Dès 2013, il dévoile quelques aspects supplémentaires de son élégance irréprochable dans Hannibal, nouvelle adaptation du roman éponyme de Thomas Harris par l’Américain Bryan Fuller. Prélude à Dragon Rouge, cette série télévisée – trois saison à ce jour – évoque l’étroite relation entre le profiler Will Graham et le psychiatre Hannibal Lecter, sociopathe anthropophage à ses heures perdues. Sur fond de gastronomie, entre coq au vin et risotto de chair humaine, Mads Mikkelsen vole la vedette à David Tennant (Doctor Who), pressenti pour le rôle. En incarnant ce monstre impassible, il livre alors son interprétation la plus effrayante et décroche même un Saturn Awards.
Fanatique du Taxi Driver de Scorsese, ce grand amateur de bière se voit remettre le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour La Chasse, en 2012, septième long-métrage de son compatriote Thomas Vinterberg. Il y incarne Lucas, éducateur irréprochable accusé par une petite fille d’avoir abusé d’elle dans la nurserie. Une œuvre d’autant plus intéressante qu’elle ne traite pas d’injustice, préférant aborder la confiance, le doute et la sacralisation d’une parole juvénile pure. Pour la première fois, Mads Mikkelsen semble véritablement humain.
À l’affiche d’Arctic, en salles le 6 février prochain, il remet en jeu sa ceinture d’acteur incontournable. Il y incarne un pilote dont l’avion s’est écrasé au pôle Nord. Mikkelsen ne le cache pas, le tournage en Islande de ce survival réalisé par le brésilien Joe Penna était le plus éprouvant de sa carrière. Autrefois maître du drame, éclairé une fois sur deux par des néons crasseux, le prodige capable de réciter l’annuaire avec la verve d’un noble pourrait truster l’affiche encore quelques siècles… Tel Marlon Brando dans le treillis du colonel Kurtz, le Scandinave fascine car il se drape d’un voile mystérieux. Autoritaire, du haut de son 1,83 m, Mads Mikkelsen pourrait aussi bien nous étreindre que nous briser la nuque, son regard ne livre aucun indice.
Arctic de Joe Penna avec Mads Mikkelsen, en salles le 6 février.