Enquête : pourquoi le témoignage de Judith Godrèche marque un tournant dans le mouvement #MeToo
Avec courage, intelligence et émotion, l’actrice française Judith Godrèche a pris plusieurs fois la parole dans les médias pour dénoncer les abus qu’elle aurait subis de la part des réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Des témoignages salutaires qui éclairent l’opinion publique sur le consentement et sur les mécanismes complexes de l’emprise. Et un pas important dans le mouvement #MeToo hexagonal, comme le montre notre enquête auprès de journalistes, actrices, autrices et réalisatrices françaises.
par Violaine Schütz.
Fin 2023, l’actrice française alors âgée de 51 ans Judith Godrèche (La Désenchantée, Bimboland, La fille de 15 ans) se met en scène dans une excellente série, Icon of French Cinema, pleine de fantaisie, sur une comédienne has been qui revient en France après avoir séjourné à Los Angeles et ne trouve pas de rôle. Si cette fiction diffusée sur Arte fait souvent sourire, on devine qu’il se trame, dans certaines séquences, quelque chose de bien plus grave. Pourtant, nous sommes alors loin du compte.
Dans la série, on voit le personnage d’actrice incarné par Judith Godrèche se souvenir de sa propre histoire. Adolescente, elle fut la proie d’un réalisateur beaucoup plus âgé. Beaucoup imaginent alors qu’il s’agit d’une allusion à sa relation, à l’âge de 14 ans, avec le cinéaste Benoît Jacquot, qui a 25 ans de plus qu’elle. Alors qu’elle donne des interviews pour la promotion de la production Arte, Judith Godrèche dévoile au fur et à mesure ses traumatismes. Comme si les cicatrices se rouvraient peu à peu… On a l’impression qu’elle se remémore et prend conscience de l’ampleur de l’enfer vécu sous nos yeux.
Dans les colonnes du magazine Elle, elle parle d’une relation abusive, comparant ce qu’elle a vécu adolescente avec un cinéaste bien installé à ce qu’a subi Vanessa Springora et qui a été raconté dans son roman Le Consentement. Elle épingle aussi le manque de soutien de la part du monde du cinéma.
La longue prise de conscience de Judith Godrèche
Judith Godrèche s’est aussi confiée dans l’émission Quelle Époque de Léa Salamé. Elle expliquait alors le long cheminement de sa prise de conscience : « C’est à travers la promotion de cette série (Icon of French Cinema, ndlr), à travers les femmes que je rencontre, à travers la génération même de ma fille et celle d’Alma Struve – qui joue mon rôle enfant dans la série – qu’à travers elles, ce qu’elles perçoivent et ce qu’elles comprennent, et aussi leur perception du consentement que dans le fond quand je me regarde, qu’il y a une forme de prise de conscience qui m’émeut. »
Par l’accent mis sur le temps qu’il lui a fallu pour comprendre la gravité de ce qui lui était arrivée (puis pour être écoutée), elle peut aider de nombreuses jeunes femmes et hommes à prendre conscience à leur tour de traumas du passé. Judith Godrèche a d’ailleurs créé un mail, [email protected], pour inviter les victimes à lui faire part des abus qu’elles auraient subis.
Des plaintes déposées contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon
L’actrice Judith Godrèche – qui avait dénoncé les agissements d’Harvey Weinstein – a finalement porté plainte contre Benoît Jacquot pour violences sexuelles sur mineure ainsi que contre le réalisateur Jacques Doillon pour viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité. Lors d’une séquence poignante, elle a déclaré au micro de France Inter le 8 février 2024 à propos d’un tournage de film (La fille de quinze ans sorti en 1989) réalisé par Jacques Doillon alors qu’elle n’avait que 15 ans : « D’un coup, (Jacques Doillon) décide qu’il y a une scène d’amour, une scène de sexe entre lui et moi. Et là, on fait 45 prises. Et j’enlève mon pull, et je suis torse nue, et il me pelote, et il me roule des pelles. » Benoît Jacquot et Jacques Doillon réfutent ces accusations. « Je ne travaillerai plus jamais« , craint quant à elle Judith Godrèche dans l’émission C ce soir, diffusée sur France 5 ce lundi 12 février 2024.
