Rencontre avec Pierre Niney, magistral acteur du Comte de Monte-Cristo
Le brillant comédien français Pierre Niney ne cesse de se réinventer en dehors des sentiers battus, relevant le défi de chaque nouveau film avec une passion qui fait de chacun de ses rôles une véritable performance d’acteur. Revenant aux grands personnages du répertoire qu’affectionne cet ancien pensionnaire de la Comédie-Française, il s’empare cette fois d’un héros à sa mesure, le comte de Monte-Cristo, dans le nouveau film d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, présenté au Festival de Cannes 2024 et actuellement au cinéma.
Coiffure : Étienne Sekola. Maquillage : Lisa Legrand. Numérique : Jacopo Marconi. Production : Open Space Paris.
Portraits par P.A Hüe de Fontenay.
Réalisation Fernando Damasceno.
Propos recueillis par Olivier Joyard.
Depuis plus d’une décennie, Pierre Niney se distingue comme l’un des acteurs français les plus appréciés, capable d’incarner un jeune premier décalé dans la très bonne comédie romantique 20 Ans d’écart ou de prêter ses traits à Yves Saint Laurent dans le film de Jalil Lespert, qui lui a valu le César du meilleur acteur en 2015. Sans compter de nombreuses incursions dans la comédie, en compagnie de Jonathan Cohen ou de Michel Gondry.
Présenté au Festival de Cannes, Le Comte de Monte-Cristo ouvre un nouveau chapitre dans sa carrière. À 35 ans, il incarne le héros classique le plus fou de la littérature française, avec une poigne et une mélancolie captivantes. Nous avons échangé avec l’acteur pour comprendre ce qui l’a attiré dans un rôle aussi emblématique, et tenter de percer le mystère de son éclectisme.
L’interview de Pierre Niney, à l’affiche du Comte de Monte-Cristo
Numéro : Vous avez suivi une formation classique – Cours Florent, Conservatoire national supérieur d’art dramatique – avant d’intégrer la Comédie-Française jusqu’à 2015. Retrouver un grand classique tel Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas fait figure de retour aux sources ?
Pierre Niney : C’est pour moi l’équivalent de Hamlet en France. Le coup de fil du producteur Dimitri Rassam, qui me proposait de rencontrer les réalisateurs Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, je m’en souviendrai toute ma vie. Le personnage du comte de Monte-Cristo réveille des choses de l’enfance et de l’adolescence. Il y a le souvenir du cinéma de cape et d’épée, et en même temps, un texte très complexe, presque métaphysique sur la destinée, l’injustice… Que vaut la justice des hommes ? Peut-on se substituer à Dieu ? Devient-on un monstre quand on pense pouvoir le faire ? La noirceur de l’âme humaine s’y révèle.
« La France n’a rien à envier à Hollywood. » Pierre Niney
En termes d’échelle et de budget, Monte-Cristo est un film à l’ambition énorme.
Je sortais du Livre des solutions de Michel Gondry, tourné avec les moyens du bord dans la maison de sa tante. Dans Le Comte de Monte-Cristo, il y a eu plus de 150 heures de maquillage pour réaliser des transformations que l’on voulait étonnantes et troublantes. Il s’agit d’une grosse machine, mais le but c’est de se concentrer sur autre chose que la grue, le travelling, l’hélicoptère ou le plan réalisé avec un drone. Les petits enjeux humains deviennent grands s’ils ne sont pas noyés dans des flots de costumes, de décors et de combats d’épée. L’idée était de faire un film centré sur des aspects très concrets : dilemmes, états d’âme, regrets… La France n’a rien à envier à Hollywood. Là-bas, ils créent des marques et font rentrer beaucoup d’argent. Mais notre industrie est la plus belle du monde. Avec les textes classiques, on a nos propres super-héros, qui sont parfois plus torturés que ceux des Américains.
Le Comte de Monte-Cristo ressemble plus à une tragédie qu’à un récit d’aventures.
Sur ce tournage, j’ai retrouvé le plaisir que j’ai eu à jouer dans Phèdre à la Comédie-Française. De grands destins qui s’entrechoquent, de grandes blessures : c’est ce qui reste du film, en plus de l’excitation à voir un personnage se venger et devenir l’homme le plus riche du monde. J’ai abordé chaque chapitre de sa vie comme la matière d’une nouvelle incarnation qui s’empile sur la précédente. L’injustice s’ajoute à l’innocence, puis la colère et enfin la vengeance, et même une forme d’amusement sadique. Je ne trouve pas ailleurs ce mélange d’épique, d’aventure et de psychologique.
« J’adorerais retourner au théâtre, ça me manque. » Pierre Niney
Dans Le Livre des solutions de Michel Gondry comme dans Fiasco, la série Netflix, vous jouez le rôle d’un réalisateur de cinéma. Pourquoi les coulisses de la création vous intéressent-elles ?
J’avais fait Casting(s) pour Canal + entre 2013 et 2015, car j’aime raconter l’univers du show-business avec précision et authenticité. Ces ambiances se retrouvent partout dans le monde du travail : des ego s’entrechoquent, la hiérarchie vient causer des problèmes, le manque de budget rend certains projets catastrophiques… Mais les deux rôles sont très différents. Le film de Michel Gondry est autobiographique et porte sur un réalisateur qui a des problèmes psychiques et qui arrête son traitement. Dans la série Fiasco, le propos est tout autre. Raphaël Valande est un fils de fermier qui n’a ni le talent ni le charisme nécessaire pour gérer une équipe. Nous sommes dans la comédie. Depuis toujours, je suis fasciné par les coulisses du théâtre, c’est même ce qui m’a donné envie de jouer. On arpente un couloir, cet interstice un peu irréel juste avant de sauter dans le vide. À un moment, on n’est pas acteur, l’instant suivant, on est sur scène. À la Comédie-Française, c’est un des aspects que j’avais le plus hâte de découvrir.
