19 mai 2021

Ken Loach : les secrets d’un génie sept fois primé à Cannes

Cinéaste de tous les records sans jamais être celui des superlatifs, sept fois primé à Cannes où il remporte deux Palmes d’or, l’une pour Le vent se lève en 2006 et l’autre pour I, Daniel Blake dix ans plus tard, instigateur (avec Mike Leigh et Stephen Frears) d’un nouveau cinéma britannique dans les années 80 : Ken Loach est, depuis quarante ans, le représentant d’un cinéma d’outre-Manche engagé. À l’occasion de la diffusion ce soir sur Arte de I, Daniel Blake, Numéro revient sur la “recette Ken Loach”, celle qui fait que le cinéaste britannique connaît toujours, après vingt-sept longs métrages et une dizaine de séries et de documentaires, un immense succès aussi bien auprès de la critique que du public.

  • Par Chloé Sarraméa.

  • Publié le 19 mai 2021. Modifié le 17 juin 2025.

    1. La “famille” Ken Loach

    Privilégiant les longues relations de travail, Ken Loach, réalisateur britannique, collabore toujours avec les mêmes équipes. De son premier film Pas de larmes pour Joy (1967) à Sorry We Missed You (2019), le cinéaste britannique fait de sa vision du 7e art une pensée collective et compose ainsi sa propre famille de cinéma : il travaille avec la productrice londonienne Rebecca O’Brien et le compositeur George Fenton sur dix-sept films, avec son directeur de la photographie Barry Ackroyd sur dix (dont Le vent se lève et le film avec Éric Cantonna, Looking for Eric) et avec le monteur Jonathan Morris sur vingt cinq longs métrages. 

    Celui qui estime que la réalisation est le “résulat du travail de plusieurs personnes” recherche toujours des collaborations avec des professionnels qui envisagent le cinéma de la même façon que lui : son scénariste Paul Laverty – avec qui il travaille sur seize films – partage la même ”vision de ce qui émeut ou fait rire”, alors que son ingénieur du son, son décorateur et son costumier apprécient autant que le cinéaste tourner dans la rue. 

    2. Un réalisateur engagé

    Ken Loach, que l’on surnomme le “chouchou du Festival de Cannes” et que l’on qualifie de réalisateur engagé met (presque) toujours en scène des acteurs non-professionnels. Pour faire fusionner réalité quotidienne et fiction et susciter un sentiment d’authenticité, il aime tourner avec des comédiens qui partagent la vie des personnages qu’ils incarnent : ouvriers, syndiqués ou immigrés. Alors qu’il a filmé Cilian Murphy à ses débuts dans Le vent se lève (2006), il fait apprendre l’anglais à Pilar Padilla pour incarner le rôle d’une immigrée mexicaine aux États-Unis – aux côtés d’Adrien Brody dans Bread and Roses (2000). 

    Habitué à tourner ses films dans l’ordre des séquences, Ken Loach donne leurs dialogues aux comédiens quelques instants avant l’enregistrement des scènes. Dans son dernier long métrage Sorry We Missed You, qui dénonce l’ubérisation de la société, il filme un couple victime du libéralisme économique basé à Newcastle. Ici, l’homme est un chauffeur-livreur fauché et épuisé, sa femme, infirmière à domicile, enchaîne les soins de personnes âgées sans trouver le temps de s’occuper de ses enfants. Ensemble, ils tentent de prendre soin de leur famille qui souffre de cette situation. Et, pour incarner ces deux personnages plongés dans une misère sociale et affective : Kris Hitchen, ancien plombier et Debbie Honeywood, employée d’une école de Wallsend, au Nord de l’Angleterre.

    3. Le Royaume-Uni comme décor

    Caractérisé par des mises en scène hyperréalistes et des tournages en extérieur, le cinéma de Ken Loach nécessite peu de moyens. D’ailleurs, le réalisateur originaire de Nuneaton en Angleterre prône un cinéma “authentique”.  Ainsi il tourne majoritairement dans les régions ouvrières, autrefois nourries par la sidérurgie, la métallurgie et l’industrie minière. Aujourd’hui, ils sont devenus les centres névralgiques du chômage de masse. En effet, les lieux de tournage privilégiés par Ken Loach sont les plus touchés par les grandes mutations du capitalisme. Par exemple, une ville reculée en Irlande, la banlieue de Liverpool ou un quartier défavorisé de Glasgow.

    Sans jamais être moralisateur, Ken Loach fait du 7e art un terrain de revendication. Ainsi il critique les politiques sociales du gouvernement britannique dans ​I, Daniel Blake (palme d’Or en 2016). Ou encore, il revient sur la colonisation du Royaume-Uni sur l’Irlande dans Le vent se lève (palme d’Or en 2006). Dans dans Sweet Sixteen (2002) et La Part des anges (Prix du jury au festival de Cannes en 2012) il parle d’une génération sacrifiée par le chômage de masse . Enfin, dans Ladybird en 1994, il critique même la loi du Children Act (promulguée en 1989 au Royaume-Uni et visant à protéger les enfants même s’ils doivent être séparés de leurs familles)

    Proche du documentaire – un genre dans lequel le réalisateur a aussi brillé (Les Dockers de Liverpool en 1997, McLibel en 2005, L’Esprit de 45 en 2013) – le cinéma de Ken Loach résonne comme une guerre contre la précarisation et la pauvreté. Et en toile de fond, un Royaume-Uni fracturé et convalescent.

    I, Daniel Blake (2016) de Ken Loach, diffusé ce soir sur Arte à 20h55.