5 mai 2020

Interview: Amandla Stenberg, d’Hunger Games à The Eddy

Le 8 mai, on découvrira l'actrice américaine dans “The Eddy”, une chronique – en huit épisodes – d'un club de jazz à la dérive imaginée par Damien Chazelle (“La La Land”), tournée à Paris et produite par Netflix. 

Propos recueillis par Chloé Sarraméa.

Dans une maison de Los Angeles, une actrice à peine sortie de l'adolescence passe ses journées à tourner des vidéos destinées à… l'application TikTok. Désormais habituée à divertir ses fans sur les réseaux sociaux, Amandla Stenberg est avant tout une actrice brillante, passée du statut d'enfant star à celui de porte-parole d'une génération. De ses débuts à la tête du ”District 11” d'Hunger Games (2012) à son rôle de gamine militante (malgré elle) contre les violences excercées sur la communcauté afro-américaine dans The Hate U Give (2018), celle que le Time Magazine a défini comme “l'une des trente adolescentes les plus influentes” en 2015 a peu à peu imposé son doux visage au monde. Dans The Eddy, elle incarne la fille du personnage principal (Elliot), une jeune femme perdue qui s'envole de New York vers Paris avec son baluchon et un sacré lot de questionnements existentiels… Numéro a rencontré l'actrice de 21 ans, qui, lorsqu'elle débarque à l'écran, électrise la série de Damien Chazelle.

 

 

Numéro: The Eddy change la donne sur Netflix: c’est une série d’auteur, centrée sur le jazz, une musique un peu boudée ces dernières années ou souvent jugée trop intellectuelle… Pourquoi avoir accepté le projet?

Amandla Stenberg: J’ai été très surprise quand j’ai su que la série serait produite par Netflix. The Eddy est un projet si différent des productions habituelles de la plateforme, c’est un show multiculturel, les personnages y parlent anglais, français, polonais… J’étais surtout très excitée à l’idée de travailler avec Damien Chazelle et Jack Thorne [le scénariste] qui ont pensé ce projet comme un hommage à la Nouvelle Vague, un courant cinématographique que j’adore – et notamment Godard…

 

La musique inonde la filmographie de Damien Chazelle: Whiplash dépeint un apprentissage borderline de la batterie, La La Land parle des difficultés à vivre de la musique tandis que The Eddy conte la gestion complexe d'un club de jazz à Paris en 2020. En bref, selon Damien Chazelle, vivre de la musique est un parcours semé d’embuches et fait de désillusions… Avez-vous eu cette même impression vis-à-vis du cinéma quand vous avez débuté?

Je n’étais qu’une enfant quand j’ai tourné dans Colombiana [2011] de Luc Besson. C’était oppressant d’être sur un plateau car je voulais donner le meilleur de moi-même mais, en même temps, c’était aussi super excitant et vraiment fun! Voir comment Damien Chazelle travaille sur la musique est vraiment impressionnant: il est si passionné que le son devient l’élément central de la série et même un personnage à part entière.

 

 

“Si quelqu’un dans le monde s’est senti plus fort et représenté grâce à mes rôles, c’est que la magie opère…”

 

 

Un fait étonnant dans votre carrière: vous avez tourné dans des publicités pour McDonald’s et Boeing, fait du mannequinat pour Disney, tourné dans Hunger Games et peu à peu, vous vous êtes dirigée vers un autre genre de cinéma… Vous incarnez des personnages forts, des femmes engagées, voire des portes-paroles de la culture afro-américaine (The Hate U Give). Comment choisissez-vous vos rôles?

Quand j’ai commencé dans le cinéma, je ne pensais pas au genre de films dans lesquels je voulais jouer, je pensais juste à la puissance des histoires. Aujourd’hui, je choisis mes rôles et c’est une chance. Dans la vie, on est confrontés à tellement d’expériences différentes, des expériences parfois difficiles… Je tiens à représenter des personnages dans lesquels beaucoup de gens se retrouvent, car ces personnes n’ont pas possibilité de s’évader et de créer des histoires. Raconter l’humanité et l’unité à travers le cinéma. Je veux que les gens puissent se reconnaitre en moi et qu’ils se disent que je peux les représenter, voilà ce que je cherche.

