31 oct 2024

Rencontre avec le chorégraphe Alessandro Sciarroni, star du Festival d’Automne 2024

À l’occasion du Festival d’automne, le chorégraphe italien Alessandro Sciarroni imagine un nouveau spectacle intitulé U. (un canto), présenté au CENTQUATRE-PARIS du 5 au 8 novembre 2024, créant un dialogue entre le corps et le chant traditionnel italien. Rencontre.

Propos recueillis par Delphine Roche.

Alessandro Sciarroni © Andrea Macchia.
Alessandro Sciarroni © Andrea Macchia.

U. (un canto), un spectacle incontournable au Festival d’Automne 2024

Sur la base de sa formation de plasticien, Alessandro Sciarroni élabore depuis 2007 des pièces qui relèvent autant de la danse contemporaine que de la performance. Son travail est ainsi présenté aussi bien dans des festivals que dans des musées. Ses pièces se caractérisent souvent par une forme de mise à l’épreuve quasi-scientifique par la répétition, comme s’il cherchait à épuiser tout à la fois une piste conceptuelle, et la résistance physique de ses performeurs.

Depuis plusieurs années, il s’attelle notamment à tester la persistance élastique de formes traditionnelles de chant et de danse. Il s’adonnait, dans FOLK-S, à une relecture du schuhplattler tyrolien. Save the Last Dance For Me suivait cette piste, en mettant à l’honneur la polka chinata, une danse née à Bologne au début du 20e siècle et menacée d’extinction. L’année dernière, il explorait le répertoire polyphonique italien dans IRIS, dans le cadre du Festival d’Automne : à la piscine de la Butte-aux-Cailles, le public circulait librement autour du bassin où évoluaient des nageurs et un ensemble musical.

L’inclusion du sport dans son travail – qu’il avait déjà impliqué via le goalball, ou des arts du cirque –  souligne un de ses enjeux majeurs : c’est sur un fil tendu entre la ténacité et la vulnérabilité qu’évolue, en funambule, Alessandro Sciarroni, testant les potentialités de transformation et d’expansion des formes. Cette année, il propose une nouvelle interaction de corps avec le répertoire musical italien dans U. (un canto), présenté dans le cadre du Festival d’Automne 2024, sur les planches du CENTQUATRE-PARIS du 5 au 8 novembre prochain.

U. (un canto) d'Alessandro Sciarroni © Alessandro Sciarroni.
Spectacle “U. (un canto)” d’Alessandro Sciarroni © Alessandro Sciarroni.

Rencontre avec le chorégraphe Alessandro Sciarroni

Numéro : Comment le chant s’intègre-t-il dans votre exploration des traditions folkloriques, comme dans Folk-s et Save the Last Dance For Me ? Qu’est-ce qui vous fascine dans le folklore ?

Alessandro Sciarroni : Ce qui est défini comme “folklore” correspond dans certains cas à une pratique ou à une série de pratiques qui ont vu le jour à un moment historique différent de celui dans lequel nous vivons. Les pratiques que j’ai examinées au fil des années nous sont parvenues grâce au travail des communautés qui maintiennent la tradition en vie, la renouvelant et la transmettant aux nouvelles générations. Elles sont vivantes et elles évoluent. On a tendance à considérer les traditions comme quelque chose de statique, ce qui est faux. Les pratiques et les traditions que j’ai étudiées, certaines danses folkloriques, certains chants, certaines formes d’arts du cirque et certains sports, ainsi que la danse classique, produisent toujours le même effet en moi. J’ai toujours l’impression d’être confronté à une représentation du mystère de notre existence.

Quelle vision de la tradition opposez-vous à ceux qui la considèrent comme une chose statique et immuable ? 

La vérité est que si l’on entre en contact avec les communautés qui maintiennent une certaine tradition en vie, il est évident qu’elle ne se répète jamais. Dans le domaine de la danse folklorique, par exemple, les compagnies créent chaque année de nouvelles mises en scènes et les pas de danse sont composés différemment. Certaines danses, autrefois réservées aux hommes, sont aujourd’hui interprétées par des groupes de danseuses. 

Le temps est un élément clé de votre travail, à la fois le présent perpétuel qui produit le rythme répétitif de Folk-s, et le passé d’où proviennent les danses de Save the Last Dance For Me. Quelle est sa signification dans U. (un canto)

Le temps de U. (un canto) est un temps fracturé. Le chant est toujours suivi de longs silences. La beauté de cette musique et de ces mots semble tomber dans le vide. Le silence nous rappelle ce qui a été perdu au fil des ans, ce que l’humanité a peut-être perdu à jamais. Mais les chanteurs restent immobiles, souriants, prêts à interpréter la chanson suivante.

