Hommage à Anna Karina en 3 rôles insolites
Alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir, en janvier, la rétrospective consacrée par la Cinémathèque française à son ancien compagnon, le cinéaste de la Nouvelle Vague Jean-Luc Godard, la comédienne Anna Karina est décédée samedi à l’âge de 79 ans. Retour sur la carrière de cette actrice, auteure, cinéaste et chanteuse hors du commun qui a marqué l'histoire du cinéma hexagonal, à travers trois de ses rôles les plus insolites.
Par Chloé Sarraméa.
Perchée pieds nus sur un rocher brûlant, elle reproche avec lassitude à un Jean-Paul Belmondo plus bronzé que jamais : “Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire !”. Presque dix ans après le déhanché devenu culte d’une certaine B.B (dans Et Dieu… créa la femme) près du petit port de Saint-Tropez, une autre icône de la sensualité à la française est née : elle s’appelle Anna Karina. Dans Pierrot le fou – le film de son compagnon de l’époque, Jean-Luc Godard – cette petite brune au regard hagard s’ennuie dans une robe à rayures rouges et blanches sur la plage Notre-Dame, à Porquerolles. Nous sommes en 1965, Godard et le soleil méditerranéen inventent le mythe Anna Karina.
D’une nonne dans La Religieuse (1967) – le film d’une autre icône de la Nouvelle Vague, Jacques Rivette – à une femme prête à tromper son mari (Jean-Claude Brialy) avec son meilleur ami (Jean-Paul Belmondo) pour tomber enceinte dans le très coloré Une femme est une femme (de Jean-Luc Godard), en passant par une prostituée fauchée et déprimée dans Vivre sa vie (1963), Anna Karina a marqué le cinéma français des années 60.
Avec son léger accent danois et son éternel cheveu sur la langue, l’actrice qui se destinait à une carrière de mannequin au Danemark mais que Jean-Luc Godard a finalement repérée dans une publicité, a profondément bouleversé le rapport du réalisateur français au cinéma, et à l’amour. Étendue sur sept films et plusieurs années, leur idylle a donné l’occasion à Anna Karina de décrocher le Prix de la meilleure interprétation au festival de Berlin (en 1962) pour Une femme est une femme. Réalisatrice (de Vivre ensemble en 1973), interprète de l’Allemand Rainer Werner Fassbinder (dans Roulette chinoise en 1976) et de l’Italien Luchino Visconti (dans L’Étranger en 1966) : en cinquante ans de carrière, l’actrice aux yeux de chat s’est souvent révélée au cinéma là où on ne l’attendait pas.
1. Une mime dans un film dans Cléo de 5 à 7 (1962)
Dans Cléo de 5 à 7 – film culte d'une autre icône de la Nouvelle Vague, Agnès Varda – une jeune femme (Corinna Marchand) se croit condamnée, atteinte d'une cancer. Pendant toute une journée, elle attend ses résultats d'analyse et flâne dans les rues de Paris avec la mélancolie comme seule compagne. Alors qu'elle rend visite à une amie dont le mari est projectionniste, Cléo plonge son regard à travers la pellicule et découvre un court-métrage en noir et blanc : Les fiancés du pont Mac Donald.
Réalisé par Agnès Varda, ce petit film est un hommage que la cinéaste aux cheveux bicolores consacre à la Nouvelle Vague. Elle met en scène son instigateur (Jean-Luc-Godard) et sa femme de l'époque (Anna Karina) dans un sketch burlesque où deux mimes sont amoureux. Le petit film fait rire Cléo et montre ainsi comment le cinéma peut être un remède aux idées noires.
2. L'obsession de Gainsbourg dans la comédie musicale Anna (1967)
En 1967, l'actrice à la frange impeccable rayonne, entre larmes et sourires, dans la première comédie musicale de sa carrière, Anna. Réalisé pour la télévision par Pierre Koralnik, le film met en scène deux monuments de la culture française : d'un côté le comédien Jean-Claude Brialy – désormais habitué à jouer l'amoureux d'Anna Karina – et de l'autre, le compositeur Serge Gainsbourg.
Alors qu'il n'avait pas encore rencontré sa future muse Brigitte Bardot, "l'homme à la tête de chou" écrit et interprète certaines des chansons d'Anna, aux côtés d'une Anna Karina qui révèle au monde ses talents de chanteuse. Un de ces titres deviendra culte : Sous le soleil exactement.
3. L'idôle du chanteur Philippe Katerine dans Nom de code : Sacha (2001)
Si l'on connaît Philippe Katerine pour ses rôles dans le cinéma populaire (Le Grand Bain de Gilles Lellouche, sorti en 2018) et pour ses albums aux featurings improbables avec les rappeurs Alkpote et Lomepal, on ignore tout du duo qu'il a formé avec Anna Karina au tournant du XXIè siècle.
En 2001, le cinéaste français Thierry Jousse fait appel au chanteur barré ainsi qu'à la star de la Nouvelle Vague – qui ne tourne alors presque plus – pour faire une apparition dans son court-métrage Nom de code : Sacha. Au sein de cette fiction, Philippe Katerine interprète son propre rôle et croise une Anna Karina plus rayonnante que jamais, dans un sublime clin d'oeil à Pierrot le fou. Plus tard, les deux artistes se rencontrent à nouveau : d'abord sur un plateau, pour un duo fulgurant dans le film La vérité selon Charlie – où ils figurent tous deux dans leurs propres rôles – puis lorsqu'Anna Karina demande à l'interprète de La Banane de composer tous les titres de son album, Une histoire d'amour (2000). Leur dernière collaboration a lieu en 2007, et c'est sans doute la plus belle : l'actrice, revêtant cette fois le costume de réalisatrice, demande à Phlippe Katerine d'écrire la bande originale de son (désormais ultime) film, Victoria.