Damien Chazelle, Amandla Stenberg et André Holland sur le tournage de “The Eddy”, à Paris.

Dans The Hate U Give, votre personnage se fait le porte-parole d’une communauté meurtrie par les violences policières. Vos personnages vous permettent-ils, parfois, d’exprimer ce contre quoi vous vous indignez dans la vie?

Voilà une question très intéressante… Vous savez, parfois, je ressens une grosse pression sur mes épaules. Je suis une artiste et j’espère souvent que les gens se sentent moins seuls face à leurs expériences grâce aux films dans lesquels je joue. J’essaie néanmoins de ne pas trop penser à cela, mais si quelqu’un dans le monde s’est senti plus fort et représenté grâce à mes rôles, c’est que la magie opère…

 

Vous parliez de la Nouvelle Vague. Depuis les années 60, le cinéma français a beaucoup changé mais on continue de soutenir le cinéma indépendant. Aux États-Unis, c’est un peu différent… Pensez-vous que seul l’argent régit le 7e art dans votre pays natal?

Aux Etats-Unis, l’industrie du cinéma est capitaliste et, oui, Hollywood plus centré autour de l’argent [rires] En dehors de ce système, il y a aussi des films incroyables tournés aux Etats-Unis!

 

 

 

Certains cinéastes indépendants font bouger les choses: Damien Chazelle, Noah Baumbach… Vous êtes en bonne voie pour devenir un figure du cinéma d’auteur américain!

[rires] Ce serait génial!

 

 

 

Revenons à The Eddy, où votre personnage est admis dans une école privée et porte un uniforme… Vous savez qu’en France, peu de jeunes sont scolarisés dans le privé. Comment s’est passée votre enfance? Vous étiez dans une high school américaine, vêtue de la mini jupe et la cravate que l’on voit si souvent dans les teen movies?

Quand j’étais enfant, j’étais dans une école publique où la diversité était très présente: il y avait des Afro-Américains, des Blancs, des Coréens… Vers l’âge de 12 ans, je suis allée dans une école beaucoup plus libérale et tournée vers l’artistique: on était beaucoup plus libres, on ne portait pas d’uniforme, c’était beaucoup plus casual… Certains venaient même à l’école en tongs!

 

 

“C’est enfin le moment pour la communauté afro-américaine d'être au centre de la scène artistique”

 

 

Cette année, le film Queen & Slim a fait beaucoup de bruit. Il s’agit d’un date Tinder qui vire au désastre: deux Afro-Américains sont accusés du meurtre d’un policier alors qu’il s’agissait en réalité de légitime défense…

C’est un film très beau et je connais Melina Matsoukas [sa réalisatrice] depuis longtemps…Nous avons travaillé ensemble pour un projet avec Rihanna et Stella McCartney. C’était il y a quatre ans et Melina réfléchissait déjà à son film.

 

 

 

Queen & Slim est engagé et politique, il s’inscrit dans une mouvance d’un cinéma américain qui parle enfin de ce qui ne va pas dans le pays et dénonce les violences policières…

Absolument! C’est enfin le moment pour la communauté afro-américaine d'être au centre de la scène artistique, de créer et de se faire une place de choix dans la culture aux États-Unis. C’est beau et je suis ravie de faire partie de cette vibe… Il s’agit de se concentrer sur des sujets pertinents, de dénoncer les violences policières… Finalement, on parle juste de nos expériences.

 

 

 

Vous êtes actrice, chanteuse, mannequin… Et égérie Fenty! Vous comme moi avons grandi avec Rihanna et dansé sur ses tubes. Quel effet ça fait d’être l’un des visages de sa marque? 

Rihanna est un ange qui nous a été envoyé directement du paradis! Sa marque de beauté, Fenty, incarne toutes les choses dans lesquelles je crois: elle parle de diversité et faire partie de la “Fenty family” est une chance. C’est un projet collaboratif et libre où chacun apporte sa touche et je suis ravie d’en être. 

 

 

The Eddy (2020), une série créée par Damien Chazelle, Alan Poul, Glen Ballard et Jack Thorne. 

Avec Leïla Bekhti, André Holland, Joanna Kulig, Tahar Rahim, Amandla Stenberg…

Disponible le 8 mai sur Netflix.