U. (un canto) d'Alessandro Sciarroni © Alessandro Sciarroni.
Spectacle “U. (un canto)” d’Alessandro Sciarroni © Alessandro Sciarroni.

Je trouve très intéressant que la danse ait la capacité de disparaître pendant des générations entières, et de revenir même lorsqu’elle semblait complètement morte.”

Alessandro Sciarroni

Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer le chant avec IRIS et maintenant avec U. (un canto)

Je ne sais jamais d’où vient une idée, une intuition. C’est toujours lié à quelque chose que je vois ou que j’entends. Bien que l’intention de départ soit toujours claire, je ne sais jamais quelle forme prendra la performance à la fin. C’est un processus que je mène avec les interprètes. Un mystère qui ne se dissipe qu’à l’approche de la date de la première.

Quel est l’impact de la décontextualisation dans votre approche ? Aide-t-elle le folklore à trouver une nouvelle pertinence, ou à nous reconnecter à nos racines ?

Ces pratiques sont beaucoup plus résistantes qu’on ne le pense. Si je pense par exemple à la polka chinata, sur laquelle j’ai travaillé pour Save the Last Dance For Me, cette danse semblait avoir complètement disparu, il n’y avait plus personne pour la danser. Puis un professeur de danse de salon a découvert des vidéos d’archives, l’a étudiée et l’a enseignée à deux couples de danseurs. Lorsque je l’ai découverte, il n’y avait en fait que cinq personnes dans le monde entier qui savaient la danser. Je trouve très intéressant que la danse ait la capacité de disparaître pendant des générations entières, et de revenir même lorsqu’elle semblait complètement morte. Elle ne s’éteint pas comme les espèces animales ou végétales. Elle ne s’éteint que si elle tombe dans l’oubli total. Dès que je la mets en scène, dès qu’un spectateur entre en contact avec une forme folklorique qu’il ne connaissait pas, la vie de cette pratique ancienne est prolongée.

Comment avez-vous découvert les chants qui inspirent U. (un canto) ?

La Fondation Cartier m’a nommé co-directeur artistique, avec le musicien Alexis Paul, de l’une de ses “soirées nomades”. On m’a demandé d’organiser la présence, dans le temps et dans l’espace, d’ensembles choraux provenant de différents pays. J’ai été particulièrement impressionné par la beauté des textes et de la musique des ensembles italiens.

U. (un canto) d'Alessandro Sciarroni © Andrea Macchia.
U. (un canto) d’Alessandro Sciarroni © Andrea Macchia.

Un spectacle poignant, en collaboration avec les musiciens Aurora Bauzà et Pere Jou

Pensez-vous que le message d’acceptation des limites humaines et de connexion avec la nature, que portent les chants que vous avez choisis, soit particulièrement pertinent aujourd’hui ?

Je pense que ces chants nous disent, de manière simple et directe, ce que nous étions jadis. En nous racontant ce que nous avons perdu, ils nous montrent aussi ce que nous sommes devenus.

Pourquoi avez-vous choisi de collaborer avec les musiciens Aurora Bauzà et Pere Jou? Et pourquoi avez-vous travaillé ensemble sur une composition inspirée du Cantique des créatures de Saint François d’Assise [considéré aujourd’hui comme l’expression d’une conscience non anthropocentrée, incluant l’homme dans l’écosystème général de la vie sur Terre] ?

Aurora Bauzà, Pere Jou et moi collaborons depuis des années. Ils ont composé plusieurs morceaux de musique pour mes spectacles et je suis très heureux d’être impliqué dans leur activité performative. Saint François, quant à lui, est un souvenir de mon adolescence. Il a prêché une forme radicale et absolue d’amour. Son Cantique rend grâce à Dieu pour la vie, pour sa fragilité et pour sa finitude. François bénit les derniers, les humbles, ceux qui pardonnent. Je trouve vraiment que c’est une des figures les plus intéressantes de la religion catholique.

Vous êtes artiste associé au CENTQUATRE-PARIS, et vous présentez fréquemment des créations dans le cadre du Festival d’automne. Quelle est votre perception du public parisien ? 

Retrouver le public parisien, c’est comme rentrer à la maison. Il y a tant de spectateurs que je revois année après année. Le public du Festival et celui du CENTQUATRE sont très vivants et réactifs. J’ai hâte d’être de nouveau à Paris.

Spectacle “U. (un canto)” d’Alessandro Sciarroni, du 5 au 8 novembre 2024 au CENTQUATRE-PARIS, dans le cadre du Festival d’Automne 2024.