Qu’avez-vous gardé de vos racines théâtrales ?
À la Comédie-Française, voir travailler des gens que je trouvais extrêmement talentueux, comme Hervé Pierre ou Christian Hecq, m’a beaucoup apporté. Je suis fier et heureux d’avoir commencé par là. On y apprend le métier avec l’idée du collectif, le souci du travail bien fait et de ce qu’on donne à voir au public. On intègre ce que représente la légitimité d’être sur un plateau et de dire un texte. Sur les planches, nous sommes notre propre monteur, sans les artifices du cinéma pour captiver le public. Emporter ce bagage technique ailleurs, c’est fort. J’adorerais retourner au théâtre, ça me manque.
La liste de vos rôles, de 20 Ans d’écart à Yves Saint Laurent, en passant par le thriller Boîte noire et la comédie Five, dessine une carrière loin des chapelles.
À la Comédie-Française, il m’arrivait de jouer à 14 heures Un chapeau de paille d’Italie, une comédie enlevée d’Eugène Labiche, puis, à 20 heures, le rôle d’Hippolyte dans Phèdre. Je n’ai jamais imaginé ce métier comme un lieu où je devrais choisir une paroisse, même si je suis fan de Louis de Funès qui a fait totalement l’inverse. Je peux travailler avec des gens aussi différents que Nicole Garcia ou François Ozon, puis tourner un gros film comme Le Comte de Monte-Cristo. C’est mon plaisir d’acteur et de spectateur.
À vos yeux, la comédie est-elle une affaire sérieuse ?
J’ai grandi avec Charlie Chaplin, Buster Keaton, Jerry Lewis et Peter Sellars. J’ai ensuite découvert Jim Carrey, Ricky Gervais, Les Nuls et Les Robins des Bois. Se donner du mal pour faire des trucs débiles, je trouve cela génial. La comédie est une démarche généreuse et ingrate.
» Les deux professeurs qu’ont été mes parents s’intéressaient peu à la gloire ou à l’argent. » Pierre Niney
Vous avez obtenu le César du meilleur acteur pour votre interprétation d’Yves Saint Laurent, il y a presque neuf ans. Comment revoyez-vous ce moment aujourd’hui ?
J’ai un souvenir hyper vif de cette soirée, où j’étais à la fois surpris et fier, d’abord pour le film et son réalisateur, Jalil Lespert, mais aussi pour le travail que j’avais accompli. Sur le moment, j’éprouvais aussi comme une sensation d’irréalité. J’y pense encore. En même temps, je viens d’une famille où le cœur de ce qui nous intéresse doit rester la création. Mes parents m’ont enseigné cela : être passionné par le fait de raconter les meilleures histoires possible plutôt que par la reconnaissance de telle ou telle académie ou de tel ou tel jury. Surtout, c’est valable un an ! J’ai été sacré meilleur acteur, puis l’année suivante ça a été quelqu’un d’autre. C’est réjouissant et éphémère.
Vous évoquez vos parents. Comment vous ont-ils transmis l’exigence de la création ?
Ma mère a été prof d’arts plastiques, et la manière dont elle abordait ses œuvres – elle fait toujours de la sculpture – m’a guidé. Mon père, de son côté, a un rapport passionné et cinéphile au documentaire et à la fiction. Les deux professeurs qu’ont été mes parents s’intéressaient peu à la gloire ou à l’argent.
« Ce dont je me souviens, c’est que quand j’étais jeune les castings étaient un moment de stress mais aussi de plaisir. » Pierre Niney
La décision de devenir acteur, quand l’avez-vous prise ?
Je n’avais pas de plan B. Des gens me disent qu’ils aimeraient être acteurs, mais qu’ils font du droit ou une école de commerce, pour rassurer leurs parents. Quand on n’est pas soutenu par une famille, bien sûr que c’est difficile. Mais il faut se jeter dans le vide car, dans ce métier, il y a peu d’élus. Ce dont je me souviens, c’est que quand j’étais jeune les castings étaient un moment de stress mais aussi de plaisir. Je me disais : c’est un challenge, alors je me donne à fond. J’étais dans un lycée avec une option théâtre assez solide. J’y ai rencontré mon premier agent, qui venait voir les pièces de fin d’année. Des personnages très forts dans l’école publique m’ont mené là où je suis, des professeurs de littérature, d’anglais, de théâtre m’ont fait entrevoir que c’était possible. Ce n’est peut-être pas glamour, mais je trouverais dommage de ne pas vous dire la vérité : le lycée Claude-Monet, dans le 18e arrondissement de Paris, qui avait à l’époque les moyens d’offrir de vraies options artistiques aux élèves, a beaucoup joué pour moi.
Quels sont vos tournages dans les mois qui viennent ?
Gourou sera notre troisième film avec Yann Gozlan, le réalisateur d’Un homme idéal et de Boîte noire. J’interprète un coach de vie qui a une trajectoire toxique. Le tournage aura lieu à la rentrée. Il y a aussi une comédie, Feuilleman, avec McFly et Carlito, tiré d’une vidéo YouTube. Tout part d’un canular et cela devient un vrai film. Vous voyez, je reste éclectique !
Le Comte de Monte-Cristo (2024), d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, avec Pierre Niney et Anaïs Demoustier, actuellement au cinéma.