Rencontre avec Lucas Bravo : “Ma psy me dit toujours qu’il faut accueillir les compliments.”
À 36 ans, Lucas Bravo s’émancipe du rôle de Gabriel, le chef sexy (et indécis) d’Emily in Paris en lorgnant vers des rôles plus sombres et denses. On le verra en décembre 2024 en voisin dangereux dans Les Femmes au balcon de Noémie Merlant et on le découvrira, le 1er nombre, dans la peau du braqueur Bruno Sulak, l’Arsène Lupin des années 80, dans le film Libre de Mélanie Laurent. Confessions d’un acteur à suivre de très près.
par Violaine Schütz.
L’interview de Lucas Bravo, l’acteur du film Libre de Mélanie Laurent
Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer Bruno Sulak dans le film Libre de Mélanie Laurent, qui est votre premier premier rôle ?
Lucas Bravo : C’est vraiment Mélanie (Laurent) qui m’a apporté le projet. Et je m’estime extrêmement heureux qu’elle me fasse confiance et qu’elle ait vu en moi Bruno Sulak. Je n’étais vraiment pas dans une situation où l’on se dit : “Tiens, je vais réfléchir. Peut-être oui, peut-être non.” Quand elle me l’a présenté, j’étais “all in”.
C’est un personnage ambivalent, comme Arsène Lupin : il est charmant et libre, mais c’est un bandit. Comment avez-vous approché cette dualité ?
Bruno Sulak, c’est vraiment le rôle rêvé pour un acteur parce que c’est quelqu’un qui a une belle dualité. Même si l’enfer est pavé de bonnes intentions, il œuvre pour le bien. Enfin, disons pour une cause qui résonne en moi, c’est-à-dire ramener les choses à la simplicité de la contemplation et arrêter de séparer les gens. Parce que le système émergeant de l’époque, les années fric, le capitalisme, les supermarchés, Tapie et tout ça, c’était les graines de ce qu’on est en train de vivre aujourd’hui. Je pense que Bruno Sulak avait un bon instinct et qu’il a vu ça. Je ne pense pas qu’il voyait TikTok dans sa tête (rires), mais il a anticipé qu’on allait dans une direction qui allait complètement nous séparer.
“Je me sentais assez caméléon dans ma jeunesse.” Lucas Bravo
Il avait quelque chose de poétique…
C’est quelqu’un qui était centré sur l’humain et qui, dans sa façon d’être, a voulu ramener un peu de la connexion, de la vie et ralentir un peu les choses. C’est pour ça qu’il faisait des choses complètement incongrues, comme cambrioler deux fois la bijouterie Cartier à Genève en une semaine ou braquer Cartier à Cannes habillé en tennisman. En fait, il y avait du jeu là-dedans. Il n’ avait pas besoin d’argent. Il y avait de la poésie dans ses actes comme dans ses écrits (il avait une plume extraordinaire). C’est ce que j’aimais chez lui : c’était vraiment un poète.
Votre père, Daniel Bravo, était footballeur et vous l’avez suivi, avec votre mère, Eva Bravo (chanteuse et animatrice TV), de ville en ville, en fonction de ses changements de club. Est-ce que ce déracinement vous a aidé à entrer dans la peau d’un criminel en cavale ?
Oui, c’est très juste. J’ai vécu les déménagements permanents, tous les deux ans, et le fait d’arriver dans une nouvelle ville et de vouloir changer ce statut du nouveau. J’essayais de trouver une place assez vite pour rentrer dans une dynamique de groupe. Et j’ai retrouvé ça chez Bruno Sulak. Beaucoup des gens à qui j’ai parlé de lui avaient une vision différente de Sukak. Je me suis me suis rendu compte qu’on ne le connaissait pas vraiment. Même les gens qui prétendent le connaître n’avaient pas une idée précise de qui il était. C’était un caméléon. Et je me sentais assez caméléon dans ma jeunesse. Ça a été la première chose qui nous a liés, inconsciemment.
“J’ai l’impression qu’on est en train de créer des générations qui ne vont plus pouvoir s’asseoir devant un Perfect Days de Wim Wenders.” Lucas Bravo
Bruno Sulak était un symbole de liberté et d’anti-capitalisme. Ce sont aussi des idéaux auxquels vous aspirez ? Est-ce que ça vous a fait réfléchir de l’incarner ?