Moi aussi, le court-métrage de Judith Godrèche présenté au Festival de Cannes 2024
Le 15 mai 2024, Judith Godrèche présentera un court-métrage sur les violences sexuelles intitulé Moi aussi au Festival de Cannes, en ouverture de la section Un certain regard. La réalisatrice et productrice y mêle sa voix à celle de nombreuses personnes, femmes et hommes; Sur Instagram, elle écrit à propos de ce film de 17 minutes : “C’est notre histoire. C’est votre histoire. Ce film vous appartient. Vos visages. Vos regards. Votre beauté. Merci pour la confiance. Je mesure sa valeur. Elle est immense. J’aimerais que ce film se pose sur votre table de chevet. Comme un livre ou un mot qui nous sourit – nous soutient, et nous rappelle que nous ne sommes pas seules et seuls, quand tout trébuche.” Le court-métrage, qui devrait bouleverser Cannes, met également en scène la fille de l’actrice, Tess Barthélemy.
« Je viens de comprendre. Ce truc, le consentement, je ne l’ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais. » Judith Godrèche
Emplies de force, courage, d’intelligence et d’émotion, les multiples prises de paroles de l’actrice, sur France Inter, à l’Assemblée Nationale ou encore dans Le Monde (qui publie une lettre adressée à sa fille) permettent d’éclairer l’opinion publique sur les mécanismes complexes de l’emprise et sur l’importance du consentement. « Je viens de comprendre. Ce truc, le consentement, je ne l’ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais. » écrit-elle dans Le Monde.
Faustine Kopiejwski, co-rédactrice en chef du média féministe Cheek explique à ce propos : « Le discours de Judith Godrèche est important car il met en lumière la notion d’emprise, qui reste l’angle mort de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. C’est primordial car, dans l’enquête que nous avons réalisée sur le sujet sur Cheek, il apparaît que les violences psychologiques qui mènent au phénomène d’emprise sont présentes dans 80% des affaires de violences intrafamiliales. Elles sont le socle de ces violences et la réponse à beaucoup de questions que l’on pose d’ordinaire sur les victimes, comme “Pourquoi elle s’est laissée faire ?” ;“Pourquoi elle n’est pas partie ?” ou encore “Pourquoi elle n’a pas parlé plus tôt ?”. Vanessa Springora avait déjà inscrit la notion de consentement dans le débat avec son livre paru en 2020. Les prises de parole de Judith Godrèche viennent appuyer le fait que l’histoire de Springora n’est pas un cas isolé, mais bien le résultat d’un système entier basé sur la domination, la complicité et l’impunité. »
Le témoignage de Judith Godrèche éclaire l’opinion publique sur le consentement et l’emprise
La réalisatrice, scénariste et actrice Anissa Bonnefont (La Maison, Wonder Boy, Olivier Rousteing, né sous X) insiste également sur l’importance de la mise en lumière des notions de consentement et d’emprise. « Les prises de paroles courageuses, puissantes et si sensibles de Judith Godrèche sont précieuses pour rappeler aux jeunes que leur corps et leur désir leur appartiennent. Un témoignage comme le sien permet aux jeunes femmes et aux femmes victimes qui portent le poids du secret depuis des années, terrées dans la honte, dans la solitude, dans le silence, de voir et de réaliser qu’elles ne sont pas seules à vivre ces cauchemars et que ça n’est pas de leur faute. Le consentement est évidemment la base d’une relation. Ce qui est dangereux c’est lorsque l’autre vous met dans la position de dépendance. C’est là que la notion d’emprise naît et que le consentement ne devient alors plus qu’un leurre. »
