Interview : Danny Boyle commente sa série Disney+ sur les légendaires Sex Pistols
Avec Pistol, une série de six épisodes diffusée à partir de ce mercredi 6 juillet sur Disney+, le réalisateur anglais d’origine irlandaise Danny Boyle (Trainspotting, Slumdog Millionaire) raconte avec brio la genèse des très sauvages et fulgurants Sex Pistols ainsi qu’un pan effervescent de l’histoire de l’Angleterre des années 70. Un jour avant sa sortie, Il nous dévoile les coulisses de ce show aussi punk et inspirant que le groupe managé par Malcolm McLaren.
Par Violaine Schütz.
Il y avait déjà eu un film très attachant sur les Sex Pistols : Sid et Nancy (sorti en 1986), réalisé par le Britannique Alex Cox et mettant en scène Gary Oldman, Courtney Love et Chloe Webb. Mais, comme son titre l’indique, le long-métrage s’attardait plus sur la relation dangereuse, fusionnelle et chaotique unissant Sid Vicious (le bassiste déjanté des Sex Pistols) et la groupie charismatique Nancy Spungen qu’à l’histoire du groupe. À ce titre, la série Pistol, réalisée par l’Anglais d’origine irlandaise Danny Boyle (Trainspotting, Slumdog Millionaire) et diffusée sur Disney+ dès le 6 juillet, s’avère d’utilité publique. Basée sur les mémoires de Steve Jones, le guitariste de la formation punk, le show de six épisodes au grain vintage et aux images d’archives électrisantes, raconte comment une bande de jeunes Anglais irrévérencieux et désœuvrés ont fondé l’un des groupes les plus influents du rock. Avant de très rapidement se séparer, à la fin des années 70. Et de devenir mythiques sans pourtant être les meilleurs musiciens du monde.
Inspirée et très documentée (sans être entièrement basée sur des faits réels), la série Pistol a le mérite d’expliquer les motivations, l’ennui, les ambitions et les petites histoires entourant les Sex Pistols, mais aussi de nous replonger, avec beaucoup d’humour, de fracas et de fureur, dans un pan de l’histoire de l’Angleterre, les bouillonnantes années 70. On suit avec empathie ces gamins issus de la classe ouvrière, turbulents et parfois agaçants, prêts à en découdre avec l’establishment. Danny Boyle parvient à donner à ce récit un aspect social mais aussi féministe. Derrière ces figures anticonformistes et célèbres du rock, il y avait également des femmes passionnantes telles que la chanteuse Chrissie Hynde (qui a failli épouser deux membres des Sex Pistols) et la créatrice Vivienne Westwood, responsable du look des Pistols. Un jour avant la sortie du programme sur Disney+, le réalisateur de Trainspotting nous conte les coulisses d’une mini-série qui devrait faire du bruit.
Numéro : Que saviez-vous à propos des Sex Pistols et de leur guitariste Steve Jones, dont les mémoires ont nourri votre série, avant de travailler sur Pistol ?
Danny Boyle : J’ai un peu honte de dire que je ne savais pas grand-chose à propos de Steve Jones (joué par Toby Wallace dans Pistol), et pourtant je connaissais bien les Sex Pistols parce que je suis leur contemporain. J’ai le même âge qu’eux. Quand j’avais 20 ans, leur unique album et leur musique ont explosé, et nous avons adoré. Mais cela a été intéressant de réaliser ce show parce que je me souviens à quel point, au moment de leur apogée, nous nous désintéressions des Sex Pistols en tant qu’individus, aussi bien qu’en tant que personnages. La différence entre cette époque et aujourd’hui est très frappante, car, de nos jours, la musique au contraire est centrée sur l’individu. Si un groupe émerge, ils essaient de séparer le chanteur principal du reste du groupe. À l’époque, la chose qui importait, c’était uniquement la musique. Il n’y avait pas de photos des Sex Pistols sur l’album. Ce n’était qu’un album. Ce n’est qu’après qu’ils sont devenus des célébrités, surtout John Lydon (alias Johnny Rotten), le chanteur, et Sid Vicious, le bassiste. En fait, je ne savais pas que Steve Jones était le fondateur du groupe, parce que je ne m’intéressais pas vraiment à eux en tant qu’individus, mais seulement à ce qu’ils faisaient musicalement collectivement.
En quoi une série sur les Sex Pistols est-elle pertinente aujourd’hui ?
Je ne peux pas vraiment répondre à cette question, ou alors la réponse sera plutôt ennuyeuse, car je ne peux pas dire comment les jeunes d’aujourd’hui recevront la série. Pour ceux d’entre nous qui ont vécu cette période, les Pistols sont toujours d’actualité parce que, une fois que vous avez fait l’expérience du punk et que cela a changé votre vie, ce que qui a été le cas pour moi, vous ne l’oubliez jamais. C’est comme une canopée que vous portez au-dessus de vous à travers tout ce que vous faites. Je le ressens pour mon travail et ma carrière. Personnellement, j’aime le fait qu’ils ne respectent personne. Peu importe que vous soyez Richard Branson ou la reine. Ils disent “f*ck that. Ce sont des conneries (“bollocks”).” Ce mot britannique « bollocks » signifie tellement. J’adore ça. Je pense que c’est une chose très saine à porter tout au long de votre vie, afin de rappeler où vous êtes, d’où vous venez et à quel point tout le monde est important. Quoi qu’il en soit, les Sex Pistols ont toujours représenté ça pour moi. J’espère que cela parlera à la nouvelle génération, mais je ne peux pas me prononcer pour elle. Les acteurs sont beaucoup plus qualifiés pour parler de la pertinence des Sex Pistols aujourd’hui, car ce sont eux qui sont au milieu du monde d’aujourd’hui, celui des médias sociaux. Je ne suis pas sur Facebook, ni sur Instagram. Je ne suis pas impliqué dans les réseaux sociaux.
