Federico Fellini en 5 obsessions
De ses débuts néo-réalistes à l’invention d’un cinéma introspectif porteur de ses fantasmes les plus extravagants, Federico Fellini s’est imposé comme l’un des réalisateurs les plus influents du XXe siècle – couronné par une Palme d’or à Cannes pour “La Dolce Vita” (1960). À l’occasion du Festival du Cinéma Méditéranéen de Montpellier qui lui consacre une grande rétrospective du 16 au 24 octobre, focus sur cinq obsessions qui traversent l’œuvre incroyablement riche du “maître-conteur” italien.
Par Lucas Aubry.
1. Rome comme décor et comme sujet
Parce qu’il n’aimait pas voyager, Federico Fellini a tourné la plupart de ses films à Rome, utilisant les monuments de la capitale comme décor – pour tourner la scène la plus célèbre du cinéma italien : la baignade d’Anita Ekberg et Marcello Mastroianni dans la fontaine de Trévi pour La Dolce Vita (1960) – ou recréant l’atmosphère mondaine de la Via Veneto dans les studios de la Cinecittà pour Les Nuits de Cabiria (1957). Fellini a aussi filmé de nombreuses arrivées à Rome par la gare de Termini, qui résonnent avec sa propre arrivée dans la capitale en 1939, quittant sa province natale de Rimini à l’âge de 19 ans.
Mais pour Fellini, Rome est aussi un sujet, qu’il aborde d’abord sous un angle historique, dès ses débuts en tant que scénariste sur le récit des dernières heures de l’Occupation allemande Rome, ville ouverte (1945) de Roberto Rossellini, ou dans sa fresque antique hypersexualisée Satyricon (1969). Puis sous angle plus autobiographique avec Fellini Roma (1972), véritable déclaration d’amour à la ville éternelle, ses monuments, ses maisons closes, ses défilés de mode, ses embouteillages et bien sûr… ses tournages de cinéma.
2. Les rêves comme construction du mythe Fellini
Après l’immense succès de “La Dolce Vita” (1960), Federico Fellini ne parvient pas à trouver l’inspiration pour son prochain film, en proie à de fortes crises d’angoisses. Il consulte alors le psychanalyste jungien Ernst Bernhard, qui l’invite à explorer son inconscient et lui conseille d’écrire ou de dessiner ses rêves. Un exercice auquel Fellini s’adonnera chaque matin jusqu’à sa disparition en 1993. Ses carnets – fenêtre sur l’imaginaire débridé du réalisateur – ont été édités dans Le livre de mes rêves (Flammarion, 2007).
Sorti en 1963, « Huit et demi » marque une rupture définitive avec les débuts du réalisateur au sein du courant néoréaliste italien qui produit des œuvres profondément ancrées dans la réalité. Dans ce nouveau chef-d’œuvre – plongée dans les souvenirs et les fantasmes hallucinés d’un cinéaste en mal d’inspiration – le cinéma de Fellini se fait l’interprète d’un monde étrange qui deviendra la marque de fabrique du réalisateur. Dès lors, Fellini n’aura de cesse de se servir de ses propres angoisses et ses propres souvenirs pour construire ses films, quitte à travestir la réalité pour édifier son propre mythe. “Je suis ce que j’invente” répondait le cinéaste aux journalistes soucieux de saisir avec exactitude la dimension autobiographique de ses œuvres.
3. L’univers étrange du cirque
Premier succès international de Federico Fellini et Oscar du meilleur film en langue étrangère, La Strada (1954) préfigure la fascination du cinéaste pour les clowns et autres personnages extravagants qui peuplent le monde du cirque. Une fascination mêlée de terreur que Federico Fellini confesse en voix-off de son film Les Clowns sorti en 1970. “Les clowns ne m’avaient pas amusé, ils m’avaient fait peur, au contraire. Ces visages de plâtre et cette expression énigmatique, ces masques de soûlards, les cris, les rires endiablés, les blagues bêtes et cruelles me rappelaient d’autres personnages étranges et inquiétants que l’on rencontre dans toutes les villes de province”. Un monde burlesque que l’on retrouve dans de nombreux films du maître-conteur italien, qui utilise le cirque pour traduire en images l’inconscient de ses personnages, à l’instar du cabaret mental de La Cité des femmes (1980).
4. La femme, objet de désir et… de terreur
Marié à l’actrice Giulietta Masina, muse de ses premiers films, Federico Fellini n’a jamais caché son penchant pour l’infidélité et son attirance pour les femmes fortes, objets de ses premiers émois adolescents. Séductrices dans La Dolce Vita (1960), séduites dans Le Casanova de Fellini (1976), gigantesques dans Huit et demi (1963) et Amarcord (1973), de nombreuses visions de la femme peuplent le cinéma de Fellini. Un inventaire féminin que l’on retrouve au complet dans la grande parade de La Cité des femmes (1980), avec Marcello Mastroianni en double de Fellini, mis à mal par une assemblée de militantes féministes, de nymphomanes énigmatiques et de figures féminines terrifiantes comme la marchande de poissons et l’infirmière qui ont marqué son enfance.
5. Marcello Mastroianni, l’alter ego
Lorsque le célèbre producteur italien Dino De Laurentiis propose à Federico Fellini l’acteur américain Paul Newman pour incarner le personnage principal de La Dolce Vita (1960), ce dernier refuse. Il cherche une personnalité plus ordinaire, capable d’incarner un homme simple et moderne auquel le spectateur peut s’identifier – qu’il trouve en la personne de Marcello Mastroianni. Ironie du sort, c’est d’abord le cinéaste qui va trouver en l’acteur un double parfait. Cinéaste en manque d’inspiration dans Huit et demi (1963), séducteur en proie à tous les fantasmes dans La Cité des femmes (1980), Marcello Mastroianni tournera 7 films pour le cinéaste italien et ils noueront ensemble une amitié indéfectible. “Nous n’avons pas besoin de parler, lui et moi, nous nous comprenons à demi-mot. Quelquefois, nous sommes tellement en symbiose que je suis incapable de faire la différence entre ce que nous avons dit et ce que nous avons pensé” raconte Fellini dans une biographie parue quelques mois après sa disparition.
“Tutto Fellini!”, rétrospective intégrale de l’œuvre de Federico Fellini au Festival du Cinéma Méditéranéen de Montpellier, du 16 au 24 octobre 2020.