28 juin 2018

Que vaut vraiment Vanessa Paradis dans “Un couteau dans le cœur” ?

Dans “Un couteau dans le cœur, Vanessa Paradis incarne une productrice de porno gay dans les années 70. L’actrice française y est aussi légère que bouleversante. Pour son second long-métrage, Yann Gonzales sort des limbes de l’underground, le film a été présenté le mois dernier en compétition au Festival de Cannes.

Lors d’un entretien donné récemment à France Culture, Yann Gonzales a défini avec le mélange de candeur et de frontalité qui le caractérise son approche du cinéma et de la vie :  “La transgression aujourd’hui, c’est d’être sentimental. L’émotion est devenue un tabou au cinéma. Avec mes films, je cherche à créer des espaces où l’on peut ressentir”. Un couteau dans le cœur est son second long-métrage, cinq ans après un météore nommé Les Rencontres d’après minuit et une multitude de courts-métrages aux titres presque trop rêveurs pour l’époque – Les îles, Nous ne serons plus jamais seuls, Je vous hais petites filles. Cette fois, Gonzales passe à l’échelon supérieur, il sort des limbes de l’underground puisque Un Couteau dans le cœur a été présenté le mois dernier en compétition au Festival de Cannes.

 

 

Un Couteau dans le coeur ouvre des portes et des fenêtres vers un ailleurs plus coloré, libre et fluide, où s’épanouissent des actrices et acteurs auxquels Yann Gonzales donne un statut de fées.

Le film plonge dans les années 1970, réelles et rêvées par le cinéma, au cœur d’une petite entreprise de porno gay menée par une productrice (Vanessa Paradis) dont le cœur vient d’être brisé par une femme (Kate Moran) qui n’accepte plus son intensité, son désir de déborder partout et tout le temps, sa mélancolie à calmer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un réalisateur aux ambitions changeantes (Nicolas Maury) est en charge d’un film plus personnel. L’amour circule, les corps vibrent dès qu’ils le peuvent. Le souffle du Giallo traverse Un Couteau dans le cœur, l’ombre de Fassbinder, le cinéma expérimental gay du grand Kenneth Anger, comme les aventures plus secrètes du cinéma français le plus délicat des seventies, notamment Marie-Claude Treilhou et l’incroyable Simone Barbès ou la vertu. Le mélo franc et sincère se mêle donc à une approche distanciée du cinéma, qui passe par l’acceptation qu’un film aujourd’hui se déploie d’abord comme le palimpseste de beaucoup d’autres venus avant lui. La sincérité émerge quand la capitulation devant le passé permet de regarder devant. La pulsion de mort du cinéma permet sa métamorphose.

Une matière bouillonnante surgit de ce chaos organisé de références, où quelque chose, toujours, menace de déchirer l’écran. Est-ce le gode-couteau d’un tueur en série qui décime les tournages ? Est-ce notre désir de projeter dans les films qui nous bouleversent les trous noirs de nos vies ? En restant toujours radicalement singulier, Un Couteau dans le coeur ouvre des portes et des fenêtres vers un ailleurs plus coloré, libre et fluide, où s’épanouissent des actrices et acteurs auxquels Yann Gonzales donne un statut de fées. Vanessa Paradis n’a jamais été aussi bouleversante, légère et engagée dans un film depuis le tout début de sa carrière chez Jean-Claude Brisseau. Il fallait un cinéaste qui filme les icônes à leur hauteur pour la retrouver.