9 sept 2021

Comment Aretha Franklin est-elle devenue un symbole féministe ?

Alors que Respect, le biopic musical retraçant la vie d’Aretha Franklin, est sorti en salle le 8 septembre, Numéro revient sur ce qui a fait de la chanteuse soul iconique un symbole féministe.

Par Anna Venet.

Portrait d’Aretha Franklin, 1967

Avec plus de soixante quinze millions de vinyles vendus, Aretha Franklin est la détentrice du record de ventes mondiales sur ce support. Si elle est majoritairement connue du grand public pour ses refrains entêtants et sa voix incroyable, celle que l’on surnomme aujourd’hui la reine de la soul est bien plus que ça. Tout au long de sa vie, la chanteuse originaire de Détroit (Etats-Unis) s’est également engagée pour de nombreuses causes, à l’instar du mouvement pour les droits civiques des Afro-américains (aux côtés de Martin Luther King) mais aussi de la lutte pour l’émancipation des femmes et l’engagement contre la domination masculine. C’est d’ailleurs le fil rouge du biopic musical retraçant la vie d’Aretha Franklin, réalisé par la Sud-africaine Liesl Tommy (Mrs Fletcher), sorti en salle le 8 septembre dernier. Intitulé Respect, le long-métrage raconte le parcours de l’artiste, de son enfance passée dans la chorale de l’église de son père à sa célébrité internationale, en passant par les démons qui l’ont hanté tout au long de sa vie. Pour incarner cette femme si singulière, c’est l’actrice et chanteuse R’n’B Jennifer Hudson qui a été choisie, il y a des années déjà, par Aretha Franklin elle-même. Comme cette dernière, l’artiste de trente-neuf ans a aussi fait ses premiers pas dans la musique en chantant du gospel dans l’église de son quartier, avant de connaître le succès. Dans le biopic, l’actrice interprète à la perfection la chanteuse soul iconique, reprenant même ses classiques de sa propre voix. Des chansons qui ont fait vibrer toute une génération et même au-delà, mais qui ont aussi porté de nombreuses causes.

Jennifer Hudson dans le film « Respect » © 2021 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc.

Si Aretha Franklin est aujourd’hui considérée comme un modèle qui a représenté non seulement le combat pour les droits des Afro-américains mais aussi pour l’égalité hommes-femmes, son enfance y est pour quelque chose. Respect, le biopic de Liesl Tommy, aborde notamment les nombreux démons de la chanteuse, ainsi que les traumatismes qui la suivront toute sa vie. Alors qu’elle n’a que six ans, la petite fille fait face à un premier déchirement : le divorce de ses parents. Elle vit donc majoritairement avec son père, pasteur baptiste, et reçoit une éducation stricte orientée vers la religion et le gospel. Quatre ans plus tard, la petite Aretha est confronté à un second traumatisme, sûrement celui qui la hantera jusqu’à sa mort : le décès de sa mère, pianiste et chanteuse de gospel, qu’elle voyait comme un véritable modèle de réussite. Malgré le chagrin, la jeune Aretha doit quand même participer aux tournées de la chorale de son père à travers les Etats-Unis, jusqu’à en devenir la soliste, à seulement onze ans. L’année d’après, alors qu’elle est dans sa chambre lors d’une fête organisée à la maison, le pire arrive. Un homme présent à la soirée, proche de sa famille, entre dans sa chambre et la viole. De cette agression résulte une première grossesse pour Aretha, alors qu’elle a tout juste douze ans. Avant même d’être adolescente, elle a déjà vécu un traumatisme qui la perturbera toute sa vie… mais aussi ce qui fera d’elle la chanteuse culte que l’on connaît aujourd’hui.

Jennifer Hudson dans le film « Respect » © 2021 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc.

Après avoir enregistré son premier disque à quatorze ans, elle enchaîne les albums sans véritablement connaître le succès, sous la houlette de son père autoritaire. Au même moment, Aretha rencontre Ted White, son premier amour avec qui elle se mariera. C’est cette relation, qui s’avère très vite toxique, conjuguée par de multiples abus sexuels et violences domestiques, qui poussera la jeune femme à s’émanciper de l’emprise masculine. En 1967, Aretha Franklin change de label, arrête de suivre ce que lui ordonne son père, et réalise alors son premier grand tube : I Never Loved A Man (The Way That I Love You). Dans ce titre, elle parle de son couple et de son amour pour son mari, tout en dénonçant ses actes. Alors que le morceau se classe rapidement en numéro un du classement rythm’n’blues, c’est le début d’une longue série de succès pour la chanteuse, qui canalise désormais sa douleur dans ses chansons et les utilise comme passerelle pour faire passer des messages. Si Chain of Fools, I Say a Little Prayer, Do Right Man, Do Right Woman ou encore Think sont tous devenus des hymnes féministes, c’est véritablement le titre Respect qui en est l’emblème. Dans le biopic, une scène raconte la création du morceau dont le nom du film est tiré : en pleine nuit, Aretha réveille ses deux sœurs pour réarranger le classique d’Otis Redding en y ajoutant le célèbre riff “re-re-re” et en y infusant son style soul légendaire. La chanteuse appelle, dans le titre, à l’égalité entre hommes et femmes et Respect devient la référence pour celles qui désirent s’émanciper du patriarcat. Plus tard, Aretha Franklin sera même la première femme à faire son entrée au Rock ‘n’ Roll Hall of Fame (plus connu comme le panthéon américain du rock), et sera aussi la première femme noire à faire la une du Time.

 

Respect (2021) de Liesl Tommy, actuellement en salle.