Anissa Bonnefont revient également sur la nécessité de ne pas juger les victimes d’emprise, qui sont souvent soumises au silence : « Ce qui est machiavélique dans ce processus d’emprise, c’est qu’il naît et grandit dans l’ombre de l’intimité, là où les regards ne peuvent pas franchir les murs. Tout se passe entre quatre yeux. C’est pour cela que la voix des victimes est encore trop peu entendue et crue. Les preuves que la justice demande sont difficiles à fournir. Et la parole des femmes est discréditée. » Complexe et sournoise, l’emprise est faite de violence et d’isolement. « D’où ces silences pesants qui rongent des vies entières et des hommes qui continuent à vivre en toute impunité. Ce qui est très important à comprendre, c’est qu’il ne faut surtout pas juger les mécaniques de l’emprise, sinon il est impossible de croire une victime. L’emprise est ce poison qui fige et empêche de partir, de parler, ce venin qui fait que l’on a honte, que l’on se sent coupable, qu’on a peur et qu’on s’enferme de plus en plus dans la relation toxique car on finit par ne plus être soi, c’est l’autre qui devient le maître absolu.«
Des muses qui ne sont plus silencieuses
C’est aussi une immersion dans les coulisses, sombres, du milieu du cinéma, que nous dévoile Judith Godrèche. Derrière les photos glamour et les fantasmes, se jouent des scènes bien moins reluisantes. Pour Marine Bohin, comédienne et journaliste cinéma pour So Film, « les personnes étrangères au cinéma, c’est-à-dire la majorité de la population, n’ont pas conscience des dynamiques très particulières qui sont à l’œuvre sur les tournages, et la prise de parole de Judith Godrèche participe à éduquer sur ce sujet-là. Le concept très obsolète de « muse » montre bien que pendant longtemps les réalisateurs voulaient surtout filmer des corps désirables sur lesquels projeter des fantasmes, sous couvert d’art. »
Marine Bohin s’appuie sur ses expériences en tant qu’actrice pour nourrir son propos sur les muses souvent silencieuses. « Je suis également comédienne, précise-t-elle, et j’ai pu constater que le fait d’être journaliste en même temps me causait préjudice. Un producteur m’a même déjà répondu après lui avoir expliqué que j’avais deux métiers : « Je n’aime pas les acteurs cérébraux, ils doivent être instinctifs« … Le cinéma est dominé et régi par des hommes ne veulent pas d’actrices qui pensent mais des actrices malléables. Lorsque l’on est sur un plateau, on a la pression du temps, car chaque heure qui passe coûte cher. La pression sur les acteurs est forte, mais elle l’est encore plus lorsque l’on est une jeune actrice et que l’on a pas d’autres choix que de faire confiance à un homme plus âgé, en l’occurrence le réalisateur, et c’est bien là que peuvent advenir les abus. » L’actrice et journaliste nous fait d’ailleurs remarquer « que l’on dit d’un cinéaste qu’il « DIRIGE » ses acteurs. Ce mot en dit long sur l’ascendant qu’il peut avoir. »
Charley Fouquet, actrice (vue notamment dans la série Emily in Paris) et agent voix de comédiens évoque un milieu qui doit se remettre en question sur son essence même : « Pendant des années, un scénariste beaucoup plus âgé que moi, qui avait beaucoup de pouvoir à la télévision grâce à des projets qui avaient marché, m’invitait à déjeuner. Il essayait tout le temps de me mettre sur des projets. Quand on se voyait, je m’apprêtais d’une façon qui était très séduisante (en petite robe), comme si j’avais intégré que la séduction faisait partie du jeu. Que c’était nécessaire de plaire pour pouvoir bosser. Et je me détestais de faire ça. Car je ne suis pas du tout quelqu’un qui minaude. Je me suis aperçue ensuite, en en discutant avec des amies comédiennes, qu’il y avait là une forme d’emprise. Au bout de quelques années, ce scénariste m’a déclaré sa flamme et je lui ai dit que ce n’était pas réciproque. Après ça, j’ai beaucoup moins bossé… Dans ce métier, tout tourne autour du désir d’hommes puissants (scénaristes, réalisateurs, producteurs). Il faut être un objet de désir pour avoir du travail. Et à partir d’un certain âge, on n’a plus envie de jouer à ce jeu-là (on peut se demander d’ailleurs si on a vraiment eu envie de le jouer un jour…) et quand on refuse ce jeu de la séduction, on est moins désirable aux yeux des hommes. Alors au moins, on a un peu la paix, mais le problème c’est qu’on a moins de travail aussi… C’est insupportable que cette société nous ait fait dépendre du désir des hommes à ce point. »
Pourquoi les prises de parole de Judith Godrèche émeuvent autant ?