Oui, carrément. Je ne me prends pas pour un Bruno Sulak, parce que je n’ai pas son courage et je n’ai certainement pas accompli ce qu’il a fait à son époque. Mais j’ai vraiment tracé un parallèle dans ma tête parce que ça fait quelques années maintenant que je suis en lutte intérieure et extérieure avec mon entourage contre TikTok et les réseaux sociaux. Les contenus de dix secondes ultra-effectifs et ultra-divertissants qui fait que l’on passe d’une vidéo à l’autre très rapidement. En fait, il n’y a plus de temps calme, d’entre-deux, d’ennui ni de pause pour se questionner. C’est vraiment de la sur-stimulation. Du coup, j’ai l’impression qu’on est en train de créer des gens impatients. Et des générations qui ne vont plus pouvoir s’asseoir devant un Perfect Days de Wim Wenders ou un Past Lives de Celine Song. Bref devant un truc où il ne se passe rien durant dix minutes.
J’ai en effet lu des articles et des études montrant que la Gen Z a du mal à regarder un film en entier…
Oui. On zappe direct, dès que ce n’est pas du Avengers ou quelque chose d’efficace. Et donc, du coup, ça fait quelque temps que je me bats un peu contre ça. Et aussi, il y a ce truc, souvent, en interview, où on me dit : “Donnez-moi trois mots pour définir votre projet ?” Dernièrement, je me suis peut-être fait des ennemis, mais ça partait d’une bonne intention. Car j’ai pu répondre des choses comme : « Vous avez étudié le journalisme pendant combien de temps ? Et moi, j’ai passé combien de temps à tourner ce projet ? Là, on nous donne l’opportunité de discuter. Vous pouvez me demander n’importe quoi et je peux vous répondre la vérité, mais tout ce qui vous intéresse, ce sont trois petits mots qui vont se retrouver sur TikTok…”
“Je suis un grand fan d’Alain Delon.” Lucas Bravo
Heureusement que je n’ai pas prévu de vous demander de définir Libre en trois mots… Mais c’est vrai que sur les réseaux sociaux, ce type d’interviews fonctionne bien…
(Rires) Non, mais quand on y réfléchit, ces trois mots, ils vont être oubliés aussi vite qu’ils vont être regardés. Est-ce que ça intéresse quelqu’un, au final ? Qu’est-ce qu’on peut vraiment décrire en trois mots ? Ça manque d’intention, de substance un petit peu. C’est quelque chose qui me travaille beaucoup et qui travaillait aussi beaucoup Bruno Sulak, dans un contexte différent. Lui était effrayé par cette émergence des années fric et de cette séparation que cela créait entre les gens. Et moi, j’ai peur de cette séparation qui est en train de s’opérer avec les réseaux sociaux. Et de la densité aussi des années qu’on est en train de vivre depuis le Covid. On a l’impression de vivre deux années en une. On est un peu tous très fatigués. Je suis très fatigué (rires).
En regardant Libre, j’ai pensé à Jean-Paul Belmondo et à Alain Delon. Avez-vous regardé leurs films pour vous plonger dans l’ambiance du polar vintage ?
Oui, je me suis plongé dans de vieux films. Je me suis refait Deux hommes dans la ville il y a peu. Merci d’ailleurs d’évoquer Alain Delon : je suis un très grand fan. Quelle gueule, quelle présence, il avait un vrai charisme, impressionnant, dans ses jeunes années et même après… C’était quelque chose ! Et Belmondo est cité dans Libre car l’un des braqueurs qui accompagnait Sulak, Steve Jovanović, a été son garde du corps et a joué dans Le Professionnel.
“Ma psy me dit toujours : “Il faut accueillir les compliments.”” Lucas Bravo
À quel point point les costumes et la coupe mulet vous ont aidé à vous immerger dans les années 80 ?
La coupe mulet, c’est notre coiffeur Jimmy qui me l’a sortie. Je venais de terminer le tournage du film Les femmes au balcon de Noémie Merlant avec mes longs cheveux gras et mon maquillage. Durant les premiers jours de tournage de Libre, j’avais encore du noir sous les yeux et je n’arrivais pas à l’enlever. Donc Jimmy m’a fait cette coupe mulet et ça m’a un peu aidé à franchir un cap.
Vous êtes à la fois étonnant et phénoménal en voisin inquiétant de trois jeunes Marseillaises dans le nouveau film de Noémie Merlant, Les Femmes au balcon, qui sortira au cinéma le 11 décembre 2204…
Alors, déjà, merci. C’est la première fois que l’on emploie le mot phénoménal me concernant. Franchement, ça fait du bien. Je le prends. Ma psy me dit toujours : “Il faut accueillir les compliments.” Celui-là, je le mets en pin’s sur ma veste.
Libre (2024) de Mélanie Laurent, avec Lucas Bravo, Yvan Attal et Léa Luce Busato, disponible le 1er novembre 2024 sur Prime Video.