De quoi est fait le mythe Pink Floyd ?
Cet été, le V&A Museum de Londres rend hommage au légendaire groupe pionnier du rock progressif et psychédélique britannique avec une exposition dense et sensorielle. L’occasion de se pencher sur quatre ingrédients fascinants mais tout sauf roses du mythe entourant les auteurs de The Dark Side of the Moon.
par Violaine Schütz.
L’influence barrée de Syd Barrett
A ses débuts, le groupe formé en 1965 dans la région de Cambridge comprend le jeune Syd Barrett à la guitare, au chant et à la composition. Ce dernier reste la figure la plus fascinante de la bande. Ce dandy chevelu, androgyne et sexy au look sombre a trouvé le nom du groupe après avoir abandonné celui – très anglais – de Tea Set. Il ne s’agit pas d’une référence au flamant rose, mais à deux musiciens de blues, Pink Anderson et Floyd Councila. Les premières compositions du quatuor sont l’œuvre de Barrett, sous perfusion de blues, de rock psychédélique US et de prise de LSD. Le premier album, The Piper at the Gates of Dawn est celui sur lequel on entend vraiment les délires puissants de Barrett (écho, expérimentations et dissonances). En 1968, le musicien souffre de dépression, de pertes de mémoire et d’hallucinations après avoir consommé trop de drogues, affronté la pression du succès naissant et enchaîné les tournées. Lors de certains concerts, il joue la même note en boucle, quand il n’oublie pas de se rendre aux live. Pendant une performance, un bad trip d’acide le conduit à arracher les cordes de sa guitare avant de fuir. Le guitariste David Gilmour, finit par le remplacer mais son aura continuera de hanter le son des Floyd et de leur inspirer des morceaux et des textes. Kevin Ayers, Marc Bolan, Tangerine Dream, Julian Cope et David Bowie rendront également hommage à ce génie torturé par la suite.
La beauté hippie de Zabriskie Point
En 1970, sort le film culte Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni. Il s’intéresse à la contestation étudiante US de la fin des années 60, ainsi qu’à libération sexuelle en montrant un jeune et beau couple égaré dans la Vallée de la Mort, en Californie. Critiqué par l’Amérique puritaine, le film est un échec à sa sortie mais figure depuis comme l’un des fleurons filmiques de la contre-culture à l’image d’Easy Rider. Mais que serait cet long-métrage politique, métaphysique et érotique sans sa bande son planante ? Les chansons des Pink Floyd collent en effet parfaitement aux images envoûtantes d’Antonioni et de la mouvance hippie. Elles s’écoutent nu dans un désert après avoir consommé des drogues psychédéliques. Pourtant, le réalisateur, déçu par la musique produite par le groupe, n’en utilise que quelques morceaux.
Un an plus tard, c’est le cinéaste Stanley Kubrick qui aurait demandé à Roger Waters à utiliser l’album Atom Heart Mother (1970) pour illustrer son vibrant Orange mécanique (1971). Mais le groupe, control freak, l’envoie sur les roses. La formation aurait par la suite amèrement regretté son geste en voyant le chef d’œuvre violent, subversif et esthétique de Kubrick. A noter que l’objet filmique Pink Floyd: Live at Pompeii d’Adrian Maben (1972) se regarde également comme un vrai film de septième art.
Les idées philosophiques de The Dark Side Of the Moon
C’est avec Meddle (1971) l’un des disques préférés des fans de Pink Floyd. L’ambitieux The Dark Side of the Moon (1973) compile les diverses expérimentations du groupe les années précédentes pour en faire une de leurs œuvres les plus abouties. Mais ce n’est pas seulement les sonorités (marquées par une utilisation avant-gardiste des synthés et des allusions à la musique concrète et conceptuelle) du disque ainsi que sa pochette iconique qui en firent l’un des albums les plus connus du rock. Ses paroles concernant « tout ce qui rend les gens fous » (dixit Roger Waters) sont aussi très travaillées avec une vocation philosophique certaine.
Conflit, cupidité, temps, mort, aliénation, folie, maladie, gloire, vieillesse, solitude, angoisse sont abordés pour faire de ce disque une incursion sonore dans la psyché et la condition humaine. Roger Waters voyait The Dark Side of the Moon comme « l’expression d’une empathie politique, philosophique, humanitaire qui devait se manifester. » L’un des meilleurs morceaux du disque a conservé toute sa modernité. C’est Money qui débute avec un son de pièces et se moque du consumérisme. Il sied étrangement parfaitement à l’ère Trump. Ironiquement, l’album fait partie des albums les plus vendus de tous les temps. Il s’en vend chaque semaine à 7 000 exemplaires
L’art de faire le mur
En 1979, Pink Floyd sort son onzième disque, The Wall. Ce disque concept (qui est aussi considéré comme un opéra rock) fait allusion au « mur » se dressant entre le groupe au succès retentissant et ses fans. Il a été inspiré à Roger Waters par un incident intervenu lors d’un concert : agacé par le comportement agressif d’un fan, il lui cracha dessus. Mais le mur désigne aussi celui qui éloigne l’individu d’une société de plus en plus oppressante. Le tube rock contestataire Another Brick in the Wall devient un hymne pour la jeunesse de l’époque (et les générations futures) avec ses paroles très politisées concernant le contrôle exercé par l’éducation.
L’histoire de l’album raconte la vie de l’anti-héros Pink, qui après une enfance difficile est pris en mains par des professeurs voulant le modeler à l’image du reste de la société et qui se retire dans un univers à part en bâtissant un mur imaginaire pour le protéger des affres du monde. Il deviendra rock star et sombrera dans la folie et la dépression. Comme Barrett ? Le film The Wall, inspiré de cet album et réalisé par Alan Parker, sortira en 1982 et ajoutera encore un peu de poids au mythe de ce mur du son, monument de rébellion.
The Pink Floyd Exhibition : Their Mortal Remains jusqu’au 1er octobre au Victoria & Albert Museum de Londres.