Pour Fiona Schmidt, journaliste, militante féministe et auteure de l’excellent essai Vieille peau (éditions Belfond, 2023), le fait que Judith Godrèche soit si jeune à l’époque des faits d’agressions évoqués (14 et 15 ans), contribuerait à rendre son témoignage encore plus marquant pour l’opinion public. « En France, les affaires post-#MeToo qui ont eu un très gros retentissement et ont provoqué une vive émotion sont celles qui concernent la pédocriminalité. Ça a été le cas pour Adèle Haenel, Vanessa Springora, Camille Kouchner et aujourd’hui, Judith Godrèche. Même si certains défendent encore les agressions, l’opinion s’est plus rangée du côté des victimes que des agresseurs car on avait affaire à des enfants ou des très jeunes filles. Quand on regarde l’affaire Depardieu, il y a eu rebondissement et un retournement de l’opinion publique quand l’émission Complément d’enquête est sortie et qu’on a entendu l’acteur sexualiser une petite fille qui se tenait sur un cheval). »
« Depuis 5 ou 6 ans, certains redécouvrent que des hommes très adultes sexualisent des très jeunes filles. » Fiona Schmidt
Selon Fiona Schmidt, il ne faut pas se laisser prendre au piège du vieux monde évoqué par les défenseurs des hommes puissants qui agressent des jeunes femmes. « Depuis 5 ou 6 ans, certains redécouvrent que des hommes très adultes sexualisent des très jeunes filles. On aurait tort de circonscrire le phénomène aux années 60, 70 ou 80. Ça remonte déjà à plus loin avec la peinture et la littérature, et surtout, ça ne s’est pas arrêté. Les jeunes filles sont toujours sexualisées dès leur plus jeune âge. Tandis que les hommes, même très vieux, s’imaginent encore en éternels adolescents. Et cela ne concerne pas le milieu des arts. Cette manière de sexualiser les jeunes filles est très loin d’être révolue. Ce n’est pas du tout un vieux monde. Aujourd’hui, la majorité des victimes d’agressions sexuelles ont entre 15 et 19 ans. » Et 10 ans est l’âge moyen des premières violences sexuelles selon un rapport IPSOS de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie datant de 2019.
Un discours dominant consiste à dire : « C’était une autre époque » en parlant des accusations envers Benoît Jacquot ou Jacques Doillon. « Or, note la journaliste, dès la puberté, une fille est sexualisée. On décide pour elle qu’elle devient des femmes. Alors qu’un garçon du même âge peut continuer sa vie tranquillement. On entend aussi souvent la phrase : « Elle est mûre pour son âge » ou « Je pensais qu’elle était plus âgée. » C’est l’excuse commune et très répandue, en plus de « C’est de l’art » ou de « C’est de l’amour », des agresseurs. Il s’agit la plupart du temps d’un mythe sexiste créé pour légitimer la sexualisation précoce des jeunes filles et normaliser les abus sexuels. Cela les rend responsables des délits des hommes. » Sur une note plus personnelle, la militante explique avoir été elle-même sexualisée dès ses 10 ans, car « elle en faisait 15 », selon des hommes plus âgés, même si elle précise ne pas avoir été victime de violences sexuelles.
« Le fait que Judith Godrèche ait transcendé son histoire dans une série drôle et très réussie est aussi un signal fort adressé aux autres victimes potentielles : oui, on peut avoir été victime et n’être pas que ça. » Faustine Kopiejwski
Mais l’âge n’est pas la seule raison qui explique pourquoi l’opinion publique semble plus réceptive au discours de Judith Godrèche qu’à celui de celles qui l’ont précédée : « Judith Godrèche, analyse Faustine Kopiejwski, par son parcours, son apparence, incarne quelque chose de plus “grand public” et intergénérationnel qu’une Adèle Haenel par exemple, qui est une vraie boussole pour la génération post-#MeToo et les militantes féministes, mais qui n’a jamais été entendue comme il se devrait par l’ensemble de la profession et la société, en raison de sa prétendue “radicalité”. »
« Enfin, poursuit la journaliste de Cheek, le fait que Judith Godrèche ait transcendé son histoire dans une série drôle, singulière et très réussie, qu’elle a réalisée et dans laquelle elle joue, est aussi un signal fort adressé aux autres victimes potentielles : oui, on peut avoir été victime et n’être pas que ça, être bien plus que ça, être aussi une artiste accomplie, dont les projets aboutissent et sont salués par la critique. Oui, nos histoires sont valables et méritent d’être racontées, ce qu’elles disent de notre société est primordial, n’ayons plus peur. »
Un tournant dans le mouvement #MeToo français ?
