1 juil 2020

I May Destroy You, l’étourdissante série sur le viol

La nouvelle série de la Londonienne Michaela Coel, “I May Destroy you”, produite par HBO, est en ce moment diffusée sur OCS en France. Véritable coup de tonnerre à l’ère post-#MeToo, les 12 épisodes dépeignent avec réalisme le parcours complexe d’une femme qui tente de recoller les morceaux de l’agression sexuelle qu’elle a subie.

La bande-annonce d’I May Destroy You.

Peu de personnes le savent. Le GHB, plus connu sous le nom de “drogue du violeur” n’est pas nommé ainsi parce qu’il provoque une amnésie totale. En réalité, cette substance particulièrement insidieuse fait naître une libido factice chez quiconque l’ingère. En apparence, une personne droguée au GHB donne l’impression de consentir à toute relation sexuelle. Plus encore, il arrive même que ce soit elle qui initie l’acte, car son jugement, emprisonné par l’effet incontrôlable de la drogue, est complètement altéré.

Le réalisme comme point de départ

C’est loin de toutes les représentations édulcorées qui ont pu en être données par Hollywood que Michaela Coel aborde le viol dans sa série I May Destroy You (“Je pourrais te détruire”). Scénariste, réalisatrice et actrice londonienne montante, cette dernière revient sur le devant de la scène, quatre ans après le succès fulgurant de Chewing Gum, une première série brillante et particulièrement loufoque. Loin de l’esprit déjanté de cette première production – multi primée en Angleterre –, I May Destroy You en garde pourtant la même ligne directrice, à savoir parler avec ses tripes.

Dans la première, Michaela Coel incarnait une jeune chrétienne, vierge, partagée entre son éducation religieuse stricte et son irrépressible envie de découvrir les plaisirs de la chair. Une trame qui, même si elle reste avant tout fictive, faisait écho à la relation complexe que son autrice entretient, dans la réalité, avec la chrétienté. Ici, Michaela Coel a confié s’être une fois de plus inspirée de sa propre expérience pour construire le personnage central de la série. En 2016, la jeune femme a elle aussi subit une agression sexuelle, droguée à son insu. En partie autobiographique donc, la série dépasse pourtant largement le parcours individualiste de son personnage, ce qui en fait sa force.

En abordant un sujet universel, placé au cœur des débats médiatiques depuis la déferlante #MeToo, I May Destroy You s’adresse au plus grand nombre. La série en 12 épisodes s’appuie sur un réalisme criant, naviguant sur le racisme, le consentement sexuel et le visage d’une jeune génération. Et si parfois, les épisodes peuvent sembler confus, c’est qu’ils s’attachent à refléter la complexité du long chemin vers la guérison. Bien loin d’être manichéenne, linéaire ou moraliste, la série est avant tout immersive. Le spectateur est entraîné avec ardeur au plus près des personnages, et ne ressort pas indemne de ce récit puissant.

Michaela Coel dans “I May Destroy You”. © HBO

Tout commence par une boîte de nuit. Perruque rose, fêtarde extravertie, Arabella est une jeune femme en passe de devenir écrivaine. Après avoir connu une petite notoriété avec un essai publié en ligne – “Chroniques d’une milléniale blasée” –, la jeune femme est pressée par ses agents de remettre un premier jet pour son projet de livre. En vain, elle essaye d’écrire, fume un joint, sort et retrouve des amis, pour finalement ne rentrer que le lendemain matin, blessée au front et amnésique.

Si l’on devait n’utiliser qu’un seul terme pour décrire I May Destroy You, ce serait peut-être celui de déstabilisant. Car Michaela Coel va toujours là où on ne l’attend pas, à l’image de la réaction pondérée d’Arabella lorsqu’elle comprend qu’elle a été violée. Non contente d’explorer un personnage central particulièrement riche, la série dresse aussi le portrait des individus qui gravitent autour de lui. L’occasion de creuser la notion de consentement chez tous et dans toutes ses formes, en passant par Terry (l’excellente Werucha Opia) – meilleure amie adepte des plans à trois –, ou Kwame (Paapa Essiedu), le copain gay accro au sexe.

Du petit monde de ces jeunes trentenaires ressort un relativisme déconcertant, où les limites de l’acceptable, du désir et des pressions sociales sont malléables, aussi difficiles à saisir que de la fumée. En choisissant en plus une liberté de ton enchanteresse, I May Destroy You avance sans pathos ni jugement moral, usant de tous les registres. Drôle et époustouflante, cette chronique vient confirmer le talent de sa créatrice tout autant qu’elle réussit avec brio – et c’est rare – à décortiquer subtilement le sujet sensible du viol et du consentement. 

I May Destroy You (2020) de Michaela Coel. Disponible en streaming sur OCS.