22 mai 2022

En direct de Cannes 2022 : Alicia Vikander fascine dans Irma Vep d’Olivier Assayas

Grand habitué du festival de Cannes, le réalisateur Olivier Assays présente cette année Irma Vep, une série aux allures d’objet filmique non identifié, qui met en scène Alicia Vikander, aux côtés des Français Jeanne Balibar, Vincent Lacoste et Vincent Macaigne.

Habitué cannois depuis plus de vingt-cinq ans (il a obtenu le Prix de la mise en scène pour Personal Shopper en 2016), Olivier Assayas trace dans le cinéma contemporain un sillon à la fois obsessionnel et surprenant, entre explorations narratives pointues (Sils Maria, 2014), traités des rapports amoureux ou de travail (Doubles Vies, 2019) et films internationaux aux confins du cinéma d’action (Cuban Network, 2019). On le retrouve sur la Croisette avec… une série, dont le principe même consiste à interroger les genres. Au moment où le cinéma d’auteur se vit comme une forteresse assiégée face aux impossibles défis lancés par les plateformes – de nouveau absentes de Cannes cette année -, le réalisateur français répond à sa manière au chaos ambiant, avec un objet filmique non identifié, qui rassemble ses centres d’intérêt dans un seul récit foisonnant et libre. 

 

Adria Arjona et Alicia Vikander dans Irma Vep d’Olivier Assayas © HBO

Irma Vep se présente comme le remake en huit épisodes du propre film éponyme d’Assayas, présenté en 1996 dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Jean-Pierre Léaud y jouait un réalisateur sur la pente descendante tournant un remake du serial Les Vampires – chef d’œuvre du cinéma muet signé Louis Feuillade en 1915 – avec une star de Hong Kong incarnée par Maggie Cheung. Cette fois, la star est américaine (Alicia Vikander) et débarque à Paris pour tourner dans un nouveau remake de Feuillade signé d’un cinéaste plus jeune (Vincent Macaigne), pur auteur à la française vaguement dépressif et constamment agité. Très vite, la fin d’une histoire d’amour et le bordel sur le plateau rendent l’affaire compliquée pour la star. Assayas brille dans sa description du cinéma comme artisanat retors, où les egos, les représentations de soi et les drames intimes se nouent. Entre l’art et la vie, tout se percute, au risque de se noyer. La fiction nait de ces chocs.

Alicia Vikander dans Irma Vep d’Olivier Assayas © HBO

Dans sa combinaison de latex – c’était la signature du personnage original des Vampires, joué par Musidora – qu’elle alterne avec un look de jeune vingtenaire habillée par Nicolas Ghesquière, Alicia Vikander déploie son talent entre simplicité et sophistication. L’héroïne de Tomb Raider donne l’impression de découvrir un autre monde à chaque scène et Assayas enregistre méticuleusement sa stupéfaction. Ancienne ballerine, il faut la voir danser et se mouvoir élégamment dans son habit noir très cinégénique pour ne plus avoir envie de lâcher des yeux Irma Vep. D’autant que la série se déploie dans plusieurs autres directions, dont celle de la pure comédie, voire du burlesque. En acteur maltraité et en costumière investie/dépassée, Vincent Lacoste et Jeanne Balibar s’en donnent à cœur joie, sans parler de Nora Hamzaoui, hilarante en première assistante du réalisateur occupée à faire du babysitting avec tous ces adultes en pleine régression.

 

Film libre de huit heures, série télé en dehors des clous habituels des intrigues à rebondissements, Irma Vep s’affirme comme un exercice de style finalement profond. En mêlant les images du tournage, celle du serial de Feuillade qui ponctuent le récit et enfin sa vision du Paris contemporain, Assayas fait communiquer les formes du passé et celles du présent, les fantômes des êtres aimés et les corps d’aujourd’hui. Dans le tourbillon cannois où chacun s’interroge sur l’avenir du cinéma, une telle croyance dans les moyens de l’art fait du bien.

Olivier Joyard

Irma Vep d’Olivier Assayas. Sélection Cannes Première. Le 8 juin sur OCS.