Depuis les débuts du mouvement #MeToo (médiatisé en 2017), la parole des femmes s’est de plus en plus libérée, d’abord aux États-Unis, puis en France. Un travail important a aussi été effectué par des militantes, des autrices, des associations (comme 50-50) et des médias pour faire bouger les lignes en matière de parité et de reconnaissance des violences faites aux femmes. Sans compter les victimes, anonymes ou célèbres qui ont parlé.
Des voix courageuses se sont élevées, en France, comme celles d’Anna Mouglalis, Sophie Marceau, Isild Le Besco, Sarah Grappin, Anouk Grinberg, Charlotte Arnould, Judith Chemla ou encore Adèle Haenel. Toutes ont osé dénoncer des comportements de la part d’hommes puissants qui pourraient être condamnés. Elles forcent ainsi le cinéma français à se regarder en face.
Avec la parole de Judith Godrèche et celle de ses consœurs, l’opinion publique semble enfin se sentir (enfin) concernée par un véritable problème de société. Ce qui pourrait marquer un tournant dans le mouvement #MeToo en France. Faustine Kopiejwski pense que c’est « parce qu’au pays du cinéma d’auteur, elle s’attaque frontalement à des types qui, sous couvert de création, auraient mis en place un système pervers et criminel. Cela les fait tomber de leur piédestal intellectuel et artistique et dans notre pays, où les agresseurs sont encore protégés au nom de leur prétendu génie – la preuve avec la tribune en soutien à Gérard Depardieu -, c’est un tournant décisif. On ne pourra plus détruire des vies au nom de l’art.«
« Au XXIe siècle, il n’y a pas que la parole qui se libère, il y a également l’écoute qui s’amplifie. » Marine Bohin
La prise de conscience dépasse le monde du cinéma et des arts car la sororité prend désormais plus de place, les penseuses féministes ayant (in)formé de nombreuses personnes à de nombreuses notions importances concernant le genre. « Les femmes ont compris, explique Faustine Kopiejwski, qu’elles partageaient une même histoire liée aux violences patriarcales et qu’elles pouvaient s’identifier entre elles, se reconnaître. Que leurs récits, même s’ils sont évidemment vécus et reçus différemment en fonction de beaucoup de paramètres, dont leur notoriété, leur orientation sexuelle, la couleur de leur peau ou leur milieu social, se font écho. »
Pour expliquer la portée inédite de la parole de Judith Godrèche, de Judith Chemla et des autres, Marine Bohin évoque aussi les outils dont dispose le monde moderne. « On parle beaucoup, à raison, du cyberharcèlement que subissent les femmes d’une façon générale et les personnalités féministes plus particulièrement, mais il ne faut pas sous-estimer le pouvoir positif des réseaux sociaux. Depuis #MeToo, les personnalités qui parlent pour dénoncer des abus voient leurs paroles relayées sur les réseaux et reçoivent en retour des témoignages d’autres victimes, ce qui donne de l’ampleur et de la crédibilité à chaque dénonciation. Au XXIe siècle, il n’y a pas que la parole qui se libère, il y a également l’écoute qui s’amplifie. » Quand Judith Godrèche raconte ce qui lui serait arrivé, elle glisse ces mots tragiques : « Personne n’a rien vu. » Aujourd’hui, personne ne pourra dire qu’il n’a rien entendu.
Icon of French Cinema (2023) de Judith Godrèche, disponible sur Arte. Le court-métrage Moi aussi (2024) de Judith Godrèche sera présenté au Festival de Cannes en mai 2024.