7 juil 2020

“I get so frustrated about the way people perceive me” the cult interview with Kristin-Scott Thomas

Elle déteste cette image de “reine de glace” qui lui colle à la peau à la ville comme à l’écran. Sous ses traits délicats et graciles, la malicieuse actrice anglaise dégèle la conversation avec son humour éclairé.

Propos recueillis par Philip Utz.

Kristin-Scott Thomas par David Bailey.

Numéro: Mon petit doigt m’a dit que, plus jeune, vous étiez grosse. 

Kristin-Scott Thomas : Plaît-il ? Où voulez-vous en venir au juste ? J’étais une adolescente émaciée, et c’est en quittant le cocon familial que j’ai enflé. Lorsque j’ai emménagé à Paris et rencontré mon futur mari, j’ai enfin trouvé le bonheur ; j’ai fondu et redécouvert une physionomie normale.

 

Comment vous êtes-vous retrouvée en 1986 en tête d’affiche de Under the Cherry Moon, le navet de Prince? 

Un directeur de casting m’a appelée à propos d’un long-métrage qui se déroulerait aux Studios de la Victorine à Nice. A l’audition, Prince et ses sbires m’ont déshabillée du regard, puis j’ai eu le rôle principal. Ma mère est venue à l’avant-première. À la fin, elle a gémi : “Tu feras mieux la prochaine fois, ma chérie.”

 

Pourquoi votre personnage dans Mission impossible se fait-il zigouiller au bout de cinq minutes à peine de présence à l’écran ? 

Rien ne vaut une brève apparition dans un film à gros budget. Vous profitez de l’excitation du tournage sans avoir à endosser le poids des responsabilités. Lorsque vous êtes maligne – et je pense l’avoir toujours été – vous pouvez construire un personnage assez complexe en juste quatre ou cinq scènes. Fiona, dans Quatre mariages et un enterrement, est un bon exemple. Certaines de ces finesses étaient toutefois perdues sur le set de Mission impossible, où l’intrigue tenait davantage à la force des explosions qu’à la subtilité du jeu.

 

Travailler avec Tom Cruise, c’était mission impossible ? 

C’était génial.

 

N’a-t-il jamais essayé… .

.. de tous nous convertir à la scientologie ? Pas du tout. Tourner avec lui fut un réel plaisir. Je regrette juste de ne pas avoir pu ressusciter sous la forme d’un vampire dans les épisodes suivants.

 

Kristin Scott Thomas est-elle riche ? 

Peut-être… Mais elle ne sait vraiment pas ce qu’elle fait de tout son argent.

 

Courez-vous chez le psy trois fois par semaine ?

Cela fait belle lurette que je ne me suis pas allongée sur le divan. Il arrive un moment où vous vous dites : “Si ça ne va toujours pas, ça n’ira jamais.” Vous avez pu remarquer qu’en France, on ne s’étale pas sur notre vie privée.

 

Faites-moi signe si jamais on courait au procès. 

Je ne suis pas procédurière, mais il est néanmoins agréable de vivre dans un pays où vous pouvez garder secret ce qui ne regarde que vous.

 

Pourquoi la presse britannique s’entête-t-elle à brosser un portrait si peu flatteur de votre personne ?

Elle jalousait l’idée qu’elle se faisait de ma vie de rêve : le mari à la profession glamour, les trois enfants magnifiques qu’il ne fallait plus déposer tous les matins à l’école
du coin pour cause d’exil à l’étranger. La perception qu’ont les gens de moi à travers les médias m’est insupportable. Dès que je lis un de ces articles, je me dis : “Oh ! mon Dieu !” Mais à quoi bon ! Puis je laisse tomber.

 

Quelles mauvaises idées les gens se font-ils de vous ? 

Pendant des lustres, la presse scandait systématiquement : “Reine de glace.” C’était infernal. Si de prime abord je ne renvoie pas l’image d’une pépé hé-mon-pote-viens-boire-un-coup-au-bar, c’est aussi parce que je suis timide. Pour preuve : l’autre soir, au théâtre, une dame – que j’avais déjà rencontrée plusieurs fois – a salué la personne très importante qui se trouvait à côté de moi. Elle m’a ignorée, mais au lieu d’attirer son attention en disant : “Bonsoir, madame Machin-Bidule-Chose ! Vous souvenez-vous de moi ?” J’ai préféré me faire toute petite. Depuis, cette charmante dame clame à tue-tête que je suis la pire des snobs.

Le fait de vivre à Paris a-t-il freiné votre carrière ?

Au début, je laissais mon mari et mes deux enfants en France pour passer huit mois par an aux Etats-Unis. Comme je croyais devenir folle, j’ai décidé de prendre le large pour avoir un autre enfant. Le métier de comédienne vous rend schizophrène, vous changez de pays et de personnage comme d’autres changent de chemise, et l’on attend de vous que vous soyez star du cinéma un jour, puis une parfaite femme au foyer le lendemain.

 

En 1993, vous proclamiez avoir trente-trois ans. En 1997, vous en aviez trente-quatre. Quel est votre secret ?

 Je suis née en 1960, et je n’ai jamais menti sur mon âge, bien qu’on m’ait souvent conseillé de le faire. Pendant longtemps, on m’a collé des partenaires qui avaient l’âge de mon père. Au cinéma, j’étais en tête de liste des femmes sans âge qui ne choquent pas au bras d’un sexagénaire. Pourtant, je n’avais que trente-six ans, ce qui était absolument grotesque.

 

Seriez-vous tentée par la chirurgie esthétique ?

Je déteste l’idée du front figé par le Botox, ma faculté à lever un sourcil étant l’un de mes principaux arguments de vente. Certains chirurgiens peuvent faire des miracles, mais souvent, une femme de soixante-dix ans qui est passée sur le billard ressemble ni plus ni moins à une femme de soixante-dix ans qui est passée sur le billard. L’an dernier, un magazine français a passé en couverture un portrait de moi non retouché. On a tellement l’habitude de voir les comédiennes lessivées à coups de Photoshop, que cela m’a fait un choc. J’étais furieuse. Tout le monde me disait : “Quel courage ! Bravo !” Sauf que le courage n’avait rien à faire là-dedans : je m’étais juste fait entuber.

 

Profitez-vous de la cérémonie des Oscars pour enrichir votre carnet d’adresses ?

Les Américains ont l’art et la manière de vous parler comme si vous aviez élevé les cochons avec eux. J’en suis incapable. Un jour, j’essayais des chaussures lorsque Dustin Hoffman déboule dans la boutique. Il se penche vers moi : “Hey, ça va ?” Je croyais qu’il faisait erreur et je me suis donc contentée de lui sourire de façon énigmatique. Il avait l’air dépité et a aussitôt tourné les talons. Lorsque j’ai appelé mon agent pour lui raconter l’histoire, il m’a annoncé : “Bien sûr que tu le connais ! Tu as dîné avec lui l’autre soir !” Résultat : la reine de glace a encore sévi.

 

[Archives septembre 2006]