Pistol retranscrit, de manière très réaliste, une tranche de vie importante de l’Angleterre des années 70. Quels défis avez-vous rencontrés pour donner vie à cet aspect de l’histoire ?
C’était un énorme challenge, car Londres est aujourd’hui méconnaissable par rapport à l’époque des Sex Pistols. Je suis arrivé à Londres en 1978 et tout ce dont je me souviens à propos de la ville à l’époque, ce sont de ces vastes espaces, avec des bâtiments démolis. Avant, vous traversiez ce qu’on appelait des terrains vagues. Vous savez quoi ? Il n’y a plus de terrain vague nulle part maintenant. Nous en avons trouvé un peu au-delà de Greenwich, dans ce qui va être un immense lotissement de luxe. C’est ce que Sid et John traversent, à un moment donné, en rentrant chez eux dans la série, mais je me souviens que tout était comme ça dans les années 70. J’ai vécu dans l’ouest et dans l’est de Londres, et il y avait des terrains abandonnés partout. Aujourd’hui, tout a été construit. Il est donc difficile de recréer. C’est pourquoi j’ai utilisé beaucoup d’images d’archives.
Quels autres défis avez-vous eu à relever pour recréer cette période révolutionnaire ?
Plus encore que la géographie, je pense que c’était un défi d’essayer d’expliquer aux acteurs qu’il existait des schémas bien établis pour les gens à l’époque. Que cela vous plaise ou non, vous étiez jeune, et puis, vous étiez vieux, du jour au lendemain. Il n’y avait pas d’entre-deux. C’est incroyable de dire ça à la nouvelle génération, parce que les Sex Pistols ont fait sauter ce pont entre les jeunes et les vieux. Ils l’ont fait exploser. Ce n’est pas comme s’ils étaient dans une sorte de quête philosophique pour le faire exploser. Ils n’avaient rien pour le remplacer, et ils se sont séparés après un album. Mais ce que cette génération a fait, c’est qu’elle a ensuite élargi ce gouffre et nous y vivons tous maintenant. Et l’économie est basée sur le maintien de cette distance maximale entre être jeune et être vieux. Je dirais que 90% d’entre nous vivent dans cet écart et c’est extraordinaire parce que je pense vraiment que ça a commencé avec les Pistols. Surtout pour les gens de la classe ouvrière parce que vous suiviez les traces de votre père à cette époque. Avant même de vous en rendre compte, vous ressembliez à votre père, même si vous étiez encore jeune il y a une minute de cela. Soudain, vous portiez les vêtements de votre père et vous lui ressembliez. Il y avait tous ces modèles définis et ces apprentissages pour faire comme ses parents, mais les Pistols ont changé cela. Ils ont dit : « Non, non, non, non, non. “Bollocks” à tout ça.”
Comment avez-vous appréhendé les performances live qu’on voit dans Pistol ?
Dans notre approche du projet, nous avions cette conviction que nous n’allions pas tourner de scènes musicales avec du playback. Il semblait essentiel de ne pas utiliser non plus d’overdubs (ou “re-cording” soit “réenregistrement”, une technique qui consiste à enregistrer des sons rajoutés à d’autres sons déjà enregistrés afin de les mélanger au moment du mixage). Nous avons décidé que les performances musicales allaient toutes être enregistrées en direct. Nous savions que cela mettrait la pression sur les acteurs et moi – et tout le monde en fait – s’ils devaient jouer en direct, mais c’est devenu essentiel. Cela nous a permis respecter les chansons et le groupe, ainsi que leur pouvoir en tant que collectif. Les acteurs sont devenus vraiment doués pour jouer en live. Et ils se produisaient devant un public en direct, ce qui était fantastique.
Quelle était l’ambiance pendant le tournage de ces scènes de lives ?
C’était vraiment intéressant. Le public assistant aux lives était affamé de divertissements en direct parce que Pistol a été tourné pendant la pandémie. Chaque membre du public était payé pour être un extra, mais tous devaient se brosser le nez tout le temps avec tous les tests Covid. S’ils réussissaient le test, ils entraient sur le plateau et il y avait un groupe live à regarder. Et les acteurs formaient un très bon groupe live. C’était super parce que le public et le groupe se nourrissaient l’un et l’autre. Au fil du temps, c’est devenu de mieux en mieux. Et, bien sûr, les acteurs aimaient quand le public leur disait qu’ils étaient bons ou qu’il leur criait dessus. Tout cela a créé une sorte de champ de force d’énergie tournante, dont le show profite énormément. Vous pouvez ressentir cette énergie à travers l’écran. Cela ressemble à de véritables concerts. C’est une série qui parle vraiment de musique, et pas seulement de personnages avec un peu de musique de temps en temps. Une série qui parle de musique : c’est ce que l’on espère avoir réussi en tout cas.
Pistol de Danny Boyle, disponible sur Disney + dès le 6 juillet 2022.